5 mai 2021

Temps de lecture : 5 min

Antoine Courmont, (Sciences Po) : “Google et Waze, imposent aussi leurs conditions aux collectivités locales.”

Directeur scientifique de la chaire Villes et numérique de Sciences Po, Antoine Courmont, vient de publier “Quand la donnée arrive en ville. Open data et Gouvernance urbaine”. Il s’est notamment intéressé aux rapports qu’entretiennent les collectivités et les grands acteurs du numérique - en premier lieu Google/Waze - sur le sujet des données. Et il se trouve que là aussi, ces géants ont déjà leur ticket d'entrée!
INfluencia : comment se traduisent les principes de l’Open Data à l’échelle des villes et collectivités locales ?

Antoine Courmont : l’open data permet l’ouverture de nombreuses données auparavant réservées aux administrations publiques. Selon les objectifs politiques mis en avant par les collectivités – transparence, développement économique, ces jeux de données publiés varient d’un territoire à l’autre. On peut citer par exemple les données de transport (plan du réseau et horaires), les données issues des systèmes d’information géographique (cadastre, PLU, parcs et jardins, etc), les données budgétaires ou encore les données d’état civil. Étant utilisées au quotidien par les administrations pour mettre en œuvre les politiques publiques, une large partie de ces données sont assez techniques et plutôt réservées à des usages professionnels qu’au grand public.

IN. : alors que ce mouvement de “libération” des données se développe depuis une dizaine d’années, quel bilan peut-on tirer aujourd’hui ?

A.C. : pour les collectivités pionnières, les politiques d’open data visaient à favoriser à la fois le développement économique, la transparence et la participation citoyenne. Une dizaine d’années plus tard, force est de constater que le bilan de l’open data est en demi-teinte. L’offre de données rencontre difficilement sa demande. L’hétérogénéité des structures et des formats de données, les mises à jour irrégulières ou tout simplement le fait que les données soient limitées au périmètre de compétences de la collectivité restreignent leur réutilisation pour des usages alternatifs à ceux pour lesquels elles ont été conçues.

IN. : en dépit de ce constat, l’Open Data a-t-il quand même eu des effets positifs ?

A.C. : oui, car il a contribué à la modernisation de l’action publique. Il a permis une meilleure circulation des données au sein des administrations, ce qui a contribué à réduire les coûts de coordination. Par exemple, la ville de Paris a constaté quelques mois après le lancement de son portail que plus de 50% des téléchargements étaient internes à l’administration parisienne. Par ailleurs, dans certains secteurs d’action publique, l’open data a conduit à l’émergence de nouvelles formes de partenariats public-privé. Dans le secteur des transports, des entreprises se sont saisies des données mises à disposition pour proposer des services de calcul d’itinéraires, participant à ce titre à la politique de mobilité. Enfin, l’open data a eu la vertu de faire des données un sujet de gouvernance pour les collectivités locales. Elles se sont mises à recenser ce patrimoine, à l’administrer, à créer de nouveaux services, postes ou fonctions.

IN. : au-delà des administrations et collectivités, de plus en plus d’acteurs produisent et détiennent des données intéressantes à l’échelle urbaine…

A.C. : en effet, si les politiques d’ouverture des données étaient initialement réservées aux administrations publiques, elles tendent dorénavant à inclure de plus en plus les données produites par des entreprises privées. Les collectivités souhaitent désormais avoir accès aux données d’intérêt général ou données d’intérêt territorial : des données produites par des acteurs privés, publics ou associatifs qui sont utiles pour l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques.

IN. : un exemple ?

A.C. : la ville de Rennes, qui était pionnière en France sur l’open data, construit actuellement un service métropolitain de la donnée. Ainsi, au travers de l’open data, les données sont devenues un objet à gouverner à l’échelle des territoires. Les collectivités auront-elles les moyens de leurs ambitions ? Cela sera à observer avec attention dans les prochaines années.

