Laisser l’éducation financière des Français aux seuls « finfluenceurs » ? Pas question !
Après une carrière dans les services financiers (Allianz, Saxo Bank, Boursorama) Anne-Claire Bennevault vient de créer Spak, un bureau de recherche économique doublé d'un média. Son objectif : développer l'éducation financière en France, avec une offre alternative aux "finfluenceurs" et à la communication traditionnelle des banques sur internet.
Anne-Claire Bennevault
INfluencia : les banques et institutions financières n’ont semble-t-il pas encore trouvé la façon de parler d’argent sur les réseaux sociaux, à la différence des « finfluenceurs », ces influenceurs de la finance qui opèrent sur Youtube, TikTok ou Instagram et en maîtrisent pleinement les codes. Comment l’expliquer ?
Anne-Claire Bennevault : disons qu’ils ne se battent pas avec les mêmes armes. Les finfluencers connaissent en effet les codes des réseaux par cœur. Ils partagent des contenus quand les marques font de la publicité. Il y a aussi un sujet de défiance vis à vis des grandes institutions financières quand le « finfluencer » bénéficie lui de la sympathie de son audience. En incarnant le sujet, il permet à cette dernière de s’identifier plus facilement. Les finfluencers sont essentiellement portés sur l’investissement en ligne et vont partager leur écran sur Twitch ou YouTube comme le font les amateurs de jeu video.
Certaines marques ont déjà bien compris ce phénomène et les rétribuent pour parler de leur offre ou en tant qu’apporteurs d’affaires.
IN. : en matière de communication digitale, les néobanques s’en sortent-elles mieux que les banques traditionnelles ?
A-C.B. : les néobanques ont une approche plus décontractée de leur communication : communications à la manière des plateformes e-commerces préférées des jeunes, tutoiement, expérience client 100% digitalisée… Certaines lancent même leur marketing uniquement sur les réseaux sociaux avec des logiques de précommandes avant d’ouvrir des comptes en réel. Elles sont cependant beaucoup moins à l’aise avec les medias traditionnels et ont tendance à les bouder, alors qu’elles souffrent d’un gros déficit de notoriété. Enfin, rappelons qu’après la mise au point de l’ACPR, les fintechs se qualifiant de « néobanques » sans en avoir les agréments, ont dû supprimer le terme banque de leur communication officielle.
IN. : les « finfluenceurs » sont une tendance essentiellement anglo-saxonne : y-a-t-il des personnalités qui émergent en France dans ce domaine ? N’y-a-t-il pas des risques ?
A-C.B. : il suffit de chercher « trading » sur YouTube pour voir que la France n’est pas en reste et qu’un grand nombre de vidéos dépassent largement les 100 000 vues. C’est une phénomène de société encouragé par internet, un regain d’intérêt pour les marchés financiers, parfois la promesse d’argent facile et, le confinement qui a laissé du temps pour investir…
La palette d’influenceurs financiers est très large. Cela va de Nabilla qui a fait la publicité du bitcoin sur l’un de ses comptes social et écopé d’une amende cet été, à des amateurs qui publient des vidéos sur YouTube comme « Alex trading » et ses presque 100 mille abonnés ou encore le gestionnaire de patrimoine Christopher Wangenavec ses 187K abonnés sur YouTube. Sa promesse : « devenir rentier grâce à l’immobilier« . Tous proposent des formations, certains jouent même la carte du self made man/woman parvenu à s’approprier les outils financiers et à gagner de l’argent très facilement. Ils écrivent des livres aux titres alléchants : « comment gérer son argent comme un millionnaire« …
Le risque principal c’est de tomber dans le piège de fausses promesses de gains, de suivre une personne qui n’a pas les compétences ou les autorisations de conseil en investissement voire de se faire arnaquer. De manière générale il faut être ultra-vigilant. Il est important de le rappeler : bien qu’elles apparaissent toujours sur les réseaux sociaux, les publicités pour le trading sur devises (Forex) ou les cryptomonnaies sont interdites, justement parce que beaucoup d’arnaques sont apparues ces 10 dernières années sur le web. L’AMF met régulièrement à jour une liste noire sur son site.
Parmi les influenceurs à éviter on peut citer, parmi les trop nombreux exemples, le jeune Alessandro Lambert ou « THE INVESTOR » (rien que ça…) qui vous promet très sérieusement la lune dans ses publicités et videos YouTube. Sur son site, on peut lire : « Investir pour votre avenir et protéger ceux qui comptent sur vous« . Là il faut clairement se méfier, je suis très étonnée que ce site soit encore accessible, car on dirait une publicité pour une assurance décès quand il s’agit en fait de trading sur le Forex, réservé à des investisseurs chevronnés.
Il est très difficile de faire le tri car les arnaqueurs sont habiles, même certains médias s’y laissent prendre. Cependant, certains finfluencers sérieux ont permis de faire émerger des sujets d’importance et contribuent à démocratiser l’éducation financière. Pour ne citer qu’un exemple, l’influenceur financier Hasheur, 11 millions de vues et plus de 300 000 abonnés sur YouTube, a littéralement démocratisé les crypto-actifs en France.
IN. : pourquoi cette question de l’éducation financière est-elle si importante aujourd’hui ?
