« Regardez Lady Gaga, elle est la directrice artistique de Polaroïd. J’apprécie certaines de ses chansons ! Mais… qu’est ce qu’elle y connait en appareil photo ?? ». En 2013, Kanye West ne manquait pas de piquant — rien de neuf de ce coté là — pour commenter la nomination de Stefani Germanotta, de son vrai nom, à la tête du pôle créatif de Polaroïd. La star aux multiples coups de gueules, et coups de génies, pointait alors du doigt le manque de légitimité de nombreuses célébrités à collaborer avec des marques dont elles ne connaissent rien. Le tout uniquement pour leur prêter leur nom et leur image afin de mieux écouler leur stock. Alors certes, la manière de formuler son propos était un poil agressive, mais Yeezus avait parfaitement ciblé une tendance marketing qui n’a fait que prendre du poids ces neuf dernières années.
On dit du bien de l’autre et on est sincères
Et ce n’est pas l’info du jour qui le fera revenir sur ses paroles. Kate Moss, peut être la mannequin la plus célèbre de ces cinquante dernières années, vient d’être nommée directrice artistique de Coca-Cola Light. La marque américaine a déjà annoncé qu’elle travaillera sur une collection capsule, des films publicitaires et des événements organisés autour de son 40ème anniversaire. D’ailleurs, la nouvelle DA a déjà dévoilé sa première campagne — dont elle est la figure centrale, bien évidemment —, intitulée « Love What You Love » et que vous avez pu apercevoir en couverture de cet article. Une opération qui vient souligner « l’importance d’embrasser ce qui vous passionne ». C’est beau. Lors de son lancement, sa tête pensante a expliqué aux journalistes que la campagne l’avait « immédiatement touchée car je crois fermement qu’avec de la confiance et de la passion, on peut réaliser ses rêves les plus fous ». Encore plus beau.
Concernant sa nomination, Moss s’est déclaré « ravie de rejoindre cette grande famille ». Sa nouvelle maison le lui a bien rendu, puisque Michael Willeke, directeur de « l’expérience intégrée pour l’Europe » de Coca-Cola, a annoncé que « la société était honorée de nommer Kate Moss en tant que nouvelle directrice de la création, poursuivant ainsi la riche histoire de la marque en matière de collaboration avec certains des plus grands noms de la mode et de la culture ». En effet, la star des années 90 n’est pas le premier grand nom de la mode à travailler avec l’enseigne de Soda. Avant elle, Karl Lagerfeld et Jean Paul Gaultier lui avaient déjà conçu des canettes et des bouteilles en édition limitée. En 2013, Marc Jacobs avait également été nommé au même poste qu’elle, dévoilant pour l’occasion une campagne où l’on pouvait l’apercevoir seins nus, comme un clin d’œil aux célèbres publicités « Diet Coke break » du siècle passé. La boisson était même un sponsor officiel de la fashion week organisée à Londres en février dernier.
Mariage forcé ou de raison ?
Alors certes, la connexion déjà établie entre Coca-Cola Light et le milieu de la mode, nous pousse à dire que cette nomination a déjà un peu plus de sens que celle de Lady Gaga en 2010. Comme l’a rappelé le Guardian dans un article paru vendredi dernier : « Dans ses mémoires de 2017, l’ancien mannequin Victoire Maçon Dauxerre avait écrit qu’elle limitait son apport calorique à trois pommes par jour et au Coca-Cola light, tandis que l’ancienne rédactrice en chef de Vogue Australie, Kirstie Clements, avait qualifié les cigarettes et le Coca-Cola light d’« aliments de base » pour les mannequins ». Cependant, il est assez amusant de constater qu’à une époque où les marques valorisent une certaine diversité dans les morphologies qu’elles représentent, une boisson qui a toujours été associée — par forcement à raison — au régime s’associe à une célébrité au mantra quelque peu anachronique : « rien n’est aussi bon que la sensation de maigreur ». D’autant plus quand la célébrité en question se trouve être l’incarnation emblématique du top model svelte des décennies précédentes. Mais ça, malheureusement, c’est un sujet pour un autre jour.
Emploi fictif ou leader essentiel ?
Non, cette information nous pousse d’abord à nous demander, à la manière d’un Kanye West furibond : « À quoi renvoie le poste de directeur artistique aujourd’hui ? ». Plus que toute autre chose, doivent-ils être dotés d’une vision sur le long terme pour mieux diriger leur équipe vers l’« esprit » de ce dont le projet a besoin ? L’essentiel de leur fonction consiste-t-il à rechercher, puis embaucher, des concepteurs talentueux, qui sont souvent plus compétents qu’eux ? Un directeur artistique est-il tout simplement un créatif qui a négocié un meilleur poste ? À tout ceci nous répondrons : oui… mais pas que. Mais à l’idée que tout DA doit être forcément passé par la case concepteur nous rétorquerons : absolument pas.
En fonction du secteur professionnel en question, un directeur artistique peut occuper un rôle et avoir des responsabilités très différentes. Mais qu’il travaille dans une agence de pub ou chez un annonceur, les compétences les plus importantes qu’il devra développer sont une facilité à communiquer avec les autres — permise au préalable par un bon recrutement et un bon encadrement —, des qualités évidentes d’organisation — bien gérer les calendriers des projets, la capacité des fournisseurs à respecter les délais ou les paiements en temps voulu — et surtout… un oeil artistique, la composante la plus importante et la plus difficile à développer de zéro. Si vous avez tout le package, vous pourrez gérer n’importe quelle marque et n’importe quel projet. Même si vous êtes connu pour écrire des tubes et que l’on vous demande d’inventer les appareils photos de demain. Prends ça dans les dents Kanye.