28 mars 2025

Temps de lecture : 7 min

Anne-Marie Gaultier (Union des marques) : « Je donne toujours à mes poules des noms de chanteuses »

Si vous avez besoin de conseils pour organiser votre mariage « pour le meilleur et sans le pire », Anne-Marie Gaultier pourra peut-être vous aider. La vice-présidente de l’Union des Marques et cofondatrice des librairies Rupture et de la maison d’édition Imbernon répond au « Questionnaire d’INfluencia », autour d’une madeleine et d’un thé, au sein de l’Hôtel Littéraire Le Swann* – Proust oblige.

INfluencia : Votre coup de cœur ?


Anne-Marie Gaultier : J’ai eu plusieurs coups de cœur récemment. La dernière exposition que j’ai vue et qui m’a vraiment marquée était « Chiharu Shiota : The Soul Trembles » au Grand Palais. C’est la plus grande rétrospective jamais consacrée à l’artiste japonaise Chiharu Shiota, mondialement reconnue pour ses installations monumentales en fils de laine entrelacés.

Deux scènes m’ont particulièrement touchée. Dans la première, l’artiste a demandé à diverses personnes d’apporter leurs chaussures et d’y insérer une note racontant ce qu’elles avaient vécu avec elles. J’adore cette idée d’objets porteurs d’histoires humaines, créant un lien invisible entre tous ces individus qui, bien que se croisant dans la rue, ont chacun leur propre récit. Cette notion d’objets incarnés, racontant des histoires, me fascine. La deuxième scène présentait des valises suspendues au plafond par de longues cordelettes rouges. Ces valises ne symbolisent pas seulement l’immigration, mais aussi les parcours de vie. On y met nos espoirs, nos objets précieux. Cette exposition, avec ses fils rouges omniprésents, m’a profondément émue. Elle représente la vie, les réseaux sociaux, et le fait que des inconnus, chargés de leurs propres histoires, se côtoient et s’entrelacent à un moment donné.

Mon deuxième coup de cœur est pour la série « Succession », qui raconte l’histoire de la famille Murdoch, avec ses hauts et ses bas. La musique y est fantastique et la série explore toute l’histoire des grands groupes américains. Bien que Murdoch ne soit pas américain, il a construit son succès aux États-Unis, révélant ainsi le meilleur comme le pire de ce pays.

Et le troisième est pour « Veiller sur elle », de Jean-Baptiste Andrea, prix Goncourt 2023. Un roman habité par la grâce et la beauté qui m’a beaucoup touchée. Il raconte l’histoire de ce sculpteur né pauvre et de petite taille, devenu célèbre. C’est aussi toute l’Italie qui est embarquée dans cette histoire.

IN. : Et votre coup de colère ? 

A-M. G. : Mon coup de colère porte sur ce que les États-Unis sont en train de devenir. J’aime ce pays pour sa formidable énergie et créativité et ce melting-pot incroyable. Le fait que cette puissance devienne omnipotente et cherche à s’imposer partout, et que Trump se repositionne comme le gendarme du monde est insupportable. C’est tout ce que j’ai toujours détesté dans l’histoire des États-Unis : leur ingérence dans de nombreux pays, souvent pas à bon escient, en soutenant des rebelles qui se sont révélés être parmi les plus grands terroristes du monde.

J’ai très peur qu’on revienne à une société dominée par le mâle alpha

Avec Trump, Elon Musk et d’autres, on assiste à un rejet des droits des femmes. Le wokisme est peut-être allé trop loin, mais là, on voit un effet de balancier terrible, et j’ai très peur qu’on revienne à une société dominée par le mâle alpha. Il y a des signes inquiétants : la remise en cause de l’IVG dans certains États, le retour de la femme au foyer, et le nombre croissant de réseaux sociaux d’influenceuses qui promeuvent les métiers de la « Tradwife » (ndlr : la « Traditional Wife », l’épouse traditionnelle), se mettant en petite robe et préparant les repas de leur mari le soir. Je sais que l’histoire est un éternel recommencement mais, par pitié, essayons de garder une longueur d’avance.

Ce drapeau américain planté sur la Lune comme un symbole de l’exploit de l’humanité tout entière

IN. : L’évènement qui vous a le plus marquée dans votre vie ? 

A-M.G. : C’est lorsque l’homme a marché sur la Lune. J’étais encore une enfant, mais je me souviens très clairement de ses premiers pas, qui pour le coup étaient vraiment lunaires. Voir un véritable humain fouler le sol de la Lune, que nous observions chaque soir, était – et est toujours – pour moi un exploit incroyable, une aventure humaine extraordinaire. C’était comme passer du rêve à la réalité. L’expression « When there’s a will there’s a way » prend tout son sens. Il suffisait de se fixer l’objectif de marcher sur la Lune et de se donner les moyens d’y parvenir. Cet événement m’a marquée à vie. Et puis, il y avait ce drapeau américain planté non pas comme un signe de propriété, mais comme un symbole de l’exploit de l’humanité tout entière.