A-C.B. : c’est d’abord et surtout un enjeu de société. Nous avons un vrai problème de culture financière en France où nous sommes beaucoup moins au fait des sujets d’argent et d’économie qu’ailleurs et, où il n’y a pas ou peu d’effort sur l’éducation financière dans les familles comme à l’école. Il faut attendre de faire « éco » au lycée pour entendre parler de ces sujets qui vont pourtant avoir autant voire plus d’importance dans notre quotidien que la reproduction des grenouilles…
Une étude produite par Allianz fin 2020 sur la culture financière et la culture du risque dans plusieurs pays (France, Allemagne, Autriche, Suisse, Italie, Espagne et États-Unis) montre que nous avons de très loin le niveau de culture financière le plus faible : seuls 19,2 % des Français interrogés ont un niveau de connaissances financières suffisant, c’est le taux le plus bas après l’Espagne avec 22,1%.
IN. : cette méconnaissance touche-t-elle toute les classes de la population de la même façon ?
A-C.B. : l’autre problème, plus dramatique encore, c’est que les femmes sont très loin derrière les hommes avec 16% d’écart négatif. Et, sans surprise, ce sont les CSP les plus basses qui souffrent le plus de manque de culture financière. Je ne dis pas que nous devons tous devenir des traders du dimanche mais il devient urgent de réduire le fossé entre les « éduqués » et les « non éduqués » concernant l’économie et la finance, car la financiarisation de l’économie est une réalité.
Soit on essaie d’enseigner ses grands principes soit on va laisser de plus en plus de monde au bord de la route avec une augmentation du désintérêt voire de ce sentiment de « ne pas en être » avec tous les risques que cela présente : arnaques, mauvaises décisions d’investissement, investissements perçus comme réservés à l’élite, incompréhension des décisions économiques et leur cortège de dangers de récupération et de désinformation politique.
IN. : développer l’éducation financière, c’est aussi se prémunir contre les arnaques, dont celles évoquées précédemment…
A-C.B. : avec l’essor des réseaux sociaux, ces arnaques pullulent. Les moins éduqués financièrement sont des cibles idéales pour des organisations peu scrupuleuses qui profitent de leur intérêt pour l’argent supposé facile et les cryptomonnaies. Il est donc important de bien éduquer toute la famille, car il semble qu’on ne puisse plus vraiment compter sur les institutions financières chargées de la réglementation, de l’information et des sanctions.
Ces dernières semblent impuissantes face à ces arnaques qui se démultiplient. Peut être par manque de moyens financiers et d’expertise ? Les autorités me semblent en tout cas bien trop silencieuses. Il est urgent d’informer et pas uniquement à coup d’articles et de conférences de presse. A ce sujet, une étude menée par Audirep pour la Banque de France ayant pour thème l’éducation financière des Français montre que 84% des répondants pensent que l’éducation financière et budgétaire devrait être enseignée à l’école. Qu’est ce qu’on attend ?
IN. : avec Spak, vous voulez expérimenter de nouvelles manières de parler d’argent et de finance : pourquoi ?
A-C.B. : l’idée était d’abord de contribuer à rendre la recherche économique accessible aux TPE/PME comme aux investisseurs particuliers qui n’avaient pas la possibilité de poser leurs questions à un économiste à des tarifs abordables. Ensuite, de par mon parcours, l’éducation financière me tenait à cœur depuis longtemps. Je voyais les arnaques se développer sans coup férir, les institutions et medias financiers traditionnels peu visibles des jeunes et d’un public non initié sur les réseaux sociaux et enfin, notre faible niveau en éducation financière se renforcer, avec toutes les conséquences inquiétantes que nous avons évoquées.
Cela a été le point de départ à la création de vidéos et d’une newsletter qui parle de l’actualité économique et décrypte les concepts associés sur un ton décalé et pédagogique. Un peu comme si une amie vous expliquait ce qu’est l’inflation. Parce qu’en réalité tout ceci est un peu compliqué, il ne faut pas avoir peur de le dire. Peu de gens savent expliquer par exemple comment l’état a fait pour ouvrir les vannes de soutiens financiers pendant la pandémie. Mon associé, l’économiste Christopher Dembik et Michel Ruimy, directeur du thinktank de SPAK et professeur d’économie, n’ont pas été difficiles à convaincre.
IN. : quels sont vos partis-pris éditoriaux ?
A-C.B. : un thème phare de l’actualité par semaine et la définition claire d’un concept économique associé, un point clair et concis sur les marchés et les crypto-monnaies, la mise en avant d’une personnalité féminine qui a marqué ou marque l’économie, car on manque de femmes en finance. Et aussi : du « déjargonnage » obligatoire, ce qui n’est pas un exercice facile car on a vite fait de trop simplifier et de perdre le sens.
On y ajoute aussi des sujets populaires en prise avec le quotidien des Français, comme par exemple : « pourquoi y a t il tant de délais pour acheter un vélo en ce moment ? » Nous faisons aussi de la ré-information, notamment dans l’analyse des programmes de politiques économiques des candidats à la présidentielle de 2022 et enfin un peu de culture par le prisme de l’éco. Le tout en respectant toujours les 4 principes imposés par l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Economiques) : neutralité, la fiabilité, l’accessibilité et la gratuité.
Les Newsletters du groupe INfluencia : La quotidienne influencia — minted — the good. Recevez une dose d'innovations Pub, Media, Marketing, AdTech... et de GOOD