5 avril 2021

Temps de lecture : 7 min

Antoinette Beatson, BETC : « nous devons être le garde-fou de toute espèce de washing « 

Elle ne fait pas souvent parler d'elle, discrète, bosseuse, intègre, elle fait le beau temps chez BETC, qu'elle surnomme sa famille. La talentueuse Antoinette Beatson s'exprime en exclusivité pour INfluencia. Ce fut un plaisir, Madame.
INfluencia : Executive Creative Director chez BETC, vous venez de signer un film Roche Posay qui rompt les codes et s’impose par sa « responsabilité ». Est-ce cela la nouvelle communication que l’on doit désormais mettre en place pour être légitime?

Antoinette Beatson : il n’y a pas de communication responsable sans marques ou entreprises d’abord responsables. La communication seule ne permet pas ou permet guère de s’acheter une quelconque forme de légitimité. Cela ne se gagne que par des actes forts, une motivation sincère, un rôle utile ou significatif. Quand ceci existe bel et bien, alors oui, c’est la fonction de la communication que de le faire savoir. Sinon, cela s’appelle du purpose-washing .

IN: le climat, la pandémie, la crise économique, la reconquête de la biodiversité, la montée des populismes… nous vivons une période de mutation, est-ce compatible avec ce métier censé vendre « du rêve » aurait-on dit à une époque ? Comment exprimeriez-vous le rôle de la publicité désormais ?

A.B. : nous ne sommes plus dans le bullshit. Je pense que notre métier ne vend plus du rêve depuis longtemps. Avec l’urgence climatique et la crise socio écologique toutes les certitudes ont volé en éclats. Cette pandémie nous a rappelé que tout peut s’arrêter du jour au lendemain, que nous sommes tous logés à la même enseigne. Il y a une défiance de plus en plus grande des politiques, des médias et plus globalement de toutes les informations que nous recevons. Le rôle de la pub, et donc des agences, est d’accompagner nos annonceurs dans ce shift gigantesque entre le monde d’avant vs le monde d’après. Les aider dans leur transformation. Faire de la publicité responsable va devenir clé dans leur communication et nous devons être le garde-fou de toute espèce de washing. Il est fondamental aujourd’hui d’avoir conscience de la réalité dans laquelle les gens vivent, de ce qu’ils ressentent, éprouvent, traversent en ce moment, au moment où vous leur parlez. Il faut que la pub reste un espace où ils se sentent compris.

IN. : au sein de BETC quel est le fonctionnement pour vous. Vous choisissez les budgets en fonction de votre sensibilité ?

A.B. : oui, j’essaye de le faire autant que possible.

IN. : y-a-il un sujet que vous avez traité en com que vous pensiez très lointain de vos préoccupations, et qui finalement vous a conquis ?

A.B. : oui ! Disneyland Paris ! Au départ c’était loin de mon univers mais participer à des réunions où l’ordre du jour c’est Marvel, Pixar, Star Wars c’est génial ! La collaboration avec l’équipe chez l’annonceur est formidable et ça se voit dans le travail qu’on produit. Nous sommes particulièrement fiers du film : The little duck

IN. : avez-vous éprouvé des difficultés ou un rejet à l’égard des nouvelles technologies dont on use et abuse peut-être aujourd’hui ? (Tiktok, Twitch, Insta, etc)

A.B. : je pense qu’on ne peut pas faire ce métier sans être sur les réseaux sociaux et connaitre leur fonctionnement. Je suis plus observatrice qu’active mais totalement accro a tiktok en ce moment ! (trop)

IN. : on parle beaucoup de l’hypersensibilité actuellement (artistique notamment) avec la sortie de plusieurs ouvrages et les révélations de plusieurs artistes… Diriez-vous que vous l’êtes, et que ce métier demande ce type de profils ?

A.B. : je ne sais pas si notre métier requiert d’être hypersensible, il y a très certainement des gens extrêmement talentueux qui le sont et d’autres qui ne le sont pas. En revanche, je ne vois pas comment l’on peut exercer ce métier sans avoir un minimum d’empathie. Sinon, comment prétendre comprendre les gens à qui nous nous adressons, savoir comment leur parler, comment les toucher si vous êtes incapables de vous mettre à leur place une seule seconde ? C’est là encore à mon sens une dette que nous avons vis-à-vis de nos audiences et un prérequis quel que soit le public visé ou le sujet concerné. Lorsqu’on fabrique un objet (i.e. la publicité) que les gens ne choisissent pas particulièrement de regarder, on se doit évidemment d’être juste.

IN. : à bien y regarder, les directrices de création sont rares… Disons qu’elles ne sont pas légion. Comment expliquez-vous que les hommes soient plus nombreux dans ce métier ?

A.B. : Betc est une agence avec un volonté aigue de parité. Il y a 2 femmes et 2 hommes à la tête de l’agence, et plus de patronnes au commercial que d’hommes. C’est vrai que c’est moins le cas à la création ce qui est surprenant, car à la créa c’est le talent qui fait loi et le talent n’a pas de sexe. Mais l’envie de changement est là et on voit pointer une nouvelle génération de femmes créatives très smart et déterminées.

IN. : s’agit-il du même problème que l’on rencontre dans d’autres métiers, une situation encore liée au patriarcat ?

