27 octobre 2021

Temps de lecture : 4 min

À Cuba, les mèmes sont devenus des armes démocratiques

Le 17 août 2021, le gouvernement cubain interdisait officiellement tout forme de « subversion sociale » sur le web, un terme vague qui concernait en grande partie l’usage de mèmes comme outil de protestation. Un acte politique éminemment décrié qui paradoxalement a poussé plusieurs créateurs de contenus à redoubler d’effort… souvent au prix de leur propre liberté.

La révolte gronde à Cuba, dans les artères de ses villes comme sur internet. Mais 62 ans après le coup d’état victorieux mené par le mouvement du 26 juillet, « l’esprit révolutionnaire » dont se défendait Fidel Castro est maintenant vampirisé par le pouvoir en place. Face au défi lancé par Archipiélago, un groupe de réflexion politique dissident, d’orchestrer une grande marche le 15 novembre prochain dans sept provinces du pays, le successeur de Raoul Castro à la tête de l’état insulaire, Miguel Diaz-Canel, a déclaré : « Il y a suffisamment de révolutionnaires à Cuba pour faire face à tout type de manifestation qui cherche à détruire la révolution, dans le respect et la défense de la constitution, mais aussi avec énergie et courage ». Le gouvernement espère ainsi mater une vague de protestations qui grandit depuis les manifestations qui s’étaient tenues les 11 et 12 juillet dernier dans une cinquantaine de villes du pays. Elles avaient engendré la mort d’une personne, fait des dizaines de blessés et causé l’arrestation de plus de 1000 personnes, dont 560 d’entre elles sont toujours incarcérés. Il faut dire que Cuba traverse une profonde crise économique et de graves pénuries de nourriture et de médicaments, exacerbée par une baisse du tourisme due au covid-19 et au renforcement des sanctions imposées par Donald Trump pendant son mandat, que Joe Biden a maintenu.

Si cette ingérence constitutionnelle du gouvernement n’est – malheureusement – pas chose nouvelle, ce dernier s’est illustré à la mi-août en s’immisçant de manière liberticide dans la sphère numérique. Le régime Cubain a ainsi criminalisé, par le biais du Décret 35, ce qu’il appelle la « subversion sociale », à savoir la diffusion de fausses nouvelles sur internet, ainsi que le cyber-terrorisme, dans sa première loi sur la cyber-sécurité. Ce nouveau cadre juridique du domaine des télécommunications établi pas moins de 17 incidents de cyber-sécurité répréhensibles, tant pour les personnes physiques que morales. Ces délits sont passibles d’une peine de prison ferme et d’une amende de 3000$. Un acte politique très décrié sur les réseaux sociaux où se sont multipliés les appels au « droit à la dissidence ». José Miguel Vivanco, le directeur de Human Rights Watch pour les Amériques, a par exemple déclaré sur Tweeter que le « régime cubain restreint encore davantage le web en édictant des règles qui permettent d’interrompre internet lorsque sont publiées des informations que le gouvernement considère comme “fausses” ». Avant de déclarer que Cuba traite « comme des cas de cyber-sécurité la diffusion de nouvelles qui portent atteinte au “prestige du pays” ».

Un nouveau terrain d’expression pour la parole politique

Du point de vue des pros gouvernement, cette décision s’explique aisément par le fait que l’internet mobile, arrivé à Cuba en 2018, a changé en profondeur le rapport de force entre le pouvoir communiste et l’opposition. Les opposants se sont rapidement adaptés aux nouveaux outils à leur disposition, les mèmes devenant pas la force des choses des armes d’expression démocratique. À l’introduction du Décret 35, peu des memeros – créateur de mèmes dans la langue du Che Guevara – se sont tus, la majorité a plutôt choisi d’accélérer leur rythme de production. @daikeldfc92, l’un des plus connus d’entre eux, expliquait au magazine Rest of World que l’humour, le sarcasme, aident les cubains à naviguer au travers de toutes ces crises – sociales, politiques, économiques… – actuelles. @Ru4kSo, l’un de ses illustres compères, avouait que le sarcasme était devenu une part essentielle de la culture mème du pays, notamment à cause de la familiarité qu’on les cubains avec les messages codés après 60 années de Castroisme : « Parce que les autorités limitent énormément notre liberté d’expression, quand il s’agit de critiquer ou de se plaindre d’une situation, il est parfois plus facile de publier un post ironique que de formuler son propos de but en blanc ».

Le meilleur mécanisme de défense

Mais @daikeldfc92 avoue également que si l’ironie l’a aidé à se connecter davantage à son audience, cela coïncide aussi avec une surveillance grandissante des réseaux sociaux opérée par le gouvernement. Et dieu sait que si les autorités souhaitent trouver quelque chose, ils y réussiront. Pour@Ru4kSo : « Il est très difficile d’échapper à une loi qui encadre la critique. Tout le monde, ou presque, viole le Décret 35 d’une manière ou d’une autre. Certains d’entre nous en ont peur, ce qui est compréhensible. Nous avons vu certains de nos amis être embarqués pour des interrogatoires. Les autres n’ont pas cette crainte et choisissent de d’exprimer leur mécontentement par l’humour ». Pour lui, les followers jouent un rôle déterminant dans leur protection contre le Décret 35. Lors qu’ils diffusent ses memes à leurs amis, ils partagent avec lui le risque d’arrestation. Une sorte de bulle protectrice pour les auteurs.

« Si quelqu’un publie un meme sur un réseau social et plusieurs centaines de personnes le partage, cela prendrait trop de temps pour les autorités de comprendre qui l’a créé ou de recenser toutes les personnes qui l’ont fait circuler », expliquait Peña Barrios. Pourtant, si les memeros ont moins de chance d’être arrêtés, d’autres moyens coercitifs sont déployés pour leur nuire. @mjorgec1994, un autre créateur de contenu reconnu, a reçu d’inquiétants messages de la part de comptes anonymes qu’il suspecte être contrôlés par les services secrets. De quoi effrayer les derniers memeros encore debout ? À observer dans les prochaines années, tout comme les armes législatives utilisées à leur encontre par les autorités cubaines, qui risquent d’être de moins en moins constitutionnelles.

En résumé

Le gouvernement cubain cherche à limiter les moyens d’expression de l’opposition sur internet en introduisant un nouveau décret qui criminalise toute forme de « subversion sociale ».

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