INfluencia : petit retour sur ce qui a motivé il y a deux ans la création de BTA… Rappelez-nous les circonstances de cette décision ?
Anne Boistard: cela faisait 10 ans que je travaillais dans la pub, et après toutes ces années de surcharge de travail, de harcèlement, de constats aussi de ma part sur ce que certains managers faisaient vivre à mes collègues, j’ai fini par succomber à un burnout qui a duré 6 mois, et ou je vivais H24 sous anxiolytiques, et antidépresseurs. C’est mon médecin, d’une certaine manière qui m’a expliqué ce que je vivais et m’a quasiment ordonné de prendre de la distance pour ne pas me mettre en danger. C’est alors que j’ai créé BTA, pour permettre à celles et ceux qui étaient harcelés, n’osaient pas en parler et se pensaient fous, de s’exprimer sur la plateforme.
IN. : le déclencheur a été un refus de rupture conventionnelle…
A.B. : oui en fait, j’avais demandé à quitter l’agence qui m’employait, en ayant recours à une rupture conventionnelle, et cette dernière m’a été refusée. La réponse faite par mon employeur a été très claire : « tu vas aller aux prudhomme, et tu n’obtiendras rien« .
IN. : vous évoquez troistypes de harcèlement…
A.B. : oui le harcèlement sexuel, le harcèlement moral et le hacèlement sexuel d’ambiance. Quand vous entendez « elle a ses règles ou quoi », « un coup de fil et ta carrière est morte », que vous comprenez que l’agence qui vous embauche est un musée dédié au sexe, avec des godes, des pistolets à eau en forme de pénis, et un boss qui se flatte d’être fan de pornographie…ou affiche un tableau pornographique dans son bureau, vous finissez par avoir envie de vomir, et c’est cela leharcèlement d’ambiance.
IN. : vous êtes victime de violence de la part de votre compagnon de l’époque…
A.B. : oui, ce que je ne comprends pas immédiatement, car je crois naïvement que s’il me pousse dans les escaliers maladroitement c’est un accident de parcours, puis cela se confirme, il me jette des verres d’alcool au visage, etc… Les voisins m’entendent hurler, appellent la police. A cette époque, le seul refuge pour moi c’était le travail, un endroit sécure où je peux vivre tranquillement, travailler, or je me retrouve là aussi humiliée.
IN. : vous finissez par devenir freelance…
A.B. : oui, je fais un freelance pour Josiane, qui se passe très bien, ce qui me rassure, mais lorsque j’accepte un poste, je sens que cela ne tourne pas rond. Un planer stratégique a le pouvoir dans cette agence, le turn over est « énorme, 10 sur 12 personnes quittent la société, et lorsque je parle à Laurent Allias de ce planer qui harcèle tout son petit monde, il me répond qu’il s’agit d’exigence de sa part, et non de harcèlement… et que « je n’ai sans doute pas les épaules pour ce poste », je finis par tomber dans ce que l’on appelle une anxiété généralisée, et au bout de six mois je crée BTA.
IN. : vous dites que le harcèlement existe dans tous les milieux, mais n’est pas forcément de même nature ?
A.B. : oui ce que je constate c’est que Balance ta startup est plus le fait de jeunes loups qui parviennent à faire des levées de fonds astronomiques mais qu’ensuite, ils ne savent pas manager et sont des harceleurs par manque « de formation », très souvent. Dans la pub, c’est plutôt le fait d’un milieu sexiste, ou les charrettes sont nombreuses, ou l’on rentre tard, ou du coup on boit, on se drogue, on sort… Tout cela entraine une absence totale de respect, désinhibe à l’extrême… Après il y a les malades, pervers narcissiques, là c’est encore un niveau au-dessus…
IN. : BTA fait toujours beaucoup de bruit, qu’est-ce que ce mouvement a changé ?
A.B. : il fait peur, alors les gens se tiennent à carreau. Depuis que BTA est née, il y a des femmes et de hommes dont c’est le lieu de parole qui sauve, qui permet de s’exprimer, il y a même certains managers qui m’ont remercié parce que cette initiative leur avait permis de comprendre ce qui n’allait pas dans leur boîte… Mais est arrivé le moment où je me suis dit, qu’il y avait mieux à faire, que de dénoncer ou recueillir la parole des personnes meurtries. Que ce coup d’essai n’était qu’un début, qu’il fallait passer d’un media de dénonciation, à un rôle d’accompagnant dédié aux entreprises, pour régler les problèmes à la racine, un mal ancré dans la société, et c’est là que j’ai décidé de monter Balanced, en juin dernier.
IN. : racontez-nous en quoi consiste Balanced …
A.B. : Balanced c’est l’équilibre. Mon propos avec cette société est de réinstaurer l’équilibre des forces au sein des entreprises. Pour ne parler que de ce sujet, en France, on ne forme pas les gens à devenir managers, on les propulse à ces postes et bien souvent ils n’ont ni les qualités humaines, ni les l’empathie, et pensent que la dureté est la seule voie pour s’imposer. Par ailleurs manager veut tout et rien dire. On ne dirige pas 30 personnes, 10 personnes comme on en dirige 200. C’est un vrai métier fait d’expertise et d’humain, de psychologie. Il s’agit d’être empathique… Et les mauvais managements ont un coût pour les entreprises. Celui des arrêts de travail, du turnover, des procès, etc.
IN. : vous n’êtes pas coach ou psychologue vous-même comment comptez-vous vous y prendre ?
A.B. : en fait nous sommes trois associés, Julien Héron, Clémentine Finkel, tous deux anciens de chez Publicis. L’idée est d’auditer des sociétés qui en ressentent le besoin. Et pour ce faire, au sein de Balanced, nous avons créé une association composée d’avocats, de psychologues, de coachs, de sophrologues, de spécialistes du bien-être, auxquels nous faisons appel pour auditer les entreprises, les harmoniser, équilibrer les rapports en agence ou au sein des sociétés. 10% de notre chiffre d’affaires sera ainsi reversé à cette association pour indemniser les services de ces professionnels.
IN. : le télétravail a aussi changé la donne, le sens même du travail a évolué, vous arrivez sur un gros chantier là aussi…
A.B. : la covid a changé notre rapport au travail. Il y a une quantité de locaux immenses et vides… Les salariés ont eu un aperçu de ce qu’ils pouvaient négocier en télétravail entre vie personnelle, familiale et travail. Un exemple qui peut paraître insignifiant : beaucoup d’entre eux font des siestes maintenant. Il devrait exister des salles pour dormir et recharger les batteries sans que cela provoque des remarques sur la qualité du travail. Les open-spaces ne conviennent pas à ceux qui doivent se concentrer. La malbouffe des cantines est un vrai enjeu aussi…
IN. : déjà des clients ?
A.B. : oui un client très important qui nous confie une mission d’un an ! Mais je ne peux rien dévoiler encore. La création de notre structure date seulement de juin !