INfluencia : Votre coup de cœur en ce moment ?
Ariel Wizman : mon coup de cœur de cet été est l’Albanie. Je ne connaissais absolument pas ce pays sur lequel il y a tellement de clichés, comme si c’était un peu une Corée du Nord à peine remise sur ses pattes et avec une mafia galopante. J’ai découvert un pays somptueux dans ses paysages, son relief, une vraie humanité, une industrie hôtelière très humble. Certes, on ne vous souhaite pas : « bonne fin d’appétit » et il n’y a pas de serveuses mannequins qui virevoltent. Mais en fait cela correspond exactement à l’endroit où il faut passer ses vacances pour déconnecter complètement. Surtout, je me suis rendu compte que c’était un peuple qui avait subi énormément d’invasions, qui n’avaient laissé pratiquement aucune influence. Les Albanais ne sont ni ottomans, ni byzantins, ni italiens. Ils sont authentiques dans leur identité : ils seraient d’ailleurs l’un des peuples les plus anciens d’Europe puisqu’on a découvert un village en Albanie qui daterait de 8500 ans !
Je vis relativement plus dans l’instant que les autres. Je suis resté encore un enfant
INf. : Et votre coup de colère ?
A.W. : je ne suis pas quelqu’un qui se met particulièrement en colère. Mais d’une manière générale je pense qu’à un moment il faudra que les gens réagissent à la restriction de leur liberté dans leur vie quotidienne en France et dans le monde. Une restriction évidente et hélas inévitable. On le voit aujourd’hui avec les dictatures traditionnelles de droite ou de gauche, avec la montée de dirigeants populistes, que ce soit en Italie, en Turquie, aux États-Unis avec Trump ou en Russie. Et si on ajoute à cela une technologie de plus en plus intrusive et galopante, oui, cela me met un petit peu en colère. Et quand on sait que, si véritablement on veut faire face aux bouleversements climatiques, il faudra une quasi-dictature écologiste, cela laisse encore plus d’espace à l’anxiété. Cela dit, je ne suis pas inquiet de nature puisque que je vis relativement plus dans l’instant que les autres. Je suis resté encore un enfant… L’enfant, il ne vit pas dans le passé, il n’en a pas, l’avenir il ne sait pas de quoi il peut être fait, on le lui reproche souvent d’ailleurs. Ce n’est pas mal finalement de vivre un peu dans le présent
INf. : La personne ou l’événement qui a le plus compté pour vous, en dehors de votre femme Osnath Assayag et vos cinq enfants bien sûr
A.W. : ceux et celles qui m’ont le plus marqué dans ma vie étaient certainement plus des personnes penchées sur des livres que des hommes ou des femmes d’action. Je pense notamment à mon grand-père qui était un grand rabbin, ou à Emmanuel Lévinas dont j’étais l’élève à l’Enio (Ecole normale israélite orientale). Mais aussi à des gens qui m’ont fait du bien de manière très modeste ou furtive : Jean-François Bizot, qui était le directeur d’Actuel et de Radio Nova et qui m’a donné une chance qui ne s’est jamais démentie, ou Alain de Greef, dont j’ai découvert des années et des années plus tard, alors qu’il était déjà mort, qu’il m’avait fait un CDI à Canal…
Les médias c’est célèbre pour dénaturer ceux qui y travaillent! Mais ni la notoriété, ni le moment où j’ai gagné de l’argent ne m’ont changé fondamentalement
INf. : Votre plus grande réussite…
A.W. : ma plus grande réussite dans ma vie est de ne pas avoir trop changé. Je pense que la réussite matérielle n’a pas grand sens, et dire que ma réussite, ce sont mes enfants ou mon mariage, c’est un peu abstrait. En revanche je suis fier d’avoir pu garder un peu l’élan que j’avais quand j’avais 14, 15 ou 16 ans et un peu de cette insouciance dont j’ai besoin tous les jours parce que je trouve que les vies des gens sont plutôt tristes. J’ai eu la chance de ne pas trop me compliquer la vie, de ne pas trop aller chercher des contraintes. Les gens s’intoxiquent eux-mêmes très facilement. Mais moi j’essaie de garder les choses assez saines qui étaient celles qui me plaisaient quand j’étais tout jeune. Et même si j’ai beaucoup changé dans ma vie, mon noyau est toujours le même et c’est une réussite personnelle. Pourtant, je suis passé dans des milieux compliqués ! Les médias c’est célèbre pour dénaturer ceux qui y travaillent! Mais ni la notoriété, ni le moment où j’ai gagné de l’argent ne m’ont changé fondamentalement. J’ai pu maintenir cette espèce de petit souffle de bonheur qui m’habite toujours.
INf. : Et votre plus grand échec
A.W. : il y en a sûrement une foultitude mais je parlerais plutôt de regrets. J’aurais aimé évidemment avoir d’autres activités : être médecin, avoir plus d’impact sur la société, découvrir plus tôt certaines choses. Je me suis éloigné de la spiritualité juive pendant très longtemps avant d’y revenir. Comme le disait le philosophe Benny Lévy ‘tout le temps que j’ai passé à étudier autre chose c’était du temps perdu’, mais je ne suis quand même pas aussi extrême que lui.
