8 septembre 2022

Temps de lecture : 7 min

Anthony Colombani (Bouygues Telecom) : “Nous voulons permettre à nos clients de décider en conscience”

Anthony Colombani est le directeur Corporate de Bouygues Telecom, en charge notamment de la RSE. The Good l’a interrogé sur les engagements de l’entreprise, mais aussi sur les enjeux du secteur en matière écologique. Quels sont les impacts environnementaux du numérique ? Quelles sont les marges de manœuvre pour les réduire ? Comment gagner en sobriété alors que les usages progressent fortement ?
The Good depuis quand avez-vous structuré la RSE de Bouygues Telecom ?

Anthony Colombani : le rassemblement sous une même bannière de toutes nos activités en lien avec la RSE est assez récent, mais nous avons initié des démarches de réduction de notre empreinte environnementale depuis longtemps. Nous avons vendu notre premier téléphone recyclé il y a 10 ans ! Par ailleurs, nous avons toujours mené une importante politique d’accessibilité, tant pour nos produits et services, que sur la question du handicap pour nos collaborateurs. Quant à la fondation d’entreprise Bouygues Telecom, elle a fêté ses 15 ans cette année. Elle intervenait à ses débuts plutôt dans le champ social, en soutien des causes qui nous tenaient à cœur, la lecture, la culture et aujourd’hui, sa mission est de favoriser l’engagement de tous pour un impact social ou environnemental.

Il y a deux ans, nous avons souhaité rassembler ces politiques pour leur donner plus de cohérence, dans une direction unique. Nous faisons cheminer les 2 sujets, environnement et social, en même temps. Par exemple, nous avons lancé l’année dernière un forfait qui s’appelle « Source », un forfait sobre de 40 Go pour 10 €/mois, et qui propose de reverser le reliquat des Go non utilisés à des associations. La direction de la marque et la direction du marketing contribuent puissamment et utilement à toutes ces politiques. Notre rôle, en tant que direction Corporate, est de les coordonner.

Nous pouvons également compter sur l’engagement des collaborateurs, c’est très propre au groupe Bouygues. La Fondation, par exemple, a été créée par des collaborateurs. C’était à l’époque une association de collaborateurs pour aider des associations ou des causes, en les dotant de moyens numériques, en donnant des téléphones, en faisant de la formation, etc… Nous avons la chance d’avoir à peu près 20% de nos collaborateurs qui s’engagent dans au moins une action de la Fondation. Nos collaborateurs jouent également un rôle actif dans le choix des projets retenus notamment avec la création de jury locaux.

TG : comment avez-vous défini vos engagements dans le domaine environnemental ?

A.C : Martin et Olivier Bouygues ont un engagement historique dans la réduction des gaz à effet de serre des activités du groupe. Le groupe Bouygues a décidé fin 2020 que l’ensemble de ses filiales baisseraient de 50% leurs émissions de gaz à effet de serre directes, et de 30% de leurs émissions de gaz à effet de serre indirectes d’ici à 2030. Cela nous a permis de nous mettre en ordre de marche, de structurer une démarche robuste pour soumettre en juin dernier, notre trajectoire de décarbonation à la validation de la SBTi.

Nous intégrons la réduction de notre empreinte environnementale à haut niveau dans notre dialogue social. La volonté de la direction de Bouygues Telecom est d’être très transparente sur la baisse de notre empreinte environnementale, les représentants des salariés sont informés en temps réel de nos efforts et savent bien sûr quelle est notre trajectoire.

Nous avons l’exigence d’être extrêmement consistant dans nos politiques et d’être capables de mettre un chiffre, un fait concret en face de nos discours. Par exemple, nous nous sommes attachés à documenter la baisse de consommation énergétique de nos box, qui est de l’ordre de 15 ou 20% de génération en génération. Nous faisons appel à des organismes certificateurs extérieurs pour la réduction de notre empreinte environnementale, comme le TÜV allemand qui viennent certifier l’analyse du cycle de vie de nos box et la qualité de leur écoconception.

