22 mai 2014

Temps de lecture : 3 min

Aaron Draplin : le visionnaire du graphisme caritatif

Aider plus pour gagner moins : le paradigme d'Aaron Draplin détonne dans le Landerneau publicitaire américain. En instaurant un philanthropisme d’un nouveau genre, le célèbre designer espère redéfinir la finalité du pouvoir financier et populaire du graphisme.

Depuis neuf ans, Aaron Draplin redessine le paysage du graphisme aux États-Unis. Sollicité notamment par le gouvernement Obama, il a rapidement acquis outre-Atlantique une flatteuse réputation artistique, lui l’avant-gardiste atypique, amoureux des prises de risque. Avec ses rondeurs, sa barbe et ses casquettes à la Michael Moore, il discourt aujourd’hui avec acerbité sur la société américaine et ses travers consuméristes. En exclusivité pour la Revue INfluencia, il plante le décor du changement qu’il espère instiguer.

INfluencia : Qu’est-ce qui vous a convaincu de désormais tourner le dos aux marques pour recentrer votre travail sur l’aide aux plus nécessiteux ?

Aaron Draplin : Ma décision est le fruit de plusieurs années de réflexions. Au fur et à mesure que je recevais des appels de multinationales qui toutes me proposaient des beaux contrats, je constatais l’impact de mon travail sur leur succès financier et je me suis dit que je ferais mieux de prendre de mon temps pour aider ceux qui en ont plus besoin. J’ai une conscience et à l’approche de mes 40 ans, je réévalue le sens et la raison de toute l’énergie consacrée à mon travail. Je vais peut-être passer pour un candide ou un utopiste un peu stupide mais je m’en moque, je n’abandonnerai pas ma résolution : saisir l’opportunité qu’offre le pouvoir du graphisme pour aider les gens, et pas seulement se contenter de gagner plus d’argent. Après avoir gagné ma vie pendant des années avec des futilités, je veux me rendre disponible pour ceux qui en ont vraiment besoin. J’aimerais aider des SDF et des PME, de la même manière que j’ai toujours pris le temps de donner un coup de main à mes amis. Il m’est déjà arrivé de rendre service en dessinant un logo pour quasi rien, et l’histoire m’a prouvé que ça m’a toujours énormément apporté sur le plan humain.

IN : Pensez-vous pouvoir devenir le pionnier d’un mouvement plus global ?

AD : Le terme « mouvement » est trop fort, car même si je suis convaincu de ma réussite, je dois déjà prouver à tout le monde que ça peut marcher. En revanche, j’ai en effet décidé d’emprunter un autre chemin et d’embarquer pour un voyage dans une contrée encore inconnue. Cela peut faire peur mais c’est devenu pour moi une nécessité. Je ne peux plus supporter l’idée de mettre mon savoir-faire au service de grosses entreprises dont la seule ambition est de vendre, encore et toujours. L’Amérique n’a pas besoin de sacs à main encore plus petits, de télévisions encore plus grandes, de voitures encore plus confortables. Non ! Elle a besoin d’aider ses pauvres, ses oubliés, ceux qui méritent aussi qu’on les soutienne. Pour tendre la main à ceux qui sont dans le besoin, je dispose de plein d’outils, à commencer par le graphisme. Cela va-t-il fonctionner ? Je n’en sais rien. Mais il faut essayer.

IN : Le graphisme serait-il devenu le fer de lance d’une démocratie plus juste ?

AD : Complètement. Regardez ce qui s’est passé avec la campagne d’Obama en 2008, quand la réussite populaire et médiatique de son travail graphique a permis d’atteindre des millions de gens. Peut-être le personnage a-t-il aidé à la propagation des valeurs contenues dans son graphisme, mais il ne faut pas oublier que finalement, cette vitrine là est la première chose que les gens voient. On peut se calquer sur ce succès pour réussir à parler à plus de monde et à faire de belles choses pour aider les autres. L’histoire a prouvé que de simples affiches peuvent provoquer des révoltes si ce n’est des révolutions ; et également rapprocher les gens et les convaincre de mieux protéger leurs ressources et leurs communautés. Des pancartes et des posters ont parfois affecté une nation entière, il y a eu des livres écrits là-dessus. Je n’invente rien. Je n’ai pas cette ambition mais il ne faut jamais oublier le pouvoir du graphisme.

IN : Dans une Amérique où des milliardaires rivalisent avec d’énormes dons financiers, êtes-vous devenu un philanthrope de plus ?

AD : J’aimerais avoir plus d’argent pour en distribuer plus, mais dans un sens oui on peut dire ça. Autour de moi, à part des bénévoles pour des ONG, je n’ai pas rencontré beaucoup d’autres personnes qui donnent de leur temps pour aider les autres et non pour gagner encore plus d’argent. Je viens d’une famille généreuse et altruiste, avec des parents qui ont toujours su aider des amis ou des voisins qui en avaient besoin. Pour moi, continuer à travailler encore et toujours plus pour permettre à des grosses boîtes de devenir encore plus riche, ce n’était plus possible. Je ne veux pas me retrouver à 55 ans, regarder en arrière et me dire que je n’ai rien fait d’autre que d’engrosser des entreprises. Si depuis plusieurs mois je traverse les États-Unis avec mon show Tall Tales From A Large Man, c’est justement pour diffuser ce message. Ce n’est pas pour faire ma pub !

 Benjamin Adler / @BenjaminAdlerLA

Illustrations : Martin Lebrun

Article paru dans la  revue digitale n°6 : Changer, on a tous les clés

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