14 mars 2025

Temps de lecture : 6 min

Bertrand Beaudichon (IPG Mediabrands) : « Je me suis fait pote avec des dauphins qui m’ont peut-être sauvé la vie »

En un an il a dévoré tout Houellebecq et tout Gael Faye Le président de IPG Mediabrands Bertrand Beaudichon répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’Hôtel Littéraire Le Swann* – Proust oblige. 

INfluencia : Votre coup de cœur ?

Bertrand Beaudichon : L’endroit s’y prête bien. C’est la littérature ! J’ai toujours aimé lire et ai toujours rêvé d’écrire mon propre bouquin mais, depuis que je bosse, je n’avais jamais accordé la place à ce temps pour moi dans ma cavalcade quotidienne. Il y a un an, j’ai connu de gros problèmes familiaux et je me suis replongé avec délice dans la littérature. Au début, c’était un exutoirepour m’évader, découvrir des situations plus gaies que celle que je vivais. La magie a repris, et, depuis, dès que j’ai un peu de temps, que je prends un train, un avion, ou que j’ai une heure devant moi, je dévore littéralement. C’est une vraie boulimie. En un an, j’ai quasiment avalé avec délice trois à quatre livres par mois, et découvert des écrivains incroyables comme Paul Auster, Nicolas Matthieu, Houellebecq, Gael Faye ou Laurent Gaudé. J’ai lu tout Houellebecq et tout Gael Faye en un an ! Je prenais un livre et je continuais, je voulais tout connaitre. Avant, mon grand héros en littérature c’était Camus. Avec ces auteurs, j’ai découvert plein de petits Camus. Je sais que, maintenant que le plus dur de mes problèmes est derrière moi, la littérature conservera sa place car elle fait partie de ma vie.

Cette radicalisation du monde me fout en rogne et me fait flipper pour l’avenir de mes enfants

IN. : Et votre coup de colère ? 

B.B. : La radicalisation dans tous les rapports humains, que je constate partout autour de moi, aussi bien au niveau micro qu’au niveau macro, avec la violence, le cynisme, l’impolitesse, le manque de bienveillance et l’arrogance qui s’installent dans toutes les relations que j’observe, aussi bien en lisant les journaux, qu’en allant au boulot le matin. J’ai rarement vu une période aussi terrifiante. Je ne suis pourtant pas un doux. Mais cette radicalisation du monde me fout en rogne et me fait flipper pour l’avenir de mes enfants. Je ne voudrais pas qu’ils en souffrent, ni, pire, qu’ils adoptent de tels comportements puisque cela devient la norme. L’humanité s’est fondée depuis Homo Sapiens sur la collaboration entre les hommes. J’ai bien peur qu’on soit en train de s’en éloigner.

Ce maître a su me donner le goût de la lecture, de l’histoire, de la France et, plus généralement, des valeurs républicaines

IN. : La personne qui vous a le plus marqué dans votre vie ? 

B.B. : Ouh la, il y a beaucoup de rencontres qui ont fait de moi ce que je suis, au fil du temps. Mais si je devais remonter aux origines, je dirais mon Maitre de 7è, Monsieur Fleury, à l’école St-Erembert à St-Germain-en-Laye. Un vrai pur produit de l’éducation nationale, un instituteur comme on n’en fait plus, qui savait réveiller la passion et la curiosité chez ses élèves, et qui avait une vision immense de son rôle. Il avait le physique d’une deuxième ligne de rugby, des grands cheveux blancs et une voix rocailleuse avec un superbe accent de l’Aveyron. Il avait deux classes de septième. Il était habité par l’avenir de ses élèves et pas un seul n’est resté sur le carreau. Il revenait le dimanche pour les aider s’il le fallait. 40 ans plus tard, n‘importe quel gamin passé par sa classe s’en souvient. Nous portons tous un peu de Monsieur Fleury en notre for intérieur. Lorsqu’il est décédé, nous étions près de 400 à son enterrement. Dieu que cet homme a su me donner le goût de la lecture, de l’histoire, de la France et, plus généralement, des valeurs républicaines.

J’aurais adoré faire de cette cause de l’autisme ma vie professionnelle

IN. : Votre rêve d’enfant ou si c’était à refaire

B.B. : Mon rêve d’enfant, c’était d’être pilote de chasse. Rien de très original pour un petit garçon, mais ma nullité en maths, malgré l’enseignement de Monsieur Fleury, m’a vite ramené à la réalité (rires). Plus tard, j’ai eu la chance de travailler pour mes jobs d’été dans un labo de recherche en psychologie du développement à la Sorbonne que dirigeait ma mère. Là, j’ai travaillé avec des chercheurs sur l’autisme, grâce auxquels on a pu démontrer, à base de logiciels d’IA, que les enfants autistes étaient capables de développer des structures de communication verbales et non verbales très élaborées, et qu’on devait les sortir des hôpitauxpsychiatriques. Ce qui a abouti à la création des classes Ulysse, dans l’éducation nationale. J’ai personnellement suivi pendant de longues années les progrès d’une demi-douzaine d’enfants, qui, aujourd’hui, ont un travail et vivent normalement. J’aurais adoré faire de cette cause de l’autisme ma vie professionnelle, car c’est un beau combat, et que les personnes souffrant de ce syndrome sont des êtres littéralement extra-ordinaires.