Il y a des gens qui sont formés soit par leur éducation, soit par leur naissance, à réussir des choses gigantesques sans avoir besoin de se rassurer ou de guetter le regard des autres. Ce sont des gens comme ça que je regrette de ne pas être. Depuis que je me suis aventuré dans le monde des affaires et des chiffres, j’ai découvert des personnes que j’admire pour leur ténacité, leur ignorance du risque, leurs compétences extrêmes. Je me demande aujourd’hui comment en faisant des bulles de champagne chaque jour j’ai pu considérer que ces gens-là avaient une vie terne et inintéressante. Comme le dit l’autre, mes origines sont modestes mais moi je ne suis pas (rires…). En fait, faire de la télé quand on en a l’occasion, c’est formidable parce qu’on en tire beaucoup d’avantages et une certaine facilité. Cette facilité est rémunératrice et gratifiante, mais elle ne vous éduque pas beaucoup…
Je suis fortement motivé par la foi, par le sentiment de faire de la place dans ma vie pour les autres et pour Dieu
INf. : qu’est-ce qui vous motive dans la vie ?
A.W. : c’est ce que Bergson aurait appelé « l’élan vital », c’est à dire cette volonté d’être, ce refus de l’anéantissement, cette urgence de penser tout ce qui m’arrive, de ne pas trop intellectualiser mais en même temps d’être tout le temps conscient d’être relié aux autres. Je ne peux pas dire que seules des choses nobles me motivent – j’ai, comme tout le monde, l’anxiété de ne pas avoir suffisamment de moyens matériels – mais j’essaie de faire en sorte d’avoir des plaisirs constants qui se renouvellent un peu chaque jour en sachant que rien ne peut être éternel. Et je suis fortement motivé par la foi, par la pratique religieuse, par le sentiment de faire de la place dans ma vie pour les autres et pour Dieu.
INf. : s’il y avait un moment off, quel serait-il pour vous ?
A.W. : je pense que personne n’a vu l’extraordinaire création qu’est ce monde dans son absolue diversité. Moi j’éprouve toujours une énorme curiosité, comme Boris Vian quand il dit « je voudrais pas crever avant d’avoir connu… »*, pour les endroits où je ne suis pas allé : la Mongolie, les villages d’Indonésie, le fin fond de l’Alaska… J’ai envie d’essayer de comprendre à travers tous ces paysages ce qu’est la terre et ce qu’est l’humain.
INf. : Le personnage que vous auriez aimé être
A.W. : Eh bien, personne, parce que vouloir être un personnage, c’est vouloir être quelque chose qui est regardé comme tel. En fait, je me suis développé en ne pensant pas aux regards des autres. Donc être un personnage ça ne sera jamais mieux qu’être moi-même…. D’une manière générale il y a déjà assez de boulot à être soi-même, alors si en plus il faut s’inventer quelqu’un d’autre… Ce qui est intelligent dans Spider-Man c’est que c’est un type tout à fait banal. Et une fois qu’il n’a plus son costume en latex, il redevient banal…
Sur une île déserte, comme compagnon, je ne choisirais jamais un artiste ni même un écrivain
INf. : Quelle est votre plus grande extravagance ?
A.W. : franchement j’ai fait beaucoup extravagances et je ne suis pas fier de toutes. Mais je dirais que la plus grande a été de changer tout à coup d’orientation il y a quelques années en devenant entrepreneur et de rentrer dans une carrière à laquelle rien ne me préparait (ndlr: en prenant la franchise exclusive de la marque chinoise d’accessoires Miniso). J’avais quand même déjà 58 ans. Ça n’a pas été simple mais j’ai découvert un monde passionnant.
INf. : quelle personne emmèneriez-vous sur une île déserte, en dehors de votre famille bien sûr
A.W. : ce qui est sûr, c’est que comme compagnon, je ne choisirais jamais un artiste ni même un écrivain, mais plutôt un individu lambda que je n’ai pas encore rencontré, en fonction de son énergie, de son instinct de survie et de sa capacité à entretenir des liens tout simplement. Mais en tout cas pas une personne que j’admire parce que je pense qu’à partir du moment où on a fait œuvre artistique, on a mis de côté un certain nombre de qualités humaines indispensables à vivre sur une île déserte avec quelqu’un.
* »Je voudrais pas crever« , poème de Boris Vian: « Je voudrais pas crever Avant d’avoir connu Les chiens noirs du Mexique Qui dorment sans rêver Les singes à cul nu Dévoreurs de tropiques Les araignées d’argent Au nid truffé de bulles Je voudrais pas crever Sans ... »
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L’actualité de Ariel Wizman
- Ariel Wizman a obtenu il y a plus de 3 ans, avec Nicolas Rey et Jonathan Siboni, la franchise exclusive de la marque chinoise d’accessoires Miniso pour la France, qui compte aujourd’hui 18 boutiques en France
- Il publie un livre sur le Maroc aux éditions Assouline fin octobre « Maroc, terre de lumière », qui est dit-il « un chant d’amour pour l’un de mes deux pays » (ndlr : il est né à Casablanca, pays que sa famille a dû quitter pour la France quand il avait 5 ans) et prévoit de sortir « un livre par an jusqu’à [son] trépas », sur des villes, des voyages…
- Il est chroniqueur sur Les Grosses Têtes sur RTL
- il s’adonne régulièrement à sa passion de DJ