27 avril 2022

Temps de lecture : 3 min

« Avec Twitter, Elon Musk a joué un coup de poker dont il était certain de sortir vainqueur », Julien Pillot (Inseec et CNRS)

Docteur en économie, Julien Pillot est enseignant-chercheur à l'Inseec, professeur associé à l'Université Paris Saclay et chercheur associé au CNRS. Spécialisé dans l'économie de la concurrence et de l'innovation dont il cherche à appréhender les impacts économiques, sociaux et environnementaux, cet économiste s’intéresse tout particulièrement aux stratégies des entreprises de la tech et des industries culturelles et créatives. L'interview par ici!
INfluencia : Avez-vous été surpris par le rachat de Twitter par Elon Musk ?

Julien Pillot : Pas vraiment. Elon Musk a joué un coup de poker dont il était certain de sortir vainqueur. Lorsqu’un joueur fait tapis en misant tous ses jetons, l’expression consacrée dit qu’il donne le mal de tête aux autres personnes présentes autour de la table car elles doivent prendre une décision pour réagir au pari qui leur a été lancé. Quand le patron de Tesla a fait son offre de rachat, il a laissé deux options aux dirigeants de Twitter. Soit ils acceptaient d’empocher un gros chèque tout en sachant qu’ils allaient perdre leur emploi dans les six mois car il ne fait aucun doute que les membres du conseil d’administration vont tous être changés. Soit ils refusaient l’OPA et devaient expliquer à leurs actionnaires pourquoi ils avaient tourné le dos à une énorme plus-value. Dans les deux cas, les patrons du réseau social étaient perdants alors qu’Elon Musk était sûr de sortir vainqueur. Si son offre était acceptée, il mettait en effet la main sur l’entreprise qu’il convoitait et en cas de refus, il était assuré d’empocher une belle plus-value car il savait que son OPA allait mécaniquement tirer le cours boursier de Twitter vers le haut.

IN : Pourquoi les dirigeants de Twitter ont-ils alors résisté à cette OPA durant quelques jours ?

J.P. : Les membres du conseil d’administration de Twitter se sont brièvement opposés à cette offre et ils ont ensuite dit qu’il allait dégainer une pilule empoisonnée pour contrer Musk mais leur unique objectif était de gagner du temps pour lui soutirer un peu plus d’argent.

IN : Ce rachat à 44 milliards de dollars ne risque-t-il pas de fragiliser Tesla et les autres actifs détenus par Elon Musk.

J.P. : Je ne le crois pas. Le fait que le cours boursier de Tesla n’ait pas beaucoup évolué depuis le lancement de l’offre de rachat de Twitter prouve que les marchés ne s’inquiètent pas de l’impact de cette OPA sur les autres sociétés détenues par Elon Musk. Un investissement de 44 milliards de dollars dans une entreprise déficitaire aurait pu créer un sentiment de défiance parmi les investisseurs mais cela ne semble pas être le cas.

IN : Quelles sont les motivations qui ont poussé Elon Musk à racheter Twitter ?

J.P. : Il n’est pas évident de le dire mais il est possible d’extrapoler au regard de ce que le milliardaire a déclaré dans le passé. Elon Muskveut, tout d’abord, être dans la lignée des grands capitaines d’industrie et posséder son propre média afin de suivre les traces notamment de Rupert Murdoch en Australie et au Royaume-Uniou de William Hearst aux Etats-Unis. En France, presque tous les médias sont aujourd’hui détenus par de grands chefs d’entreprise. Ce sont, pour eux, comme des danseuses qui leur permettent d’acheter de l’influence.

Le fondateur de Tesla est, par ailleurs, proche des partis conservateurs et il s’est souvent plaint des algorithmes de Twitterqu’ils jugeaient biaisés. Sur ce réseau, les thèses défendues par la gauche et les wokistes sont mieux représentées que celles de la droite. Donald Trump a même vu son compte annulé par la plateforme. Pour défendre la liberté d’expression, Elon Musk veut changer l’algorithme de Twitter et le rendre plus transparent afin de rééquilibrer le jeu entre la droite et la gauche.

IN : En affichant de la sorte son conservatisme, le milliardaire ne risque-t-il pas de perdre certains des clients de Tesla notamment ?

J.P. : C’est très, très difficile de le dire. Je ne pense toutefois pas que les gens vont arrêter d’acheter ses produits ou d’investir dans ses entreprises lorsqu’ils découvriront qu’Elon Musk est conservateur. Ce mouvement est très fort des deux côtés de l’Atlantique comme le prouve les résultats électoraux. Ses partisans sont de gros investisseurs aussi bien en valeur qu’en volume. Pour les jeunes, Musk est une figure de proue, une icône, une success-story et un modèle à suivre qui les fait rêver. C’est un capitaliste qui leur vend des étoiles, de la technologie et de l’électrification. Ces jeunes sont de moins en moins politisés et ils se moquent de savoir si Musk est conservateur ou partisan de la gauche radicale.

IN : Cet homme d’affaires plutôt fantasque va-t-il gérer personnellement Twitter ?

J.P. : Je le pense. Les capitaines d’industrie s’achètent souvent des médias car cela les amuse et je ne crois pas qu’Elon Musk déroge à cette règle. Il risque donc de passer beaucoup de temps à gérer Twitter car cela va l’éclater.

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