13 septembre 2022

Temps de lecture : 6 min

« Les atouts et les faiblesses des médias par 48 décisionnaires d’agences et d’annonceurs » Amaury Laurentin (marketing insights) part 2

Amaury Laurentin est le Président-fondateur de Marketing Insight. Dans le cadre de l’Observatoire Limelight sur l’univers des Régies 2022, Marketing Insight a réalisé en juin 48 entretiens qualitatifs auprès de 24 décisionnaires d’agences médias (Havas GroupPublicis GroupeDentsuMediabrandsConvergence...) et de 24 patrons des médias et du marketing d’importants annonceurs dont OrangeBNP ParibasEDFRenaultDisneyChanelCredit MutuelMondelez ou L’Oréal... Dans la seconde partie de cet entretien, l’ancien directeur général de Limelight Consulting puis de Limelight BVA nous explique les atouts et les faiblesses des différents médias. TV, Digital, Presse, Communication extérieure, Radio, Retail Media... Les annonceurs ne manquent pas de choix pour faire passer leurs messages...
INfluencia : pendant des décennies, la télévision semblait être le « média-roi » pour les marques. Votre enquête jette un voile sur cette idée visiblement préconçue…

Amaury Laurentin : la TV reste le média de la puissance pour asséner des campagnes de masse. Tout le monde le dit. Si vous faites une bonne campagne, vous verrez le business bouger positivement. Ces rendez-vous d’audience, la capacité de la tv au travers de programmes à rassembler restent une vraie force. Une place au centre du foyer est un avantage majeur pour délivrer de l’impact et de l’émotion. Cet impact est, de surcroît, directement mesurable sur les KPI business et branding. Mais même si elle se porte plutôt bien, la télé doit faire évoluer son modèle. Les jeunes la regardent moins , la consommation s’est décentralisé et entraine une baisse structurelle. Le lancement de la TV segmentée qui constitue une nouvelle proposition potentiellement intéressante et une évolution logique amène la télévision vers un ciblage plus fin notamment au niveau géographique. Pour autant, les développements de cette alternative ne va pas assez vite, attention au risque de banaliser le média en érodant sa source principale de différenciation. Pour combler le tout, les coûts ne cessent d’augmenter et ce point est vivement critiquée par les annonceurs. Même si l’on peut entendre dans le discours collectif que si la cible la cible se rarifie, il n’est pas illogique d’avoir des coûts qui augmentent. Quoiqu’il en soit, cette situation menace le ROI du média et peut porter atteinte potentiellement à sa légitimité à moyen-long terme. Les acteurs TV ont pris conscience de ces risques et ils multiplient les initiatives pour tenter d’inverser ce processus. La possible fusion entre TF1 et M6 va dans ce sens. TF1 Publicité est acteur très actif avec une posture d’ouverture, France Télévisions, régie de l’année en 2022, a fait venir de nouvelles têtes, a fortement fait évoluer sa grille de programmes en lançant d’un côté des émissions sur des segments où on ne l’attendait pas comme Drag Race et de l’autre côté a continué à tirer son sillon sur le sport avec le Tour de France, le basket, Roland Garros ou encore les JO 2024. Canal+ est aussi très actif sur la création de contenu. Les chaînes sortent de leur posture hégémonique. Elles ne sont plus toutes puissantes et elles ont compris qu’elles avaient des choses à prouver. Elles sont très dynamiques, réfléchissent à leur avenir et cela se ressent.

IN : autre média « historique », la presse est à la peine…

A. L. : la presse est un média très challengé sur son modèle historique depuis quelques temps. Le support papier, comme pour tous les médias historiques voit son audience qui baisse. C’est un média qui est considéré comme orienté branding, ce qui implique une vision plus à moyen/long terme. Et comme les annonceurs font aujourd’hui des arbitrages budgétaires en faveur du court terme, des ventes… la presse a tendance à être délaissée. Mais ce média garde des forces intrinsèques  et à entamer sa mue afin de dépasser le support papier qui est devenu insuffisant. On voit beaucoup d’initiatives que ce soit de l’ACPM mettant en évidence l’apport de la presse sur le business, les régies elles-mêmes au-travers notamment d’alliances pour capitaliser sur des écosystèmes répondant à des objectifs de Marque, l’écosystème constitué par Rewolrd ou encore Horizon Media sont des marqueurs intéressants de dynamisme tout comme Mpublicité, pas mal évoqué par nos répondants.  C’est un média qui doit tendre vers davantage de diversification autour d’une marque média forte et une capitalisation sur la qualité. Et en raison de la fin du cookie mais également d’une prise de conscience des marques autour de l’attente d’une plus grande qualité, les régies presse peuvent revendiquer un digital plus qualitatif et se différencier des plateformes sociales qui ne sont pas très performantes sur ce sujet. L’évolution attendue va vers la mise en place d’une marque média portant un écosystème large, au sein duquel le support papier ne serait plus qu’une brique parmi les autres : site Internet, application, podcasts…

IN : la radio ne va pas beaucoup mieux…

A. L. : beaucoup considèrent que la radio vit toujours sur ses acquis et cela entraîne une dynamique négative. Même si son coût est relativement faible que l’attention perçue est plutôt bonne et que son efficacité sur certains secteurs est réelle, son audience en déclin est considérée comme vieillissante et l’offre souffre, par ailleurs, d’un manque de modernisation, d’innovation et de créativité. L’ouverture aux contenus digitaux reste marginale, les contenus publicitaires sont parfois considérés comme de piètre qualité et pas au service de la mémorisation et de l’attention. Les inventaires surchargés ne facilitent pas, de surcroît, la mise en valeur des campagnes. Pas mal de challenges pour les acteurs de ce marché.