A.B. : on n’a pas besoin de regarder les autres industries pour voir que les femmes ne sont pas assez présentes à la création et à la prod, il y a juste à comparer avec les autres départements dans la pub– account , PR, strategy , où la présence féminine est très forte. Pourquoi à la création on est en retard ? La création est la vraie valeur ajoutée d’une agence, c’est sa monnaie d’échange, c’est donc là où réside le pouvoir. Ce n’est pas surprenant que c’est à cet endroit que le patriarcat résiste le mieux.

IN. : êtes vous une féministe militante… ?

A.B. : je ne suis pas pour l’opposition des sexes. Je suis pour l’égalité, j’ai eu la chance d’avoir eu un père qui croyait en moi et qui était fier de mon parcours. Le regard du père sur sa fille est clé pour son avenir dans le bon sens comme le mauvais. L’égalité se décide au berceau, c’est l’éducation qu’on donne à nos filles et garçons qui fera le changement. C’est le sujet de la campagne que mon équipe vient de sortir pour le Ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes : #1000 possibles.

IN. : quelle est votre perception de la femme dans notre société à l’ère postmetoo,

A.B. : les femmes ont maintenant la permission de se manifester. La parole s’est enfin libérée mais y-a-t-il une vraie prise de conscience chez les hommes ? Je pense que beaucoup d’entre eux n’ont pas vraiment compris, que certains se disent : « il faut que je fasse gaffe » pendant que d’autres pensent au fond d’eux-mêmes qu’on ne peut plus rien dire, plus rien faire. C’est comme ceux qui respectent les vitesses pour leur sécurité et celle des autres et ceux qui les respectent pour pas perdre des points. Il y a beaucoup de choses qui sont induites, des comportements construits que l’on répète. Si l’on n’en prend pas conscience et qu’on ne fait pas le choix de les modifier alors c’est « business as usual. »

IN. : avez-vous, vous-même souffert du « super pouvoir » d’hommes ?

A.B. : je ne me suis jamais définie par mon genre, je ne vois pas les gens comme ça. Quand je rentre dans une salle de réunion où il n’y a que des hommes je ne remarque pas que je suis la seule femme. Tout ça pour dire que je n’ai pas senti l’effet frontalement mais j’ai certainement subi sans savoir les dommages collatéraux du système.

IN. : pensez-vous que le harcèlement, la maltraitance, la violence sont des spécificités masculines ? Si oui pourquoi selon vous ?

A.B. : non. Ce sont des spécificités du pouvoir. Quand on a du pouvoir on a tendance à assoir une domination sur autrui. On accepte l’idée que c’est un trait masculin parce qu’on est conditionné à ça, et c’est une bonne excuse pour les hommes afin de minimiser leur responsabilité. Boys will be boys.

IN. : vous avez quitté un temps le monde des agences pour un travail plus personnel, qu’est-ce qui vous a fait revenir dans une structure ? BETC ?

A.B. : j’ai adoré la réalisation mais j’ai aussi passé énormément de temps à travailler seule, un scénario c’est 2 ans d’écriture j’en ai écrit 3. J’ai eu besoin de voir du monde, faire partie d’une team, mener à bien des projets à plus court terme. J’étais loin d’imaginer qu’un confinement me remettrait seule face à mon ordi ! Pourquoi BETC ? C’est ma famille.

IN. : comment drive-t-on des équipes à distance, comment faites-vous ? Quel est pour vous la difficulté majeure de l’exercice ?

A.B. : quand on connait bien ses équipes c’est assez facile, se comprendre à demi-mot, savoir quand on peut augmenter ou quand il faut relâcher la pression. Connaitre les forces et faiblesses de chacun est clé pour la réussite en distanciel. Il faut savoir animer pour garder l’excitation et créer une dynamique de groupe surtout pendant les pitch et aussi prendre le temps pour discuter, demander comment ça va. Là où c’est plus difficile c’est avec ceux qu’on connait moins ou pas du tout. La distance est plus difficile parce que le body langage et les silences sont essentiels à la communication. Je plains tous les jeunes stagiaires pour qui « l’expérience en entreprise » s’est faite dans l’isolement de leurs petits studios.

IN. : êtes-vous d’accord avec ceux qui décrètent que le télétravail est désormais la voie à suivre ?

A.B. : ce qu’on vient de vivre tous est fascinant : pendant le premier confinement une boite de pandore s’est ouverte sur un monde d’après : sans bureaux, à l’autre bout du monde, des réunions en pyjama en faisant notre propre pain. Mais nous sommes des êtres humains, nous vivons en meute, nous avons besoin de contact et d’échange Aujourd’hui la nouveauté est passée et la cooking fatigue s’est installée, toute mon équipe veut retourner travailler à l’agence ! Ce qui restera j’espère c’est moins de déplacements inutiles. Il y a plein de réunions qui peuvent se faire à distance sans problème, nous faisons même pas mal de tournages à distance ce qui est une bonne nouvelle pour l’environnement !

IN. : si vous deviez recommencer seriez-vous publicitaire aujourd’hui ?

A.B. : là vous me demandez d’effacer mon disque dur et d’avoir 20 ans aujourd’hui. Ce n’est pas la même époque, ce n’est pas tout à fait le même métier. J’ai une fille millennial très engagée pour le climat et un garçon et une fille GenZ, j’apprends plus d’eux qu’ils apprennent de moi et je comprends pourquoi ce n’est pas un métier qui les attire aujourd’hui. Donc si j’ai 20 ans et je suis comme eux, c’est non.

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