Nous formons et impliquons nos collaborateurs, à travers par exemple des fresques du climat, un dispositif très efficace pour prendre conscience assez rapidement des enjeux environnementaux.

TG : la performance environnementale et sociale est-elle un critère important pour vos clients aujourd’hui ?

A.C : nous sentons une inflexion. Nos clients ont bien intégré que leurs usages numériques avaient un impact environnemental – on parle de 7 à 8% des émissions de gaz à effet de serre liées au numérique au niveau mondial. Cela commence à être une demande, à laquelle nous répondons à travers une politique de reprise, de recyclage, de réparation, de reconditionnement, qu’on appelle les 4R, c’est un programme important dans notre démarche RSE.

Concernant les usages, et notamment la consommation de données, nous ne sommes qu’au début de l’histoire. Nous ne voyons pas encore de phénomène de renoncement. Les clients n’ont pas toujours conscience qu’il y a un impact environnemental de leurs usages numériques, c’est normal, ce n’est pas très concret. C’est la raison pour laquelle nous avons lancé une application qui s’appelle « mon empreinte smartphone », qui consiste à traduire les usages numériques (combien de données arrivent et sortent du téléphone en wifi, en 3G, 4G, 5G) en émission de gaz à effet de serre. Il y a des challenges, on peut se donner des objectifs, etc. L’application rencontre un succès important avec plus de 75 000 téléchargements et sera enrichie prochainement avec des challenges. Et elle n’est pas réservée aux clients Bouygues Telecom.

Nous faisons en sorte ici aussi d’être transparents avec nos clients sur l’empreinte environnementale et de les aider eux-mêmes à piloter leurs usages, sans être moralisateur ou donneur de leçons.

TG : au regard du rythme de lancement des nouveaux smartphones, quelles sont vos marges de manœuvre, en tant qu’opérateur, pour limiter leur impact ?

A.C : la nouveauté, ce n’est pas forcément mauvais en soi. Un nouveau terminal peut avoir des vertus environnementales : plus solide, mieux conçu, moins énergivore, voire intégrant pour certains du plastique recyclé. Par ailleurs, l’achat d’un nouveau terminal est associé à l’acte de récupérer un téléphone pour le reconditionner et le remettre sur le marché, ou le recycler.

Nous avons plus de 900 urnes de récupération de téléphones dans nos boutiques, mais on a encore du mal à faire sortir les millions de téléphones qui dorment dans les tiroirs car c’est souvent un objet sentimental. D’autres craignent que leurs données personnelles soient aspirées ou au contraire ne savent pas comment faire autrement pour garder leurs photos, leurs SMS etc…  Nous travaillons beaucoup pour rassurer nos clients : process d’effacement des données, accompagnement dans la conservation et le transfert des données vers le nouveau mobile, etc.. Enfin nous essayons de rendre visible l’acte de recyclage, lui donner une valeur quand on peut, en proposant une prime pour déclencher la volonté de donner une seconde vie à son portable..

Nous faisons également de la pédagogie auprès de nos clients pour expliquer que le reconditionné ce n’est pas de l’occasion. Un téléphone reconditionné passe entre les mains d’experts, il est démonté, nettoyé, et si besoin, les prises, la batterie, l’écran sont changés. Et nous rappelons qu’il y a une garantie légale qui s’applique sur le téléphone reconditionné. Je perçois que chez les jeunes, le reconditionné marche bien. Le smartphone dernier cri, c’est presque plutôt l’attribut du Boomer que du jeune. Il y a des questions de prix, bien sûr, mais le smartphone est moins un objet aspirationnel pour eux que pour notre génération.

chez les jeunes, le reconditionné marche bien. Le smartphone dernier cri, c’est presque plutôt l’attribut du Boomer
TG : et concernant vos box internet ?