IN : et quid de l’affichage ?

A. L. : son ciblage difficile, par nature, entraîne une certaine dilution du message délivré et son manque de mesure d’impact pénalise sa capacité de conviction. Cette limite peut être compensée par la puissance du média mais ce n’est pas suffisant.  A cela s’ajoute, des politiques de plus en plus de villes qui mettent en place des réglementations plus restrictives. Son impact environnemental, en termes de consommation de papier ou d’électricité, est aussi souvent montré du doigt par la société. Mais la communication extérieure a des forces sur lesquelles elle peut capitaliser notamment la perception positive par les marques, une utilité dans les plans médias et surtout sa capacité à « baliser » le parcours d’un consommateur de plus en plus compliqué à attirer. C’est  aussi un média de masse (peut-être le seul demain) qui peut amener de l’impact sur une campagne. Son avenir semble lié à la capacité à poursuivre leur mue vers le DOOH afin de bénéficier de ses atouts (souplesse, réactivité, précision dans le ciblage notamment via la programmatique…). Des initiatives innovantes peuvent créer de la désirabilité comme l’adaptation à la météo ou la création de contenu différenciant ou utile à la société ou plus spécifiquement aux messages des villes vers leur population. Sans oublier de démontrer par la preuve l’efficacité du média sur le business et de continuer à nourrir le marché en mettant en avant les indicateurs qu’une opération de Communication extérieure fait bouger. Mais plus que les autres, la réaffirmation des valeurs qui constituent historiquement l’ADN et l’utilité de ce média seraient certainement une chose bénéfique pour le marché.

IN : les courriers publicitaires ont-ils encore un avenir ?

A. L. : ils sont beaucoup remis en question car l’utilisation de papier est de plus en plus critiquée. La défiance des consommateurs est en hausse. Ce média doit donc faire preuve de beaucoup de pédagogie et se réinventer en innovant. Malgré tout, des notions intéressantes identifiées (proximité, intimité, saillance VS des campagnes d’emailing noyées)… Des secteurs spécifiques, clients historiques de ce type d’offre, qui sont toujours assez enthousiastes vis-à-vis d’un média qui fonctionne (retail, VPC, VAD, luxe…). Des alliances permettraient aussi aux acteurs de ce secteur d’être plus puissants et pertinents. Sans oublier le retour du contextuel et de l’attention qui peuvent permettre au média de démontrer toute sa crédibilité dans un contexte « captif ».

IN : Le digital a bouleversé les médias historiques…

A. L. : Sans aucun doute mais on sent qu’on est dans le temps de la maturité sur les codes et usages qui régissent ce média. Le digital a des atouts très attractifs. Sa capacité de mesure très précise permettant un suivi du ROI quasiment en temps réel est intacte. Son drive-to-business également associé a son time to market avec des usages qui obligent les Marques à être finalement là où se trouvent leurs consommateurs. Mais, tout n’est pas si rose, le durcissement des lois sur les datas avec la fin des cookies complique toutefois le ciblage et le suivi des consommateurs. Les datas sont, par ailleurs, de plus en plus difficiles à obtenir des acteurs de ce marché et deviennent si chères à acquérir qu’au bout de la chaine, il n’est pas si évident qu’elles offrent un ROI très intéressant. Ces points représentent une opportunité pour les acteurs bénéficiant de data first party. Les données imposent, pour ne rien arranger, une vraie technicité et cet univers d’une grande richesse mais également d’une grande complexité, demande un vrai investissement pour l’appréhender. Bref cette complexité à un coût et elle entame le R.O.I du média. Les annonceurs et les agences ont aujourd’hui davantage de recul et certains commencent à interroger la rentabilité de leurs choix.

IN : le retail media est, lui, en plein essor.

A. L. : face à l’importance accrue du lower funnel et une explosion du e-commerce,cette nouvelle proposition s’appuie sur trois forces majeures : une data particulièrement fine, issue d’actes d’achat ; une data first, issue d’univers loggés, ce qui devient précieux dans l’optique du passage au post cookie : et un canal e-commerce en plein boom depuis le COVID, sur lequel les annonceurs se doivent donc d’être mis en valeur. Les agences qui perçoivent cette nouvelle opportunité business commencent à se structurer sur le sujet en intégrant des équipes dédiées. Leur offre se structure petit à petit mais face à un acteur surpuissant comme Amazon qui draine une audience importante, la perception d’une offre qui se crée de manière très éclatée et qui pourrait à termes constituer une faiblesse en termes de puissance, de clarté et de simplicité. Ce qui est certain c’est que ce média est un nouveau levier de croissance de dispositif à la performance et que dans cette optique de perte de signaux sur des segments avec la disparition des cookies, ce n’est pas inintéressant.

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