8 juillet 2014

Temps de lecture : 6 min

Big Data, radioscopie d’un nouveau gisement d’opportunités pour la grande distribution

La masse de données clients disponible croît à une vitesse vertigineuse, et constitue le socle du développement du commerce cross canal et de la fidélité des clients. Comment en profiter ? Quels sont les exemples déjà aboutis ? Analyse d’une révolution en cours.

En seulement 20 ans d’existence, qu’il fête ce mois de juillet, Amazon n’a pas seulement bâti le magasin virtuel le plus efficace du monde, avec une offre produits infinie et un service client qui fait référence. Le géant de Seattle, on le sait moins, est aussi le précurseur des applications du Big Data dans le retail. L’explication tient peut-être au fait qu’avant d’être un commerçant, c’est une entreprise de technologies.

Un code génétique bien particulier, qui fournit chaque jour les exemples d’un commerce intelligent, c’est-à-dire inspiré et dicté par les besoins des 244 millions de clients actifs ou, plutôt par leurs comportements, leurs historiques de navigation online, leurs achats… Bref, leurs données. C’est de cette matière première, transformée par ses algorithmes, qu’Amazon tire son avantage compétitif : les suggestions d’achats, par exemple sont personnalisées, à l’inverse du mécanisme massif de couponing, qui frappe plus ou moins distinctement sa cible : 97% des coupons envoyés aux clients finissent à la poubelle ! Dit autrement, le « tir chirurgical » se substitue au bazooka. D’autant que les prix d’Amazon s’adaptent en temps réel à ceux de la concurrence, pour convaincre le client de rester fidèle. Sur son site américain, les prix des produits changent… 1736 fois par minute, selon une étude de Profitero. Ces données-là ne profitent pas qu’au client. Elles alimentent, dans une boucle vertueuse, les prévisions de ventes, fiabilisent le stock… L’organisation tout entière baigne dans une logique de Big Data.

Le commerce prédictif n’est plus un fantasme

L’un des projets « fous » d’Amazon consistera, ces prochaines années, à commencer à livrer les produits chez les particuliers, avant même qu’ils soient commandés. Improbable ? Peut-être pas, tant la firme de Jeff Bezos s’ancre chaque jour un peu plus dans le quotidien des consommateurs, avec son futur smartphone (le Fire Phone) ou, encore, sa fameuse télécommande « Dash », connectée en Wi-Fi et équipée d’un lecteur de codes-barres, qui permet de faire ses courses en ligne depuis le canapé.

Vu sous cet angle, le commerce prédictif n’a plus rien d’un fantasme. Big Data est bel et bien en train de lui donner chair, en le nourrissant d’une courbe exponentielle de données personnelles. Leur production est dopée par les taux d’équipement et d’usage croissants de terminaux comme les smartphones et tablettes, sans oublier, bientôt, les objets connectés. Un chiffre pour s’en persuader : 90% des données personnelles produites dans le monde l’ont été… au cours de ces deux dernières années. Un autre pour se convaincre de l’urgence d’agir, sous peine de se voir submerger : moins de 1% d’entre elles sont analysées.

Big data, socle du cross canal

Dans ce contexte, les enseignes ont, à l’évidence, tout à gagner à basculer dans une logique de Big Data et, même de « smart data ». C’est-à-dire de passer d’un processus de collecte quantitative de données, à une exploitation qualitative et intelligente de celles-ci. L’objectif ? Ouvrir la voie à un commerce prédictif, dont la pertinence influence les décisions d’achat à chaque étape du processus : la formation de la motivation d’achat, la prise d’informations sur le produit, la comparaison de celui-ci (prix, service client…), l’achat puis le paiement.

L’ensemble fournit le socle pratique du nouveau mantra de la distribution qu’est le cross canal. La croissance future du commerce repose sur une offre et une expérience cross canal, certes, mais qui suppose la prise en compte individuelle du client, de ses besoins et de son historique, et une personnalisation de la relation. La fidélité du client est à ce prix, et réclame des preuves.

Les clients veulent le meilleur du digital et du magasin

Le cross canal rend stériles les éternels débats opposant le magasin au web, ou agitant la menace du showrooming ou du webrooming. La dernière étude Wincor/Ifop montre en effet que le client veut bénéficier de l’ensemble des commodités et, plus prosaïquement, profiter du meilleur des deux mondes : se renseigner en ligne (46%), continuer d’acheter en magasin (62%), lieu de réassurance où il découvre le produit et bénéficie des conseils vendeurs (20%).

