Pendant des siècles l’art s’est cherché une définition. A-t-il un sens ? A-t-il une finalité? Des débats philosophiques sans fin. Le monde digital dans lequel nous vivons nous offre peut-être une piste de réponse. Les nouvelles formes d’art digitales qui se développent un peu partout et l’interactivité rendue possible par les nouvelles technologies permettent d’imaginer une nouvelle acception de l’art dans notre société postmoderne.
A une époque où l’interactivité peut permettre de grandes choses, où les innovations technologiques permettent de plus en plus l’appropriation, quelle peut être la signification de l’art? L’art a toujours été un questionnement fondamental de l’humain, des grottes de Lascaux à Michel-Ange jusqu’à Warhol. Considéré longtemps comme seule représentation du réel, puis comme enjeu esthétique posant la question existentielle du «beau» et de la subjectivité propre à toute civilisation, les théories modernes dégagées par les philosophes du XXème siècle ont porté un jugement sur la finalité de l’œuvre.
Le philosophe allemand Theodor Adorno a par exemple conceptualisé et critiqué l’art en tant «qu’industrie» au début du XXème siècle, considérant qu’il y avait là un potentiel d’aliénation des masses par les classes dominantes et prenant plus particulièrement pour exemple la musique «populaire». Un message «modern» et marxiste repris d’ailleurs par Bourdieu qui posait comme préambule que toute représentation était empreinte de domination en ce qu’elle symbolisait le «beau» d’une classe sociale versus une autre classe. Pour Bourdieu, «La pratique culturelle sert à différencier les classes et les fractions de classe, à justifier la domination des unes par les autres». Une vision qui peut être remise en cause aujourd’hui. Deux changements de paradigmes ont bouleversé l’art au XXème siècle et ont permis de relativiser ces postures et d’y associer une dimension plus «humaine».
Le premier changement a été opéré par Marcel Duchamp et porte sur l’interactivité dans l’art. Pour Duchamp «c’est le regardeur qui fait le tableau», le public qui fait l’œuvre. De nombreux artistes dès les années 20, ont utilisé le procédé de l’interactivité, comme la « Precision Optics » de Duchamp, où le spectateur était acteur de l’œuvre : il fallait en effet actionner un mécanisme pour observer un effet optique visible à une distance d’un mètre. Passer de figuration à participation : un changement de paradigme. Un changement de focale.
MY CHEMICAL ROMANCE – ART IS THE WEAPON
Un changement tout aussi important que le message Warholien quelques dizaines d’années plus tard : « tout est art ». Warhol a démystifié l’Art en le considérant non plus comme une énigme ni comme une esthétique, mais comme faisant partie de la vie. Il a été très critiqué pour cela, car pour beaucoup de philosophes de l’art et notamment pour Adorno, Warhol était de « l’anti-art ». Un art qui ne dit rien, car trop injecté de réel. Par la suite « l’anti-art » est devenu un mouvement, porté par le groupement contestataire Fluxus dans les années 60, et utilisant les techniques de la récupération, du ready-made, du détournement, du situationnisme.
Aujourd’hui, grâce au digital, la mécanique du « copier-coller » est érigée en règle, et les « memes » sont quasiment une nouvelle forme d’art. On assiste au mélange des genres généralisé. On est dans un mélange du message Warholien et de la perspective de Duchamp : tout peut être partagé, transformé en « anti-art », et tout sera de plus en plus interactif, de manière consubstantielle. De nouvelles formes d’art (ou « d’anti-art ») apparaissent, comme l’art génératif, qui est généré par des algorithmes concevant des œuvres se générant automatiquement ou encore les ARG ou des démarches artistiques nouvelles, comme le manifeste du groupe américain My Chemical Romance : « Art is The Weapon ». Une démarche « anti-artistique ». Pop et digitale.
Sous l’effet transversalisant du digital, l’art surpasse l’idéologie. Il n’a pas de « sens » comme le pensaient Marx ou Bourdieu, pour qui l’art joue un rôle de légitimation sociale. Empreint de 2.0 et d’interactivité, l’art peut redevenir un moyen d’appréhender le réel. En devenant « anti –art » plus que jamais grâce au digital, il s’injecte d’humain, et peut finalement embrasser son essence ultime : se rapprocher de la vie.
Thomas Jamet – NEWCAST – Head of Entertainment & brand(ed) content, Vivaki (Publicis Groupe)
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