INFLUENCIA : Vous lancez « The Car Summit », un événement qui se tiendra les 16 et 17 avril 2026 à Mulhouse. Avant d’évoquer le contexte dans lequel vous construisez cet événement, pouvez-vous nous présenter la genèse de ce projet ?
Ariana Von Walter Hierso : L’idée d’organiser un grand sommet international de l’automobile est née de mes échanges avec le député Bruno Fuchs (de la commission des Affaires Étrangères de l’Assemblée nationale et président du MNA) dans le cadre d’une mission de conseil (mon agence AVWH) pour le Musée national de l’automobile de Mulhouse. Ce musée qui détient la plus grande collection d’automobiles de véhicules au monde a mis en place une nouvelle stratégie, qui lui a permis, en trois ans, de faire un bond phénoménal en termes de fréquentation, devenant le musée le plus fréquenté du Haut-Rhin. C’est un nouvel élan pour l’établissement mais aussi le territoire. De plus, Mulhouse est un bassin industriel et automobile historique qui concentre un grand nombre de musées techniques et scientifiques, des équipementiers mais aussi des constructeurs comme l’usine Stellantis de Mulhouse. Ce territoire est le plus légitime pour accueillir ce sommet qui se fait sous l’égide du Musée national de l’automobile de Mulhouse.
Nous sommes au début d’une nouvelle ère automobile qu’il va falloir accompagner, ce sommet de l’automobile est un premier pas
Olivier Moulierac : Notre réflexion est partie du constat qu’il n’y avait pas de sommet ou d’événement ambitieux transverse à la hauteur des enjeux économiques d’une industrie automobile qui génère des chiffres vertigineux – plus de treize millions d’emplois de façon directe ou indirecte en Europe (Eurostat), trois points de PIB en France etc.-, contrairement à d’autres industries ou grandes filières. De plus, mettre en œuvre ce forum est d’autant plus important dans un momentum particulièrement compliqué en raison de l’interdiction de l’Union européenne concernant la vente de véhicules à moteur thermique neufs qui prendra effet en 2035. Ce nouveau règlement va changer complètement le paradigme industriel qui était déjà bien chahuté avec l’arrivée de l’électrique et de la décarbonation. À cela s’ajoute à mon avis une méconnaissance de la majorité des Français sur ces normes qui, à ce stade, ne concernent que l’Europe. Ce flou crée une difficulté majeure pour l’industrie automobile qui est confrontée à des changements lourds et des investissements colossaux.
A.VWH : J’ajouterai que l’industrie automobile a été jalonnée de révolutions au cours de son histoire. Certes, nous sommes dans un moment difficile et très tendu notamment pour les constructeurs européens avec des risques notamment en matière d’emplois, mais nous pensons que nous sommes au début d’une nouvelle ère automobile qu’il va falloir accompagner, ce sommet de l’automobile est un premier pas.
La question de la coalition est au cœur de ce sommet
IN. : Dans le contexte actuel où l’industrie automobile traverse une crise sans précédent (concurrence internationale accrue, baisse de la demande, menace de suppressions d’emplois, défi de la transition énergétique… droits de douane plus récemment), ce projet est ambitieux…
O.M : Nous sommes en effet dans un moment où il est difficile d’embarquer les entreprises dans un contexte économique tendu particulièrement dans le secteur automobile. Le paradoxe est qu’il y a une vraie demande de créer un endroit où l’ensemble des parties peuvent travailler et essayer de trouver un chemin commun. C’est pourquoi la question de la coalition est au cœur de ce sommet, l’objectif étant d’engager une conversation avec l’ensemble des interlocuteurs de la filière.
On constate d’ores et déjà l’envie des marques européennes pour la première fois d’échanger ensemble pour se préparer à la vague concurrentielle chinoise, indienne et probablement américaine
IN. : Face au programme protectionniste des États-Unis, ne peut-on y voir une opportunité de rapprochement des acteurs publics et privés européens de la filière ?
O. M : En effet, dans ce contexte, l’Europe a peut-être une opportunité incroyable de se ressaisir et de mettre en œuvre ce qu’elle a autrefois élaboré. On le voit au niveau de l’industrie de l’armement, on peut penser que cela va se produire aussi dans l’industrie automobile. On constate d’ores et déjà l’envie des marques européennes pour la première fois d’échanger ensemble pour se préparer à la vague concurrentielle chinoise, indienne et probablement américaine. Pour autant ce sommet n’a pas vocation à être seulement européen, il faut avoir cette conversation à l’échelle du monde afin d’avoir une meilleure compréhension des enjeux de cette industrie à l’instar de ce qui s’est fait lors du Sommet de l’intelligence artificielle qui s’est déroulé en février dernier à Paris.
