29 août 2022

Temps de lecture : 4 min

« Le terme santé mentale est sur toutes les lèvres, mais toujours aussi tabou », Christelle Tissot (mūsae)

Pour Christelle Tissot, ancienne dirigeante de Virtue, agence créative du groupe Vice pendant 10 ans , la santé mentale est la condition nécessaire à la refonte de ce monde disloqué dans lequel nous vivons, devenu par trop chaotique et anxiogène. Cette ancienne diplômée de Sciences Po a donc quitté son ancien employeur pour créer mūsae, media unique en son genre, qui ose, comme Jean-Louis Servan-Schreiber en son temps avec Psychologies Magazine penser et démocratiser son corollaire moderne, la santé mentale. Elle explique à INfluencia la raison d’être de mūsae.
INfluencia : vous auriez pu monter mūsae au sein de Vice… Vous optez finalement pour la liberté malgré la difficulté de créer un nouveau media ?

Christelle Tissot : vous avez raison, je me suis interrogée, mais j’avais sans doute plus à coeur de monter mon propre media, en me donnant le temps de m’informer longuement, et en me penchant très sérieusement sur les contenus qui étaient proposés au grand public sur la question. Touchée personnellement par la question de la santé mentale, plus je cherchais du contenu, moins je trouvais les réponses à mes questions, or j’avais besoin d’informations.

IN. : le web, les magazines, sont remplis de contenus sur la thématique de la santé mentale, qu’est-ce qui ne va pas selon vous?

Ch.T. : la santé mentale est l’un des piliers de « santé et bien être », l’un des objectifs que doit remplir l’ONU à horizon de 2030. Or si les anglo-saxons ont intégré la notion de « mental health » depuis longtemps il n’en est pas de même en France où soudain, « la santé mentale » est devenue une thématique récurrente et préoccupante pendant la pandémie de la Covid… En fait, en y réfléchissant bien, tout, absolument tout passe par une bonne santé mentale. Or, nous sommes très en retard et très effrayés dès que l’on évoque ces sujets que l’on préfère cacher, plutôt que de les résoudre.

Si la covid a mis un coup de projecteur sur la question de la santé mentale, très vite le terme même de santé mentale est devenu un mot valise, une mode…

IN. : vous avez fait le choix de vous adresser aux 15-35 ans, pourquoi cette cible alors que nous sommes tous plus ou moins amenés à vivre un épisode de trouble mentale au cours de notre  vie ?

Ch.T. : dès la fin de 2019, le prisme des jeunes est devenu central et je me suis sentie très proche d’eux. Au fil de la Covid je me suis aperçue que la plupart des gens en parlaient beaucoup de cette santé mentale, mais ne la percevaient pas comme un enjeu de société… Or c’est un enjeu citoyen. Alors disons que si la covid a mis un coup de projecteur sur la question, très vite le terme même de santé mentale est devenu un mot valise, une mode… Tout le travail reste à faire, et j’espère en faire une partie à mon niveau.

IN. : vous expliquez qu’en France même si le terme devient galvaudé, il est toujours aussi tabou, comment l’expliquez-vous ?

Ch.T. : oui, parler de santé mentale est encore tabou, cela fait peur, car c’est pour les faibles car c’est aussi un « truc d’égoïste ». Et cela s’explique en partie pas son étymologie et ce qu’on en fait depuis des siècles. Le terme mental puise une partie de ses origines dans le terme latin « anima : l’âme. C’est notre vie intérieure. L’âme peut avoir des bugs, des parts d’ombre, et être sensible. Même si elle est valorisée dans l’art, elle a souvent quelque chose d’un peu léger et de peu palpable. Résultat, prendre soin de sa santé mentale ce n’est pas vraiment sérieux ou important. Cela reste de l’ordre de l’accessoire. Mental par ailleurs vient aussi du latin Mens : l’esprit, le fait d’être là, de demeurer, d’exister. Il a été choisi par certaines cultures européennes pour décrire l’humanité. Il a donné man et woman en anglais, ou Mensch en allemand. Dans les langues romanes, cette notion d’humanité n’a pas réussi à percer. On a préféré l’autre racine, Spiritus qui faisait référence au vent, au souffle…

Pour beaucoup, la bonne santé mentale c’est avoir un mental d’acier, ce qui est bien plus valorisé.

Cette notion moins palpable est devenue spirituelle et réservée au christianisme, c’est l’esprit saint ou… sain. Mais il n’a pas le même sens pour le commun des mortels. Peu à peu le mental ou l’esprit est devenu un for intérieur qu’il fallait absolument dompter, maîtriser. Résultat, pour beaucoup, la bonne santé mentale c’est avoir un mental d’acier, ce qui est bien plus valorisé. Ceux et celles qui ne parviennent pas à maitriser leur for intérieur sont pointés du doigt, car ils sont fous, faibles, car ils ne sont pas sérieux, ils ne savent pas se gérer. Mettons-les de côté ou qu’ils se taisent à jamais. Sauf qu’il n’y a pas de vérité absolue. Une personne sans trouble cela n’existe pas. Alors faisons un pas de côté pour prendre du recul et comprendre ce qui se joue en nous.

IN. : comment fait alors mūsae pour dédramatiser, positiver ces troubles qui font si peur ?

Ch.T.: en utilisant comme transmetteurs, exemples, des jeunes artistes, sportifs, rappeurs qui commencent à se saisir de leurs troubles et osent en parler publiquement. Vous savez, il s’agissait au démarrage de chasser les fous, parce qu’ils troublaient l’ordre public ! Tous les travaux de Michel Foucault l’expliquent très bien.

Nous sommes enfin sortis de l’époque où les sociétés embauchaient des « Happyness Officers » en pensant tout régler chez leurs salariés, fort heureusement.

IN. : comment se présente Mùsae ?

Ch.T. : c’est un media sociétal qui s’appuie autant sur des témoignages, que sur des experts, ou des associations. Depuis un an et demi, mūsae est présent sur Instagram, dispose d’une newsletter, d’une pastille humoristique, État de grâce, et depuis janvier 2022 nous réalisons La zone grise, un podcast de discussion avec une thérapeute.

IN. : la direction artistique est également primoridale…

Ch.T. : Oui et l’illustration est essentielle pour encrer le côté positif de la thématique, je travaille avec Siobhan Keane. L’idée est d’apporter une charte graphique pop, très gaie.

IN.: vous avez également développé une activité BtoB, mūsae Lab…

Ch.T.: oui c’est important de le souligner, parce que même si je suis une adepte de la politique des petits pas, je fais du conseil sous forme de planning stratégique auprès d’organisations, notamment. Il y a une prise de conscience au sein des entreprises du délitement du lien social, d’une crise du sens… Nous sommes enfin sortis de l’époque où les sociétés embauchaient des « Happyness Officers » en pensant tout régler chez leurs salariés, fort heureusement.

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