INfluencia : en parvenant à lever 680 millions de dollars, la start-up française fondée en 2018, Sorare voit aujourd’hui sa valorisation atteindre 4,3 milliards de dollars. Avez-vous été étonnée de voir une plateforme qui permet d’acheter et de vendre des cartes de joueurs de football sur une blockchain Ethereum boucler une telle opération ?
Aurore Geraud : il suffit d’observer les investissements qui sont débloqués actuellement en faveur des NFT pour n’être aucunement étonnée par le montant de cette levée de fonds. Ces jetons numériques, qui permettent notamment d’acquérir toutes sortes d’objets virtuels à collectionner comme des cartes, des images ou encore des GIF, sont de plus en plus populaires , Sorare a développé un modèle très tangible qui intéresse à la fois les gamers, les amateurs de paris sportifs et les passionnés de ballon rond. Le « fantasy football » est, de surcroît, très populaire aux Etats-Unis. Sorare est aussi soutenu par de grandes équipes, des championnats comme la Bundesliga, des Fédérations comme la FFF et par des joueurs connus. Gérard Piqué, le défenseur de Barcelone, est son conseiller stratégique. Antoine Griezmann et l’allemand André Schurrle sont, eux, des investisseurs historiques de la société. La valeur potentielle de cette start-up est en cela nettement plus facile à percevoir par exemple, que celle des NFT artistiques.
les NFT intéressent surtout des jeunes hommes blancs, curieux, qui ont de l’argent à investir et qui sont tech savvy
IN : Quel est l’avenir des NFT ?
A.G. : On va voir de plus en plus de NFT dans les années à venir. Le problème actuel de ces jetons est leur popularité auprès du grand public et les questions liées à leurs valeurs. Jusqu’à maintenant, les NFT intéressent surtout des jeunes hommes blancs, curieux, qui ont de l’argent à investir et qui sont tech savvy. Les particuliers ne se préoccupent pas trop de ces jetons car ils n’ont pas les connaissances technologiques pour les exploiter au mieux. Beaucoup de gens restent, et je les comprends, très réfractaires aux NFT car ces investissements sont ultra-risqués. Utiliser des crypto-monnaies pour les échanges comme le fait Sorare est un frein supplémentaire car tout le monde n’est pas très à l’aise avec ces devises pour des raisons techniques notamment. Il y a enfin un véritable effort à faire en matière d’éducation pour faire comprendre aux particuliers ce que sont réellement ces jetons numériques.
IN : Le succès des NFT sera donc assuré lorsque le grand public sera bien formé…
A.G. : L’avenir le dira. Les NFT ont déjà commencé à s’étendre au-delà du marché de l‘art et ce phénomène va continuer de s’amplifier dans les années à venir. Certains clubs de football comme Arsenal, la Juventus, le PSG, les Queens Parks Rangers ou Burnley FC, qui ont vu leurs recettes s’effondrer durant la crise sanitaire, vendent des NFT sous la forme de fan tokens qui permettent aux fans qui les achètent d’avoir une influence sur les décisions qui sont prises par les dirigeants de leurs équipes préférées. Dans le secteur de l’entertainment, des plateformes proposent des NFT qui permettent d’assister à des concerts exclusifs de grandes stars. Les marques de luxe et de beauté s’intéressent également à ce marché. Certaines vendent des vêtements pour habiller les avatars ou les photos digitales des personnes qui les achètent. Gucci est notamment très actif dans ce domaine. Dans le jeu multi-joueurs Decentraland, les joueurs peuvent acquérir des parcelles de terrains en NFT et on commence à voir des entreprises construire leurs bureaux sur cette plateforme afin de faire leur promotion. Un centre commercial devrait par ailleurs bientôt permettre aux marques de vendre leurs produits sur ce jeu. Ces jetons ne permettent donc pas seulement d’acheter des objets virtuels. Ils peuvent aussi vous donner un accès à un événement unique. Il n’en est pas moins que les NFT doivent séduire le grand public pour réellement se développer.
En résumé
La Covid, encore elle, a accéléré le mouvement. Encore un direz-vous? Mais quoi de plus compréhensible pour les NFT que de se répandre comme une trainée de poudre à l’heure où le virtuel prend le pas sur le réel qui pendant deux ans nous a tant fait défaut. Ainsi après la vague artistique et ses ventes mirobolantes d’oeuvres virtuelles, le luxe avec Gucci, notamment, c’est maintenant au tour du « Fantasy football » de faire son show… L’idole du moment? Sorare qui après 3 ans d’existence, opère une levée de fonds de 680 millions de dollars… Un montant qui ne fait même pas sourciller Aurore Geraud, chercheuse à L’Atelier BNP Paribas…