IN. Un forum international mais européen, pouvez-vous nous en dire plus ?
O.M : Notre volonté est d’avoir un panel d’interlocuteurs internationaux, mais de fédérer un certain nombre de pays européens dans cette première édition. Si dans sa nature, le sommet représente une forme de coalition européenne, nous en serons très heureux. Mais à terme, nous souhaitons que ce forum soit véritablement un événement international à horizon deux-trois ans. Les volets éditoriaux seront déployés autour d’une forte représentation internationale avec des contenus sur la Chine, l’Inde mais aussi les États-Unis.
Notre initiative est profondément européenne pour permettre à l’ensemble des acteurs de cette industrie de se parler
IN. : Vous parlez d’une coalition notamment au niveau européen, quelles sont vos ambitions ?
A.VWH : On se rend compte de la nécessité de créer un espace de concertation qui n’existe pas, d’autant plus avec les différentes normes (CAFE, 2035…) mises en œuvre pour les constructeurs, les pénalités qui pourraient peser des milliards d’euros. Au-delà de la coalition au niveau européen pour l’automobile, c’est aussi un certain nombre de sujets en corrélation avec les normes européennes comme la question du marché unique qui sont en jeu.
O.M : En effet, il y a un momentum qui va au-delà de la question automobile, car nous sommes dans un monde qui n’a jamais été aussi percuté avec l’émergence de pensées malveillantes. Nous avons la chance d’être sur le continent européen et d’avoir un arc démocratique relativement puissant même s’il est challengé en ce moment, et l’industrie automobile participe aussi de ce moment charnière. Il ne s’agit pas de faire du protectionnisme à outrance, mais de se regrouper pour essayer d’harmoniser nos intérêts communs pour mieux les défendre. L’industrie automobile aujourd’hui est encore très verticale. Notre initiative est profondément européenne pour permettre à l’ensemble des acteurs de cette industrie de se parler.
La parole du politique est clé car le sujet est (…) de trouver des terrains d’entente et que cela serve à quelque chose, ce qui nécessite la présence de l’ensemble des protagonistes
IN. : Un sommet sous le haut-patronage d’Emmanuel Macron, la présence du politique fait partie de votre projet ? Votre objectif est de réunir des représentants étatiques des différents pays européens.
A.VWH : Créer de la concertation et de la coalition ne peuvent s’imaginer sans le politique, d’ailleurs les normes qui concernent le secteur automobile sont dictées par les instances politiques européennes. Cela nous semble donc à la fois naturel et intéressant de mettre tout le monde autour de la table dont les politiques. Nous assistons en ce moment à un renouvellement du couple franco-allemand, nous observerons donc en avril 2026 comment ce tandem projette concrètement une nouvelle vision de la coopération européenne.
O.M : C’est vrai, la parole du politique est clé, car le sujet est de créer les conditions d’un débat respectueux mais aussi, comment trouver des terrains d’entente et que cela serve à quelque chose, ce qui nécessite la présence de l’ensemble des protagonistes. Il faut entendre ceux qui légifèrent mais aussi les maires des grandes villes et challenger les dichotomies des visions. Nous sommes dans un moment où naissent des modalités d’appartenance nouvelles, de la propriété à l’usage par exemple. Ce qui est fascinant avec cet objet, c’est soit il crée une adhésion très forte ou un rejet mais il ne laisse pas indifférent. La « bagnole » est un concentré du progrès humain, technologiquement et industriellement. Les grandes innovations dans la sécurité et les infrastructures par exemple viennent de l’automobile. C’est aussi l’objet ultime synonyme de liberté, très présent dans l’art et l’entertainment. Il reste un objet iconique, c’est aussi cette question de l’objet en tant que tel qui sera abordée lors de ce sommet.
A.VWH : Il ne faut pas oublier la dimension de fascination, la dimension de séduction et la dimension quasi-mythologique au sens de Roland Barthes, c’est dans cette coalition et cet espace de concertation que nous voulons rappeler notamment à travers des axes culturels combien la voiture fascine encore et toujours.