A.C : les box sont un peu plus à nos mains, elles sont fabriquées à partir de cahier des charges que nous développons et qui sont très stricts. Nous faisons d’importants efforts pour baisser leur empreinte environnementale, par exemple en passant par des ventilations passives qui économisent de l’énergie, en travaillant sur le mode veille profond, sur la gravure des composants électroniques pour une plus grande efficacité thermique. Nous travaillons sur leur cycle de vie complet avec nos fournisseurs et challengeons l’ensemble des composants : nos box sont robustes, faciles à démonter et donc facilement réparables. Elles sont évolutives, et faciles à recycler. Par ailleurs, nous intégrons de plus en plus de matière recyclée (plus de 90% de plastique recyclé sur les dernières box).

Nous souhaitons prendre l’engagement d’en diminuer l’impact environnemental à chaque nouvelle génération. Nous avons aussi travaillé à virtualiser nos box, directement intégrées dans les TV. Les ingénieurs spécialisés de mon équipe RSE sont désormais impliqués dès la conception de la box. Ils sont chargés de la réduction de l’empreinte environnementale, mais aussi de l’accessibilité. Par exemple pour les personnes aveugles, il y a des systèmes de prise avec des indications en braille et des systèmes de vocalisation des interfaces.

TG : la Première Ministre a invité les entreprises à travailler à un plan de sobriété énergétique pour réduire leur consommation. Comment cela s’articule avec votre stratégie de réduction de votre empreinte environnementale ?

A.C : Il faut bien distinguer les deux sujets. Il y a, en ce moment, un sujet de crise énergétique. C’est une situation exceptionnelle, par rapport aux efforts en tendanciel que nous menons pour baisser notre consommation énergétique. Dans un cas, on agit dans le cadre d’une situation de crise, et dans l’autre cas, c’est une trajectoire, même si l’un peut accélérer l’autre, comme le COVID a accéléré la digitalisation. La situation de contrainte dans laquelle on se trouve va nous conduire à accentuer des efforts déjà enclenchés il y a très longtemps comme la réflexion sur l’éclairage de nos boutiques la nuit, l’extinction de nos enseignes lumineuses, la température en boutique, ….

Pour diminuer la consommation électrique de notre réseau nous modulons la puissance des antennes en fonction des usages, mettons en veille certaines fréquences la nuit. C’est un travail de très longue haleine. Les nouveaux équipements du réseau sont aussi plus sobres que ceux de la génération précédente. Entre la 1G et la 5G, nous avons divisé par un facteur de plusieurs milliers la quantité d’énergie nécessaire pour transporter un octet. Mais aujourd’hui les usages augmentent (en particulier les usages les vidéos), de l’ordre de 30%, chaque année. À un moment, il va falloir que les usages arrivent à l’asymptote, sinon les efforts que nous faisons pour baisser la consommation électrique pour un Go transporté seront annulés par l’augmentation de la consommation. Rien ne semble démontrer que cela va se calmer, le métavers ou les lunettes de réalité augmentée d’Apple risquent de faire encore augmenter la consommation de données, qui est en moyenne de 10-12 Go / mois par Français.

À un moment, il va falloir que les usages arrivent à l’asymptote, sinon les efforts que nous faisons pour baisser la consommation électrique pour un Go transporté seront annulés par l’augmentation de la consommation

Si pour le moment en tant qu’opérateur nous nous interdisons de plafonner, de bloquer, nous devons informer nos clients qu’en baissant la résolution de leur vidéo, en particulier sur leur mobile ils ne vont pas perdre en qualité mais vont gagner en autonomie de leur portable, à limiter la saturation des réseaux, et donc réduire le besoin en antennes. Nous voulons leur permettre de décider en conscience. Peut-être que sous cette nouvelle contrainte énergétique très forte, l’équilibre dans l’arbitrage entre confort/ débit et sobriété va être bousculé. Peut-être que nos clients eux-mêmes le réclameront. Nous avons regardé les consommations moyennes de nos clients qui utilisent l’appli « Mon empreinte smartphone » : elles augmentent plutôt moins vite en moyenne que celles des autres. La prise de conscience du grand public viendra.

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