IN. : le secteur des transports – et de la mobilité en générale – est l’un des domaines où l’Open Data est le plus développé. Comment l’expliquer ?

A.C. : celui-ci est engagé depuis longtemps dans l’utilisation de ses données pour informer les voyageurs, les acteurs du secteur disposent ainsi d’une certaine maturité en matière de gestion de données. Ceux-ci s’appuient notamment sur l’information pour faire évoluer les comportements : l’idée est que si les voyageurs ont une information plus complète, ils pourront opter pour une alternative à la voiture individuelle. Cela a incité les opérateurs de transport à mettre à disposition leurs données, d’autant que l’open data a été fortement incité par l’Etat français dans le secteur du transport. Par ailleurs, le secteur des transports a connu de profondes mutations ces quinze dernières années avec l’apparition de nombreuses offres alternatives aux transports en commun : covoiturage, VTC, vélo en libre service, engins en free-floating, etc. Tout cela complexifie le paysage et les applications de calcul d’itinéraires multimodales sont devenues de véritables assistants cognitifs qui aident les individus à organiser leur déplacement. Il y a donc une réelle utilité de ces services pour les citadins. Enfin, sur le plan technique, un standard de fait s’est imposé, le GTFS. Élaboré initialement par Google, ce format de données, très simple d’utilisation, facilite grandement l’usage des données par des acteurs externes au monde des transports, les développeurs d’application notamment. Toutefois, il faut rappeler qu’il existe encore de nombreux petits réseaux de transport dont les systèmes d’information sont limités et qui ne disposent pas de données numérisées et encore moins d’informations en temps réel.

IN. : ces données intéressent tout particulièrement les acteurs du numérique, Google en tête, pour l’enrichissement de leurs services… N’est-ce pas un risque ?

A.C. : alors que les grands acteurs de l’économie numérique, notamment Google, sont souvent vus comme des prédateurs des données publiques, force est de constater qu’ils utilisent assez peu les données mises à disposition en open data par les collectivités. En effet, la très grande hétérogénéité de ses données empêchent l’industrialisation de leur réutilisation. Le coût de “nettoyage”, de standardisation et d’intégration est trop important pour des plateformes qui ambitionnent de proposer un service uniforme quels que soient les territoires. Par contre, pour remédier à cette hétérogénéité, plutôt que de venir récupérer les données en open data, Google ou Waze ont mis en place des « partenariats ». En imposant un même format de données et un cadre juridique normalisé, ceux-ci font reposer sur les producteurs de données une large part du travail d’intégration des données publiques dans les services proposées par ces entreprises.

IN. : quelles en sont les conséquences pour les collectivités ?

A.C. : après les avoir converti en GTFS (General Transit Feed Specification), un opérateur de transport pourra intégrer lui-même les données de son réseau dans Google Maps au travers d’une interface proposée par Google, qui facilitera la correction des éventuelles erreurs dans son jeu de données. Cela représente un travail considérable à la charge des acteurs publics : mais aujourd’hui peuvent-ils refuser d’être sur Google ? Ces grands acteurs de l’économie numérique tirent ainsi profit de leur position dominante pour imposer aux collectivités leurs conditions de réutilisation des données publiques.

IN. : les entreprises, nécessairement numériques, ont-elles saisi tous les enjeux de l’open data ? N’y-a-t-il pas encore des opportunités inexploitées ?

A.C. : nous ne sommes encore qu’aux prémisses de l’open data. Les opportunités sont nombreuses pour les entreprises tant en matière de réutilisation des données publiques que d’ouverture de leurs données. Les données ouvertes vont être peu à peu normalisées sur les territoires, ce qui va faciliter leur usage par des entreprises qui peuvent intégrer certaines d’entre elles pour optimiser leurs processus de production. La diffusion des données est aussi une manière de construire de nouvelles collaborations à partir des données mises à disposition. Cela améliore aussi la coordination entre les différentes directions d’une même entreprise.

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