Le format que nous proposons aujourd’hui n’existe pas
IN. : Permettre de trouver des terrains d’entente et que ce sommet serve à quelque chose. L’ambition est-elle d’aboutir à la mise en œuvre d’actions concrètes à son issue ?
O.M : c’est évidemment notre ambition, le sujet n’est pas de faire un événement de plus, à notre humble niveau l’idée est de faire avancer les sujets. Il y a des événements prospectifs sur l’automobile et sur la mobilité ou des salons de l’automobile mais le format que nous proposons aujourd’hui n’existe pas. Notre événement va rassembler l’ensemble de la chaîne de valeurs qui est vaste, nous avons même prévu d’adresser un sujet pour les maires des grandes villes dans lesquelles il y a un changement de paradigme sur la gestion de la place et l’usage de la voiture dans la ville. Notre objectif est d’avoir une conversation qui soit pérenne et tout au long de l’année. Nous prenons des dispositions pour permettre à l’ensemble de notre communauté d’avoir la capacité d’échanger et de poursuivre les débats avec la mise en place d’une plateforme participative. C’est aussi une façon de faire de l’idéation et de recueillir des insights pour ensuite les traiter d’un point de vue éditorial.
Il y a un travail en sous-main avec les sherpas qui travaillent de leurs côtés
A.VWH : Il y aura également la parution d’un livre blanc qui retracera l’ensemble des débats, les conférences filmées seront en accès libre pour les chercheurs, les universitaires, le grand public… Notre ambition est que les gens puissent en fonction des débats commencer à tisser des liens plus apaisés… comme le font des forums comme Davos.
O.M : Il y a un travail en sous-main avec les sherpas qui travaillent de leurs côtés, on va créer les conditions de cette rencontre, permettre à notre communauté en amont et en aval de poursuivre ces discussions. Nous sommes en année un de l’événement, la plus difficile, mais nous espérons après, organiser des rendez-vous avec d’autres types de formats dans de grandes villes d’Europe sur des jauges moins importantes pour continuer à créer les conditions d’échanges.
Notre volonté est de travailler en étroite collaboration avec différentes organisations patronales de la filière
IN. : Vous évoquez les salons de l’automobile, on pense tout de suite au Mondial de l’automobile de Paris… Comment vous positionnez-vous par rapport à ce grand rendez-vous international (re)connu ?
A.VWH : Nous sommes complémentaires. Notre format est bien différent de celui du Mondial de l’auto. Notre volonté est de travailler en étroite collaboration avec différentes organisations patronales de la filière, notamment avec Xavier Horent de Mobilians qui représente les métiers de la distribution et des services de l’automobile. Cette structure dispose d’un grand reach sur le monde de l’automobile, elle nous accompagne pour entraîner l’écosystème et construire un éditorial commun autour du projet. Nous étions, d’ailleurs, au Salon de l’Automobile de Shanghai, la semaine dernière, avec une délégation française invitée par Mobilians. Nous échangeons aussi avec Luc Chatel (président de la Plateforme Automobile – PFA), un acteur incontournable du secteur.
Cela rend difficile de réaliser un éditorial avec une actualité qui change en permanence, ce qui est sûr c’est la thématique principale du sommet « 2035 ! »
IN. : L’actualité économique et géopolitique est-elle une contrainte forte dans la construction et l’organisation de ce sommet ?
O. M : Oui, c’est une des difficultés à laquelle nous sommes confrontés face à une actualité quasi-hebdomadaire dense que ce soit sur la question des normes ou des innovations. Notre chance est d’avoir noué des relations avec les acteurs de cette industrie et les institutions qui nous alertent, mais cela va très vite. Cela rend difficile de réaliser un éditorial avec une actualité qui change en permanence, ce qui est sûr c’est la thématique principale du sommet « 2035 ! ». Comment on accompagne la transformation de cette industrie pour arriver à la norme fixée par la Commission européenne concernant l’arrêt du moteur thermique qui ne concerne que l’Europe. Cela crée une fracture par rapport au reste du monde. Les constructeurs non-contraints par cette norme sont favorisés par rapport à ce changement de paradigme ; le projet est donc de trouver des terrains d’entente pour préserver l’industrie automobile européenne et française.
Plusieurs ministres soutiennent activement The Car Summit
IN. : Vous avez annoncé le soutien d’un grand partenaire ? Quel est votre modèle économique ?
