Jeff Bezos est un magnat mégalomaniaque, un visionnaire audacieux, un milliardaire extravagant et un patron ambitieux. En rachetant le Washington Post, le fondateur et CEO d’Amazon a concrétisé ses vues sur une industrie des médias qui le fascine. En communiquant sur le fait que des drones seront capables de livrer un produit moins de trente minutes après sa commande, il confirme la vision de son laboratoire R&D. En produisant comme Netflix son propre contenu audiovisuel de fiction, le gourou nord-américain de l’e-commerce étend le champ des offres de son service d’abonnement annuel. En proposant ses propres séries, Amazon Prime repense la télé online à la demande. Il redéfinit aussi le cadre des services de l’e-commerce, un fourre-tout dans lequel s’invite désormais le divertissement online.
En produisant les deux séries à succès « House Of Cards » et « Orange Is The New Black », acclamées par la critique et le public, Netflix a réussi avec brio son entrée sur un territoire alors jalousement accaparé par les studios de cinéma et les chaînes TV. Le distributeur est devenu producteur et réserve son contenu à ses abonnés. Sur le même modèle de création exclusive, mais sans la même réussite artistique et économique, Hulu conforte les cadors du film online en flux continu dans leur nouvelle direction. Voilà donc qu’un nouvel acteur inattendu entre dans la danse. Son ambition ? Offrir des produits audiovisuels exclusifs à ses e-consommateurs les plus fidèles et dépensiers.
Tous les vendredis depuis fin novembre, chaque abonné à Amazon Prime peut regarder un nouvel épisode de trente minutes de la série « Betas ». Dans la foulée de sa première production originale « Alpha House », qui suit les tribulations politiques de sénateurs républicains, « Betas » raconte le quotidien de quatre amis entrepreneurs courant après la fortune dans la Silicon Valley. Après avoir offert les trois premiers épisodes gratuitement, Amazon en réserve maintenant le privilège aux membres de son service de fidélité. En déboursant 60 euros par an, ils n’ont plus seulement accès à des livraisons gratuites en 48 heures, 40 000 films disponibles à la demande et 350 000 livres sur Kindle, ils sont également récompensés par la diffusion exclusive d’un contenu visible nulle part ailleurs.
Un concours de beauté ? Oui mais en public !
En avril dernier, plus de six mois avant le premier épisode, Amazon a bien pris soin de flatter ses fidèles pour mieux les teaser. Comment ? En mettant en ligne 14 pilotes de différentes séries et en laissant la vox populi faire son travail de sélection. Ce crowdsourcing taxé de populisme par ses détracteurs, a pour le moins fait polémique. Mais pour une société qui a bâti son empire sur sa relation privilégiée avec ses consommateurs, si sa télévision doit être participative, et bien qu’elle le soit ! « Ceux qui achètent des aquariums ou des aspirateurs sont les mêmes qui votent pour les shows que l’on écrit et réalise. Au début, j’ai trouvé ça gênant et bizarre mais maintenant j’aime ce principe. Normalement, dans le milieu de la télévision, c’est une trentaine de personnes dans une salle de Las Vegas qui décident de l’avenir d’une série. Donc même si au départ ce concept a pu ressembler à un concours de beauté, au moins ce concours était public. Et nous avions nous, accès aux retours et commentaires », plaide le producteur exécutif de « Betas » Michael London, dans le Los Angeles Times. « Amazon avait confiance sur le fait qu’ils seraient capables de vendre ce contenu de la même manière qu’ils vendent d’autres produits. Il a fallu beaucoup d’humilité pour reconnaître en amont que cela n’allait pas être ni rapide, ni facile, et beaucoup de conviction pour laisser carte blanche aux créateurs », poursuit-t-il dans le quotidien angelino.
Selon le dernier rapport de Sandvine, Amazon (1,6%) est encore très, très loin derrière Netflix (35%) et YouTube (19%) comme source de trafic en streaming aux Etats-Unis. Ses deux productions ne génèrent pas le même buzz que les créations de Netflix, et Michael London pose donc la question : « A quel point les gens se sentent-ils inondés par trop d’options ? »
Savoir cajoler un abonné dépensier
« Il y a aujourd’hui une économie de l’attention, les heures dans une journée sont précieuses. Les plateformes qui apporteront les réponses à ce que veulent les gens, c’est-à-dire regarder des programme de qualité quand ils le veulent et pour pas cher, seront celles qui sortiront gagnantes », répond Joe Lewis, responsable du développement des comédies pour Amazon Studios toujours dans le LA Times. Pour lui, le parti pris sera gagnant. Quand la Social TV sera installée dans tous les foyers, que la télévision online à la carte sera la norme ?
Le 26 décembre, sans donner un chiffre précis, Amazon annonçait avoir enregistré « des dizaines de millions » de souscriptions à Prime. Dans Business Insider, Ben Schachter de Macquarie estime le nombre d’abonnés à 20 millions. Une autre étude du Consumer Intelligence Research Partners indique elle, qu’un membre de Prime dépense deux fois plus par an sur Amazon que les autres acheteurs. Il faut donc le chouchouter. Primo en le laissant juge de ce qu’il veut regarder, secundo en le récompensant avec un contenu exclusif. L’e-commerce n’échappe pas à la bataille de la loyauté et le consommateur en profite.
Benjamin Adler / @BenjaminAdlerLA
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