The Good : Vous avez passé 10 jours au congrès mondial de la nature de l’UICN. Dans quel état d’esprit en êtes-vous revenue ? Quels ont été les moments forts ?
Bérangère Abba : Je suis heureuse que tous nous ayons pu échanger et nous voir à nouveau et satisfaite de la mobilisation de l’ensemble des acteurs durant ces 10 jours de Congrès (5700 congressistes sur place et 3500 à distance, 25 000 entrées grand public sur les Espaces Générations Nature). Ce Congrès a donné une nouvelle ampleur au dialogue multilatéral sur la protection de la nature après l’impulsion du One Planet Summit de janvier 2021, également organisé par la France. Il marque une étape majeure d’ici la COP15 de la convention sur la diversité biologique qui se tiendra en Chine en octobre 2021 et mai 2022 et qui verra l’adoption d’un nouveau cadre stratégique mondial pour la biodiversité.
L’ouverture du Congrès par le président de la République a été très symbolique. Elle a permis de montrer une fois de plus à quel point la France est investie sur la protection de la nature au niveau national et à l’international. Le Congrès a été une suite de moments très intenses, en petit comité ou au sein de grandes assemblées. Il faut en retenir un foisonnement d’échanges, d’idées et de créativité.
Les thématiques abordées ont été nombreuses, avec le souci d’avancer. On pourra citer la question des océans, le besoin de travailler à la restauration des écosystèmes dégradés, la résilience des espaces, et surtout une dynamique d’engagement qui touche de plus en plus d’acteurs, du citoyen jusqu’à la sphère économique.
TG : Entre la présence du Président de la République, la large couverture médiatique de l’événement, le sujet de la biodiversité, souvent éclipsé par celui du climat, semble enfin s’imposer dans les agendas politiques et médiatiques. A quoi attribuez-vous cela ?
BA : Je crois que l’on peut attribuer cela d’une part au travail remarquable fait par l’IPBES (Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services), l’équivalent du GIEC pour la biodiversité, pour étayer et expliquer le déclin de la biodiversité en cours.
Et d’autre part, au travail de mobilisation de l’ensemble des acteurs qui œuvrent depuis de nombreuses années pour la préservation de la biodiversité.
Si la Conférence de Paris sur le Climat de 2015 a certainement résonné comme la grande prise de conscience sur l’enjeu climatique, il est possible que ce Congrès mondial de la nature se pose comme les prémisses de la prise de conscience collective des services rendus par la nature et des enjeux autour de sa protection.
TG : Comment se positionne la France sur les questions de la biodiversité (en avance/ en retard vs les autres pays, objectifs de la nouvelle stratégie nationale) ? Est-ce qu’à l’issue de ce congrès international vous avez vu des initiatives inspirantes dans d’autres pays ?
BA : A l’international, les politiques publiques françaises en matière de préservation de l’environnement sont reconnues et saluées. Le président de la République a lancé en janvier lors d’un One Planet Summit dédié à la biodiversité les négociations internationales au plus haut niveau. La France préside avec le Costa Rica la Coalition de la Haute Ambition (CHA) pour la Nature et les Peuples, qui rassemble plus de 50 gouvernements des six continents dans le but d’obtenir un accord mondial visant à protéger au moins 30 % des terres et au moins 30 % des océans de la planète d’ici 2030 lors de la COP15 de la Convention sur la diversité biologique, qui se tiendra cette année à Kunming en Chine. Nous avons aussi été les premiers à adopter une stratégie de lutte contre la déforestation importée.
Accueillir en septembre le congrès mondial de la nature sur notre territoire, c’était poursuivre cette mobilisation internationale sur les enjeux de préservation de la biodiversité. Nous avons déployé beaucoup de moyens pour permettre à ce Congrès de se tenir dans les meilleures conditions et pour que le maximum de personnes puisse y participer, notamment en ligne.
La COP 15 biodiversité à venir en Chine et la présidence française de l’Union Européenne début 2022 nous donne un rôle et une responsabilité majeurs dans l’animation et la construction du nouveau cadre stratégique mondial pour la biodiversité.
Au niveau national, nous avons porté des mesures concrètes visant à améliorer la protection de la nature. J’en citerai quelques-unes. Grâce à la loi économie circulaire, nous diminuons drastiquement les plastiques, qui sont une cause massive de pollution des mers et océans. Grâce à la loi climat résilience, nous luttons contre la déforestation importée. Nous déployons de nouvelles aires protégées pour atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés dans la stratégie aires protégées, adoptée en début d’année. De plus, l’existence d’un Secrétariat d’Etat dédié à la Biodiversité au sein même du Ministère de la Transition est la preuve de notre détermination à en faire un sujet d’intérêt national.
TG : Comment les entreprises s’emparent-elles du sujet biodiversité ? Quelles sont les actions qu’elles doivent prioritairement mener pour mieux la respecter ?
BA : Sur de très nombreux sujets – les sujets sociaux, culturels et évidemment économiques – les entreprises sont précurseurs de changement. Ainsi, leurs actions et leur mobilisation peuvent entraîner une prise de conscience majeure dans un monde économique qui a pu, à une certaine période, privilégier le profit au détriment des considérations éthiques. Je crois que ce n’est plus vraiment le cas et je salue les nombreuses initiatives déployées par les entreprises, notamment au sein du collectif Engagés pour la nature et Act4nature. Je me réjouis qu’elles soient de plus en plus nombreuses à prendre pleinement en compte les enjeux de préservation du climat et de la biodiversité. Je souhaite que le maximum d’entreprises rejoignent ce mouvement.
Les entreprises doivent procéder à une analyse fine de leurs modes de production, d’approvisionnement et de gestion, pour savoir, paramètre par paramètre, les curseurs qui peuvent être déplacés pour limiter leur impact sur l’environnement. Nous avons vu au Congrès que beaucoup de méthodes étaient proposées pour accompagner les entreprises en fonction de leur taille, de leur secteur… Rome ne s’est pas faite en un jour et j’ai aussi pleine conscience que tout cela ne peut pas toujours aller aussi vite qu’on le voudrait.
TG : Et les citoyens ? Les sentez- vous concernés par ce sujet ? Vous qui aimez partir « du terrain », comment chacun de nous peut-il agir concrètement pour protéger la biodiversité ?
BA : Les chiffres de fréquentation du Congrès vont en tout cas dans ce sens : ouvert pour la première fois au grand public, quelques 3000 personnes sont venues quotidiennement visiter les différentes animations des Espaces générations nature. Plus d’une centaine de classes ont aussi fait le déplacement. Et il y a là je crois une clef de la mobilisation citoyenne : l’éducation. Je pense qu’il s’agit de l’élément le plus efficace de sensibilisation et pour faire de la protection une réalité dans la vie de chacun.
De nombreux gestes peuvent être adoptés pour protéger la biodiversité tels que manger local, éviter le suremballage, ne pas déranger les animaux quand je me balade, orienter ses éclairages extérieurs vers le bas,…
De nombreux éco-gestes existent et je vous encourage à aller les découvrir sur le site Biodiversité.gouv.fr