À 12 ans, je rêvais déjà de travailler dans la pub 

IN. : Votre rêve d’enfant ou si c’était à refaire

A-M. G. : Je sais que cela peut paraître banal, mais si c’était à refaire, je referais exactement la même chose. À 12 ans, je rêvais déjà de travailler dans la pub. J’étais fascinée par les publicités à la télévision et je me disais : « C’est exactement ce que je veux faire. » Pour moi, la publicité représentait un mélange parfait de créativité appliquée au business, avec une dimension psychologique qui permettait de comprendre les consommateurs. Cela touchait les trois aspects qui me semblaient les plus importants : la création artistique, le monde des affaires et la psychologie des émotions humaines.

Après mon bac, je suis partie aux États-Unis

Une fois qu’on sait ce qu’on veut, tout devient beaucoup plus simple. Après mon bac, je suis partie aux États-Unis où j’ai obtenu un « Bachelor of Applied Science en Advertising and Marketing ». Ensuite, j’ai intégré la Northwestern University, considérée comme la Mecque de la publicité, où j’ai décroché un « Master of Arts en Advertising and Marketing ». Je suis vraiment contente d’avoir commencé ma carrière aux États-Unis, car c’est là que la publicité est née et s’est développée.

Pour réussir, il faut d’abord croire en soi, car si on ne le fait pas, pourquoi les autres le feraient-ils ?

IN. : Votre plus grande réussite ? (pas professionnelle)

A-M.G. : Ma plus grande réussite, c’est d’avoir cru en moi. Pourquoi je dis cela ? Cela pourrait sembler prétentieux, mais c’est profondément ancré dans la culture américaine. Pour réussir, il faut d’abord croire en soi car, si on ne le fait pas, pourquoi les autres le feraient-ils ? Tout commence par soi-même. C’est comme dans un avion, où l’on vous dit de mettre votre masque à oxygène avant d’aider ses voisins. Il faut d’abord se sauver soi-même pour pouvoir sauver les autres. Ma mère – 100% américaine – m’a toujours dit : « tu es la meilleure, vas-y, je crois en toi ».  Mon père – 100% français – l’accusait d’ailleurs de triomphalisme. Mais grâce à cela, mes cinq frères et moi, nous nous sommes toujours donné les moyens de réussir.

Au début, dans mes cours de droit, j’écrivais tout en phonétique et le soir, je vérifiais dans le dictionnaire

Quand je suis arrivée à l’université aux États-Unis, j’étais seule au monde. Je ne connaissais personne. Bien que je parlais anglais avec ma mère, je n’avais jamais été confrontée à un vocabulaire technique et juridique en anglais auparavant. Au début, dans mes cours de droit, j’écrivais tout en phonétique pour retraduire en véritable anglais. Cela ne m’a pas empêchée d’obtenir de très bonnes notes, mais cela a doublé mon travail !

A 15 ans, j’ai été sélectionnée pour préparer une recette devant le grand chef Alain Senderens

Je suis très fière également d’une autre réussite, certes plus anecdotique, mais qui montre qu’il ne faut jamais s’interdire quoi que ce soit. À 15 ans, je participais à tous les concours des magazines, notamment celui du magazine « 15 ans ». Il y avait un concours de cuisine où il fallait envoyer une recette. Le problème, c’est que je n’avais jamais cuisiné auparavant. Alors, qu’ai-je fait ? J’ai choisi une recette dans le « Betty Crocker » de ma mère, un célèbre livre américain, je l’ai traduite en français et je l’ai envoyée. Et à ma grande surprise, j’ai été sélectionnée pour préparer cette recette devant le grand chef Alain Senderens. Comme je ne l’avais jamais faite auparavant, je me suis entraînée sur mes parents et mes frères pendant une semaine. À la fin, ils en avaient plus qu’assez ! Mais tous mes efforts ont payé, car j’ai remporté le premier prix. C’était absolument incroyable, surtout pour quelqu’un qui n’avait jamais cuisiné de sa vie ! (rires) 

Autre réussite : En 1994, j’ai écrit un livre humoristique avec Fabienne Boutier, à l’époque rédactrice chez Lintas, intitulé « Comment organiser son mariage pour le meilleur sans le pire », qui a été un succès en librairie.

Pendant très longtemps quand je recevais mes amis, c’était toujours avec du chili con carne

IN. : votre plus grand échec ? (idem)

A-M. G. : Je ne suis pas une grande sportive. Pourtant, j’ai une mentalité de gagnante et un esprit de compétition. Mais je n’ai jamais pu me consacrer pleinement à un sport, car je m’intéresse à trop de choses à la fois et que je ne veux rien abandonner. L’expression française « qui trop embrasse mal étreint » me décrit parfaitement.