Tous les canaux deviennent complémentaires. Mais chacun d’entre eux doit se mettre au niveau : le client souhaite consulter les avis sur les produits en magasins (sur borne, sur application mobile…) tandis que le vendeur connecté peut commander un produit indisponible pour le compte du client ou accéder à la base de données concernant celui-ci, afin de lui fournir un conseil sur-mesure. Inversement, en e-commerce, on peut songer à un schéma dans lequel le produit commandé en ligne peut être livré 24/7 dans un casier, qui servira aussi de lieu de retour si le client n’est pas satisfait.

La bonne nouvelle, c’est que les distributeurs possèdent déjà peu ou prou les pièces de ce grand puzzle. Quelles données plus fiables peut-on imaginer que celles issues des tickets de caisses ? Composition précise du panier d’achat, typologies d’articles, récurrence des achats, mesure de l’impact promotionnel, données liées à la carte de fidélité, numéro de carte bancaire associée… Aujourd’hui, une grande partie de ces données récoltées ne sont que peu ou pas exploitées. Elles se situent pourtant à une portée raisonnable : depuis 2001 et la dématérialisation, les données des tickets de caisses sont stockées en PDF sous forme de journal électronique.

Ce gisement de données s’enrichit encore, pour les distributeurs, à mesure que se développe les parcours d’achat « online » et cross canaux, à l’image du drive ou du click and collect. Sans oublier le commerce mobile (« m-commerce »), qui s’appuie sur les applications mobiles ou tablettes, sur lesquelles le client compose son panier de courses, renseigne éventuellement sur ses habitudes alimentaires, ses souhaits en matière de paiement et de livraison…

Le « e-ticket de caisse » de Walmart, un nouveau gisement de données

Walmart explore déjà ce nouveau champ des possibles. Le premier distributeur du monde, engagé à marche forcée dans une mutation cross canal, a lancé voilà quelques semaines un projet de ticket de caisses électronique (« e-receipt »). La logique est la suivante : proposer au client, identifié par son numéro de smartphone, de recevoir un ticket de caisses électroniques via l’application mobile de Walmart. Le distributeur compte exploiter de manière beaucoup plus dynamique ces données digitalisées, par exemple pour adresser du couponing ciblé sur le smartphone de ses clients. Mieux : ces avantages peuvent directement s’implémenter dans la liste de courses du client. Le prix tient compte des réductions… Pour faciliter la conversion du client au « e-receipt », Walmart lui propose tout simplement de composer son numéro de téléphone sur le terminal de paiement de la caisse, en magasin.

L’enthousiasme des perspectives ne doit cependant pas masquer les difficultés pratiques que rencontrent les distributeurs. Si le couponing ciblé n’est pas plus développé, c’est d’abord parce qu’il est plus commode pour un retailer d’en faire un media de masse. La raison est essentiellement d’ordre organisationnel : il faudrait décloisonner différents services. Le CRM détient l’historique client, l’encaissement gère le ticket de caisse et le paiement, le couponing est du ressort du service promotion…

Difficulté supplémentaire, dans un marché de l’informatique orienté à la « découpe », chaque service dispose parfois de son propre logiciel. En face, l’offre du partenaire informatique doit elle aussi faire la preuve qu’elle est structurée sur un modèle Big Data, c’est-à-dire être capable de recueillir les données les plus pertinentes, puis de les gérer sur un mode dynamique.

Chaque métier doit prendre conscience de la valeur de ce patrimoine de données. L’alignement de l’ensemble crée la smart data et de la valeur ajoutée pour le client comme pour l’entreprise. Une approche moderne qui devra aussi composer avec de nouveaux écueils : la protection de ces données et une politique claire et transparente de la gestion de celles-ci sont indispensables. Peut-être enfin, faudrait-il éviter les exemples parfois exotiques liés à Big Data. Si le football, lui aussi, commence à se plonger dans les données (Arsène Wenger, l’entraîneur d’Arsenal, utilise les données des joueurs à chaque match pour déterminer son recrutement, par exemple), est-on bien sûr que le Brésil va gagner « sa » Coupe du monde de football, comme l’a prédit la banque Goldman Sachs ? Dans le cas contraire, les magasins auraient du mal à écouler les maillots du Brésil.

Laurent Houitte, Directeur Marketing & Alliances chez Wincor Nixdorf

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