Ma mère m’a découragé de suivre cette voie en m’expliquant que la recherche était très peu aidée et très mal payée en France. Du coup, j’ai fait de la finance et du marketing, mais c’est quelque chose qui m’aurait attiré. Dans ma vie professionnelle, j’essaie de continuer à contribuer à cette cause. Car une fois qu’on a résolu le problème des jeunes autistes, il y a un énorme bug dans la société française : que faire de ces enfants lorsqu’ils sont diplômés ? Il y a quelques associations qui s’occupent de leur insertion dans la vie professionnelle et, via mon agence, nous avons fait un partenariat avec l’une d’entre elles. Nous sous-traitons une partie de nos travaux d’économétrie et de statistiques à des consultants souffrant de symptômes autistiques. Ce qui permet en plus aux salariés de se mêler à ces personnes et donc de vivre un peu l’expérience que j’ai vécue quand j’étais jeune.

Ma plus grande réussite est d’être toujours en vie

IN. : Votre plus grande réussite (pas le boulot ou la famille)

B.B. : Il m’est arrivé beaucoup de choses et j’avais toutes les chances de ne plus être là aujourd’hui, soit en le décidant volontairement, soit par accident. Alors ma plus grande réussite est d’être toujours en vie, parce que je crois que je peux être toujours utile.

Sur un plan plus léger, car je sens que je plombe un peu l’atmosphère, j’ai toujours eu une trouille bleue des fonds marins. Et il y a 3 ans, je suis allé en Tanzanie, j’ai finalement vaincu ma peur et j’ai eu la chance de plonger tout seul pendant 1 h et demi avec des dauphins en pleine mer. Au début un peu agressifs – une maman était en train d’accoucher – ils se sont habitués à ma présence et nageaient à côté de moi. C’était d’une beauté et d’une douceur absolument incroyable.Soudain les dauphins se sont mis à créer une sorte de rond autour de moi. Celui qui conduisait le bateau m’a dit de remonter immédiatement et m’a expliqué que des requins étaient en train d’arriver et qu’ils m’avaient protégé. Moi qui avais peur des fonds marins, je me suis fait pote avec des dauphins qui m’ont peut-être sauvé la vie. J’en pleure encore d’émotion.

J’ai déjà un premier manuscrit de 150 pages, qui raconte la vie d’un mec qui a envie de tout planter

IN. : Votre plus grand échec dans la vie (idem)

B.B. : Ne pas avoir réussi à publier mon premier roman à 33 ans, comme je me l’étais juré ! J’ai toujours été convaincu que je mourrais à 33 ans. Quand j’étais petit, vers 6 ou 7 ans, une vieille amie de ma grand-mère qui était diseuse de bonne aventure m’avait tiré les cartes. Elle m’avait promis le même destin que mon grand-oncle, auquel je ressemble beaucoup, qui avait sauvé la moitié de sa famille au moment du génocide arménien et était mort à 33 ans. Donc je m’étais toujours dit qu’il fallait que je fasse un maximum de choses avant cet âge, notamment écrire un livre. Bon, je ne l’ai toujours pas fait… Mais j’en ai un en cours depuis sept ou huit ans. Alors, peut être que je peux viser encore les 63 ans ? Ça ne fera jamais que 30 de retard, après tout (rires)…

IN. : Le compliment qui vous comblerait

B.B. : Que je suis beau. Non, je plaisante (il avait dit je déconne, mais bon…). Simplement, qu’on me dise que j’ai inspiré des gens et contribué à les rendre heureux. Si j’avais pu, moi aussi, me rendre aussi utile que Mr Fleury l’a été pour moi et des générations d’élèves, je me dirais que mon passage sur terre aura servi à quelque chose.

J’ai un peu l’impression, depuis que j’ai 30 ans, que chaque jour est un sursis

IN. : Un mot qui vous définit

B.B. : Carpe Diem. J’ai un peu l’impression, depuis que j’ai 30 ans, que chaque jour est un sursis. Je n’ai pas du tout peur de mourir mais je suis prêt. Et puisque ça peut être demain, il faut profiter au maximum de la vie.

IN. : Quel artiste emmèneriez-vous sur une île déserte ?

B. B. : Sans hésitation, Mozart. Le plus punk de tous les compositeurs au monde, le plus destructif dans son époque, le plus fou, le plus inspiré par le divin. Il n’y a pour moi rien de mieux que ses trois dernières œuvres de 1791, l’année de sa mort : la messe en ut, Don Giovanni et le Requiem. J’adorerais discuter avec lui de sa vie, comprendre pourquoi il avait pris tant de risques pour être autant radical.

* L’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu ».

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Nouvelle organisation depuis octobre 2024, date à laquelle BB a été nommé président d’IPG Mediabrands:  Françoise Fassin, DGA du groupe, en charge de la stratégie et du contenu.Émilie Thorel DG d’ UM.  Jérémie Janicot patron du planning stratégique et Julien Lefevre, patron des OPS et du contenu de  Mediabrands, Charlotte Jourdan, patronne du digital. Jean-Damien Agurto,  Head of Media et Data Intelligence d’IPG Mediabrands France. Ludovic Silva, patron des médias adressables. Franck Huchon-Bottino  DG d’Orion, Céline Baumann, patron des achats,Virginie Planté, DRH, et Bruno Geremia, DAF
Nouvelle feuille de route autour de « la considération » pour les deux agences Initiative et UM, avec un focus particulier sur l’augmentation de leur attractivité auprès de clients locaux. Pour « être les plus outillées des agences indépendantes ».
Principaux clients : Patek Philippe et Laurent Perrier gérés pour le monde entier depuis Paris depuis 30 ans.  Dyson, American Express, Levis, Direct Assurance,  Volvo, Nike

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