Xavier Perret, directeur Azure chez Microsoft, est un geek, mais pas que. Car si cet ingénieur de pure souche est fasciné par les algorithmes, la tech et l’intelligence artificielle, il sait aussi en parler et en montrer l’utilité dans le monde des non-geeks. Il sait par exemple expliquer comment on peut hacker un algorithme pour qu’il confonde Alain Chabat avec un chien (ceux qui n’ont vu le film Didier seront sceptiques à juste titre). Il sait aussi nous expliquer comment des algorithmes peuvent nous aider à prendre de meilleures décisions, y compris en période d’incertitude et de chaos. Et, cerise sur le gâteau, il nous révélera le degré optimal de procrastination avant de jeter son dévolu sur un appartement, un candidat, un profil Tinder, etc.
Sophie Guignard : Vous travaillez depuis 3 ans chez Microsoft, vous avez passé votre carrière dans la tech, vous êtes ingénieur de formation, passionné de technologies en général et d’algorithmes statistiques en particulier. En quoi les algorithmes sont-ils si intéressants et potentiellement utiles aux organisations ?
Xavier Perret : Il faut revenir à la définition originelle de l’algorithme. Un algorithme est une suite finie et non ambiguë d’instructions et d’opérations permettant de résoudre une classe de problèmes , son nom est d’ailleurs dérivé d’un célèbre mathématicien persan du 9ème siècle. En somme un algorithme c’est une heuristique, une expérience que nous avons acquise et que l’on souhaite appliquer, adapter ou généraliser à d’autres problématiques de tous les jours. Or justement nous avons à prendre des décisions dans notre quotidien, et ces décisions peuvent être tout autant insignifiantes qu’impactantes pour les organisations.
Aujourd’hui la révolution numérique permise par l’accessibilité et la disponibilité de puissance de calcul dans le cloud nous permet d’appliquer de manière généralisée ces algorithmes dans toutes nos prises de décisions et donc de les éclairer et de les faciliter. Les algorithmes, la data, la tech nous permettent d’être plus agiles, plus réactifs face aux événements imprévus, face à l’incertitude et la volatilité de notre société.
S.G. : Aujourd’hui, on voit les algorithmes influencer les décisions des sélectionneurs d’équipes de foot ou de rugby, mais aussi celles des politiques et des dirigeants d’entreprises. En quoi sont-ils selon vous de bon conseil ?
X.P. : Nous utilisons tous des algorithmes dans notre vie de tous les jours. Ils sont devenus tellement omniprésents qu’ils en sont devenus presque invisibles. On va trouver des algorithmes pour calculer des nombres, convertir, classifier et trier des informations et optimiser des configurations (maximiser ou minimiser un objectif). Historiquement ces algorithmes étaient largement calculatoires, prédictifs et donc plus faciles à appréhender. Mais ce qui m’intéresse plus particulièrement ce sont les nouveaux algorithmes de prédictions qui sont apparus avec le développement du cloud et de l’intelligence artificielle et qui font appel à des modèles probabilistes et statistiques, comme les algorithmes à base de réseaux neuronaux. Ces derniers permettent à tout manager ou dirigeant d’entreprise, sur la base de données collectées, de modéliser des futurs possibles et donc d’éclairer rapidement des prises de décisions.
S.G. : Dans chaque décision, il y a une phase de recherche d’information et de réflexion, avant passage à l’action. Toute la difficulté consiste à savoir doser la première phase, à trouver le bon degré de procrastination. Jeff Bezos aurait à ce propos une règle simple : lorsqu’il estime avoir 70% de l’information requise pour prendre une décision, il tranche. D’où sort-il ce chiffre? Est-ce cohérent avec ce que disent les algorithmes ?
X.P. : L’un des algorithmes les plus utilisés est celui de l’exploration/exploitation. En gros, il pose la question suivante: combien de temps faut-il pour explorer, écouter son environnement et collecter de la donnée avant de passer à l’action, avant d’exploiter ces données?. Quand je veux recruter quelqu’un, dois- je prendre le premier venu, ou dois-je attendre et voir un maximum de candidats au risque de voir le meilleur me passer sous le nez? C’est un algorithme qui est d’ailleurs abondamment utilisé pour construire des systèmes autonomes capables de prendre des décisions, par exemple dans des processus industriels. C’est aussi celui retenu pour les jeux de hasard dans les casinos avec les bandits manchots. Intuitivement, on aurait tendance à attendre le maximum de temps et pourtant… Nous dévoilerons ce chiffre optimal de procrastination lors des Sommets.
S.G. : Les algorithmes relèvent des mathématiques, obéissant à des règles strictes et prévisibles, donc à l’opposé du monde humain du management, hautement incertain voire chaotique. Pourtant, vous restez convaincu qu’ils ont beaucoup à nous apprendre en terme de gestion de l’incertitude: pourquoi ?
X.P. : Cela peut paraitre contre intuitif mais les algorithmes utilisés aujourd’hui sont principalement probabilistes et non plus simplement déterministes comme l’image d’Epinal de l’ordinateur pourrait nous le suggérer. L’incertain, le hasard, le volatile ne sont pas absents de la tech et, depuis bien longtemps ont été pensés des algorithmes pour créer du hasard – par exemple pour crypter l’information avec des clés générées de façon aléatoire. Dans ces cas-là, des algorithmes recréent statistiquement des situations de hasard pour mieux tester la faillibilité et la résilience de systèmes complexes. Les développeurs utilisent des outils pour créer de manière complètement imprévisible des situations de chaos pour identifier les zones de faiblesse, par exemple en cybersécurité. La tech, les algorithmes peuvent, précisément, nous inspirer et nous aider à mieux gérer finalement la volatilité, la complexité et l’incertitude de notre monde moderne et interconnecté.