A.VWH : Oui, nous avons le soutien de la Région Grand Est qui est un acteur important avec un arc industriel très puissant sur le nord-est de la France, au cœur de l’Europe. Plusieurs ministres soutiennent activement The Car Summit, dont le ministre de l’Industrie et des Énergies Marc Ferracci. D’autres acteurs vont nous rejoindre mais il est encore un peu tôt. Nous sommes sur un modèle qui s’appuiera sur un quart de subventions et trois quart de financements privés (partenaires). Nous mettrons également en place une billetterie très accessible, avec un objectif de 2000 visiteurs par jour.
O.M : Nous compilons le budget pour le moment. L’événement va se dérouler au parc des expositions de Mulhouse, situé à 400 mètres du Musée national de l’automobile de Mulhouse, sous l’égide du musée. Nous travaillons actuellement sur la logistique et la scénarisation (une scène principale et deux scènes secondaires), nous voulons faire quelque chose d’innovant. Il y aura une « allée de l’innovation », où nos partenaires pourront showcaser sur leur innovation, avec une esthétique qui soit uniforme au lieu et une homogénéité dans la direction artistique et dans l’esprit.
Nous sommes en train de mettre en place une consultation nationale auprès des Français sur leur rapport à l’automobile, avec make.org
IN. : Vous attendez 2000 visiteurs par jour, à qui s’adresse ce sommet ?
A.VWH : Il s’adresse à un public business mais aussi au grand public, avec une dynamique éducative et de formation. Dès le début, nous nous sommes rapprochés du pôle universitaire de Mulhouse qui travaille notamment sur la voiture autonome et, avec d’autres pôles universitaires autour de l’innovation. Nous voulons nous adresser aux professionnels bien entendu mais aussi aux étudiants, aux enseignants, aux passionnés et aux utilisateurs.
O.M : À ce sujet, nous sommes en train de mettre en place une consultation nationale auprès des Français sur leur rapport à l’automobile, avec make.org. Cela va nous apporter du matériau supplémentaire pour la ligne éditoriale de la programmation de l’événement.
Nous avons fait appel à des scénographes et un directeur photo pour imaginer une mise en scène différente dans un lieu qui offre de multiples possibilités
IN. : Je reviens sur l’organisation de l’événement. Travaillez-vous avec une ou des agences ?
O.M : Nous dirigeons vers un modèle de production et de logistique en interne, nous avons déjà commencé à constituer une équipe. Concernant le volet communication, nous sommes en train d’identifier des prestataires notamment pour nous accompagner sur le volet digital et la production de contenu. La partie technologique sur le développement d’une application et d’un outil pour gérer notre communauté demande des compétences qui nécessitent des moyens. Nous identifions également des acteurs sur cette problématique. Concernant le plan média, nous sommes dans une première édition qui s’appuiera sur de l’échange avec des partenariats, il y aura une campagne de communication en affichage et sur les supports digitaux. Enfin, nous avons fait appel à des scénographes et un directeur photo, des professionnels du monde du cinéma et du théâtre pour imaginer une mise en scène différente dans un lieu qui offre de multiples possibilités fort d’une hauteur de 10 m.
L’idée est d’installer ce rendez-vous annuel dans le temps (…) dans la perspective 2035
IN. : La première édition sera-t-elle décisive pour organiser un deuxième sommet ou avez-vous déjà signé pour plusieurs éditions ?
A.VWH : L’idée est d’installer ce rendez-vous annuel dans le temps, pour la région, la ville de Mulhouse et l’agglomération qui nous soutiennent. Là encore, si nous prenons la perspective 2035, le sujet mérite bien deux jours dans l’année, l’industrie automobile est au confluent de nombreux sujets. Mais nous restons prudents dans le contexte actuel.
IN. : Enfin, allons-nous retrouver de l’ADN des Napoleons (rencontres pour échanger des idées et réseauter pour le secteur de la communication et l’innovation), que vous aviez co-fondé il y a plus de dix ans ?
O.M : Oui, la curiosité et l’ouverture d’esprit… qui manque à cette industrie verticale mais qui a la volonté de s’ouvrir. Elle a fonctionné pendant des années de manière « automatique » avec notamment la nécessité d’acheter une voiture mais les cartes ont été sévèrement remaniées ces dernières années sur de nombreux sujets dont celui de l’empreinte carbone. Néanmoins, il reste toujours la notion du plaisir… de l’automobile.