La guerre en Ukraine perturbe les chaines d’approvisionnements et fait monter le coût des matières premières. L’inflation pèse sur le pouvoir d’achat des consommateurs. Le contexte environnemental et sociétal est de plus en plus dur.
INfluencia : quel est le principal enseignement de votre enquête ?
Amaury Laurentin : l’élément qui m’a le plus surpris est à quel point les entreprises doivent aujourd’hui faire preuve de résilience, d’innovation et de vision pour se projeter dans le futur. La crise sanitaire a eu, pour certaines d’entre elles, des conséquences en termes de perte de chiffre d’affaires et d’augmentation de la menace concurrentielle. La guerre en Ukraine perturbe les chaines d’approvisionnements et fait monter le coût des matières premières. L’inflation pèse sur le pouvoir d’achat des consommateurs. Le contexte environnemental et sociétal est de plus en plus dur. Les réglementations plus nombreuses et contraignantes obligent à des transformations profondes des business model et menacent parfois la survie de certaines entreprises. Le consommateur est, quant à lui, plus difficile à atteindre de par sa défiance. Ses exigences fortes et souvent contradictoires entre désir d’achat, revendications écologiques et pour certains comportements de déconsommation représentent de véritables défis pour les marques. L’incertitude est devenue la norme et le pouvoir d’achat des consommateurs est en berne. Ces problématiques conjoncturelles déjà exprimées l’année dernière se sont encore intensifiées en 2022. Face à ce contexte pour le moins complexe, les sociétés surveillent leurs investissements. Elles vont à l’essentiel et pilotent de façon plus suivie le ROI de leurs actions marketing et communication.
Le centre de gravité dans les entreprises tourne aujourd’hui davantage autour des Directeurs Financiers.
IN : quels sont les impacts de cette conjoncture pour le moins exceptionnelle sur le fonctionnement des responsables médias ?
A. L. : nous en avons repéré trois principaux. La loi du présent prévaut aujourd’hui. L’attention des marques se focalise sur la préservation de leurs ventes afin d’assurer leur survie économique. Le besoin de projection, notamment en termes de brand equity, devient de moins en moins audible ce qui rend les recommandations des agences difficiles. Les budgets de communication se concentrent davantage sur du lower funnel. Le R.O.I. est devenu roi. Les investissements doivent tous être justifiés et leur rentabilité est sans cesse scrutée. Le centre de gravité dans les entreprises tourne aujourd’hui davantage autour des Directeurs Financiers. Le mix média est au service du business. Les sociétés pilotent leur marge en même temps qu’elles pilotent les médias et les dépenses. La crise du Covid a enfin montré aux marques qu’elles devaient être capables de s’adapter très rapidement à toute situation. Les efforts que les agences et les régies leur ont consenti au cœur de la crise sont devenus, aujourd’hui, des attentes structurelles pour les annonceurs. L’ultra flexibilité n’est plus espérée mais exigée.
L’impact des sujets liés à la RSE qui touchent tous les secteurs ne cesse également de se développer et leurs coûts sont en hausse constante.
IN : le quotidien des régies des marques n’a jamais été aussi complexe…
A. L. : sans aucun doute. La digitalisation est, à elle seule, un travail de tous les instants qui doit être mené sur tous les fronts. L’omnicanalité qui est devenue indispensable dans tous les secteurs, l’arrivée de nouveaux outils et d’acteurs avec l’arrivée des métaverses et des NFT et la législation qui ne cesse de se durcir imposent d’énormes investissements. L’impact des sujets liés à la RSE qui touchent tous les secteurs ne cesse également de se développer et leurs coûts sont en hausse constante.
La notion d’accompagnement est primordiale. Il faut aussi être totalement transparent. Un partenariat se base sur une relation de confiance.
IN : quels sont les chantiers fondamentaux que les régies publicitaires doivent lancer à court terme ?
A. L. : nous en avons distingué deux principaux. Dans ce contexte difficile, les régies doivent plus que jamais se positionner en partenaires. Les annonceurs et les agences souhaitent nouer avec les régies une véritable relation de partenariat au service de la valeur de chacun. Après la digitalisation accélérée et la crise du Covid, on redécouvre l’importance de l’humain et du relationnel. Il faut réhumaniser nos façons de travailler. L’écoute doit devenir un rouage essentiel. La régie doit comprendre les besoins des clients et trouver un message qui corresponde à ses besoins. La notion d’accompagnement est primordiale. Il faut aussi être totalement transparent. Un partenariat se base sur une relation de confiance. Tous les acteurs doivent jouer carte sur table et dévoiler leurs propres enjeux. L’échange et la compréhension de l’autre sont les clés de la réussite. Face à la concurrence accrue et aux budgets en tension des annonceurs, les régies doivent, par ailleurs, affirmer et prouver leur valeur ajoutée pour exister. Elles doivent, plus que jamais et de façon plus marquée, légitimer leur place au sein de l’écosystème média et matérialiser plus fortement qu’avant leur USP (unique selling proposition).
L’efficacité recherchée par tous ne dépend pas que du ciblage apporté par la data ou de la puissance apportée par l’audience mais également de l’attention apportée par la qualité de la mise en avant du message de la marque.
IN : quels sont les axes à suivre pour façonner la régie de demain ?
A. L. : la qualité reste, plus que jamais, une source d’audience et d’attention. Proposer aux marques des formats visibles et valorisants permet de remettre l’attention au centre des enjeux. Les contenus de qualité, notamment pour les médias historiques, permettent de drainer de l’audience et de constituer un environnement valorisant pour les marques. L’efficacité recherchée par tous ne dépend pas que du ciblage apporté par la data ou de la puissance apportée par l’audience mais également de l’attention apportée par la qualité de la mise en avant du message de la marque. Pour créer de la saillance et exister, l’innovation est également plus importante que jamais. L’innovation technique (mesure de la data, développement de solutions en programmatique, création de ponts entre les différentes sources de données…) ne doit, bien entendu, pas être négligée mais il ne faut pas non plus oublier l’innovation créative qui reste primordiale pour émerger dans des environnements mouvants. La création de formats et de contenus différenciants et personnalisés pour les marques est une attente forte.
les marques doivent suivre une démarche sincère et efficace qui repose sur des actes concrets. Une telle posture peut être un potentiel levier de préférence intéressant pour les annonceurs…
IN : Et quid de la RSE dans tout cela ?
A. L. : J’allais y venir. Les problématiques liées à la RSE sont de plus en plus présentes dans les discours des annonceurs et des agences. Les attentes des consommateurs et des collaborateurs ainsi que les exigences accrues des pouvoirs publics ont poussé les marques à lancer, à marche forcée, un travail de réflexion sur leur raison d’être et leurs valeurs qui contient souvent une dimension RSE. Leurs discours RSE se concentrent toutefois encore pour beaucoup sur la cause environnementale. Les entreprises doivent aller au-delà pour répondre notamment aux attentes en termes d’inclusion des diversité et d’égalité hommes/femmes. Pour ne pas être accusées de faire du green washing, les marques doivent suivre une démarche sincère et efficace qui repose sur des actes concrets. Une telle posture peut être un potentiel levier de préférence intéressant pour les annonceurs…