De façon plus anecdotique, malgré mon prix de cuisine à 15 ans, pendant très longtemps quand je recevais mes amis, c’était toujours avec du chili con carne. Certes il était très bon, fait avec une recette qui venait de ma mère et de ma grand-mère texane. Mais il y avait de quoi se lasser (rires). Je vous rassure, maintenant ça y est, je maîtrise… 

J’ai 64 rosiers alignés, allant du blanc au jaune, en passant par l’orange et le rouge

IN. : Votre occupation préférée ?

A-M. G. : Après ma semaine à Paris, j’ai besoin de me détendre et de me ressourcer à la campagne. Je ne travaille jamais le week-end, c’est sacré. J’apprécie ce temps de pause et de paresse pour profiter de petits plaisirs. Je passe beaucoup de temps dans mon jardin, où j’ai des roses magnifiques, une nouvelle variété chaque année. J’ai ainsi 64 rosiers alignés, allant du blanc au jaune, en passant par l’orange et le rouge. J’ai également un potager et un poulailler. Je suis d’ailleurs devenue le Kentucky Fried Chicken du voisinage parce que les renards adorent mes poules (rires). J’ai dû sécuriser leur poulailler avec du grillage, et les dernières poules ont tenu deux ans. J’étais vraiment ravie car j’y suis très attachée. Dans la journée, elles me suivent partout, c’est à mourir de rire. Mes poules sont de véritables artistes. Je leur donne toujours des noms de chanteuses, toujours en A. Les dernières s’appelaient Barbara, Dalida et la Callas. 

J’ai chez moi des milliers de livres

J’aime également me détendre devant un feu de bois avec un bon livre. Mon père, avocat spécialisé dans les droits d’auteur, recevait toujours un exemplaire des ouvrages qu’il défendait. J’ai donc chez moi des milliers de livres, avec des murs entièrement dédiés à la littérature. Je ne les ai pas tous lus, bien sûr.

J’ai eu la chance, grâce à mon père de rencontrer des auteurs et des éditeurs qui venaient passer le week-end en Normandie. Il avait l’habitude de mélanger à notre table des jeunes et des moins jeunes, des gens célèbres ou non. Nous étions toujours une quinzaine à table. J’ai une fascination et un amour absolu pour les livres. Pour moi, c’est un objet totémique. C’est pourquoi, lorsque le publicitaire Alexandre Sap a eu l’idée de monter ses librairies Rupture, je l’ai suivi.

IN. : Qu’appréciez-vous le plus chez vos amis ?

A-M. G. : La loyauté. Je suis moi-même très loyale et c’est ce que je respecte le plus chez mes amis et chez certaines personnes que je côtoie. Ils sont là pour les bons et les mauvais moments, et on peut toujours compter sur eux. Ils m’ont toujours accompagnée dans la vie. Et cela m’a toujours aidée. 

IN : Quel couturier emmèneriez-vous sur une île déserte ?

A-M. G. : Olivier Rousteing, qui est chez Balmain. J’adore son histoire qui est très touchante. Il est incroyablement humain. Et il met toute son humanité dans ses vêtements. C’est magnifique et fonctionnel à la fois. Il a un talent extraordinaire. Sur une île déserte il pourrait confectionner des vêtements avec les matériaux de l’île, qui seraient beaux mais me protégeraient du soleil et des moustiques qui m’adorent. J’ai un succès de dingue avec eux (rires). Et comme il est suffisamment ingénieux pour tout inventer, il pourrait aussi fabriquer une robe tente pour s’abriter, un chapeau qui nous permettrait de nous envoler vers d’autres rivages…

* L’Hôtel Littéraire Le Swann, situé au cœur du quartier historiquement proustien de la plaine Monceau et de Saint- Augustin, présente une collection d’œuvres originales sur l’écrivain ainsi que des pièces de haute couture, des photographies, des tableaux, des sculptures. Notre interviewé(e) pose à côté d’une sculpture de Pascale Loisel représentant bien sûr l’auteur d’ « À la recherche du temps perdu ».

En savoir plus

L’actualité  

Anne-Marie Gaultier, qui, dans la vie de tous les jours est directrice générale en charge du marketing et de la communication dans le retail, se décrit comme une « mutiactiviste ». Elle fête ce mois-ci les 25 ans de la librairie Rupture et de la maison d’édition Imbernon à Marseille. Elle finit de décorer lune de ses deux maisons quelle loue en airbnb en face du Château Gaillard en Normandie et qui sont dédiés à l’art. Un studio d’artiste est déjà aménagé.

En projet 

Un podcast avec une amie américaine, qui va voir le jour d’ici peu en France.

Allez plus loin avec Influencia

the good newsletter

LES FORMATIONS INFLUENCIA

les abonnements Influencia