30 janvier 2022

Temps de lecture : 6 min

Kiosques numériques ou pas ? Un grand chantier plein d’interrogations

Avec une offre large, les kiosques numériques ont trouvé une place encore modeste dans un univers de la presse qui se digitalise de plus en plus. Ils développent de nouvelles offres pour séduire les abonnés grâce à une meilleure expérience utilisateur et composent, bon gré mal gré, avec la stratégie des éditeurs.

Les kiosques numériques avaient connu un essor formidable avec des offres illimitées adossées gratuitement aux abonnements des opérateurs télécom. Ils font depuis quelques années l’expérience de l’abonnement payant et cherchent de nouvelles manières d’attirer les lecteurs. L’accès à un large catalogue organisé par famille permet de feuilleter des titres familiers, de découvrir des magazines inconnus voire difficiles à trouver chez les marchands de journaux, de se familiariser progressivement avec une marque de presse, de relire d’anciens numéros qui ne sont plus en vente en magasin… Le tout à moindre coût pour peu que l’on ait accès à une offre illimitée, généralement proposée entre 10 et 20 euros. « La bascule sur le digital, la sursollicitation des audiences et le déclin global de la presse papier favorisent les offres illimitées comme la nôtre, analyse Ari Assuied, CEO et fondateur de Cafeyn, kiosque numérique exploité sous la marque LeKiosk jusqu’en 2019. La diversification des contenus et des formats, le marché extrêmement concurrentiel qui s’européanise et les préoccupations majeures concernant les enjeux liés à la RSE nous poussent toutefois à évoluer. »

Racheté par le Suédois Readly en octobre 2021, ePresse a fait l’expérience de cette européanisation, mais reconnait qu’il y a encore du chemin à parcourir. « Le marché n’est pas du tout arrivé à maturité. La partie numérique – et les kiosques en particulier – sont encore très embryonnaires. Tous les acteurs en France ou aux Etats-Unis sont petits par rapport à la taille du marché, reconnaît son dg, Jean-Frédéric Lambert. Les alliances sont importantes car, contrairement à la musique, la presse est un marché multi local où il faut signer avec tout le monde et avoir la plateforme la plus puissante possible pour arriver à se développer. Depuis que nous nous sommes rapprochés de Readly, nous négocions des accords plus globaux. »

Une économie qui se cherche…

Dans l’univers contrôlé par l’ACPM, les kiosques numériques ne représentent que 5 à 6 % des versions numériques, qui explosent pourtant pour atteindre 20 % de la diffusion totale de la presse sur la période intermédiaire 2020-2021. Le secteur a déjà connu une phase de consolidation après l’arrêt de Relay.com en 2018, dont LeKiosk (devenu Cafeyn)  avait repris le portefeuille. « Cafeyn est leader, loin devant ePresse. L’offre myCanal, lancée lors du premier confinement, est devenue très importante avec plus d’un million d’exemplaires par mois éligible ACPM, ce qui la place au niveau d’un opérateur télécom », précise Franck Dimey, directeur diffusion de l’organisme de certification. Par recoupement des sommes versées aux éditeurs, l’ACPM peut se rendre compte de l’importance d’acteurs pourtant non adhérents, comme Apple ou Google. « Apple génère de très gros volumes et est le premier kiosque numérique sur des titres comme Paris Match, Elle ou Le Point. Google Play est beaucoup moins important… Le point faible de toutes ces offres de kiosques numériques, c’est de n’être jamais exhaustives », ajoute-t-il.

ePresse avec Orange et la Fnac, Cafeyn avec SFR, Bouygues Telecom… Le tarif au numéro peut rapidement devenir symbolique et même complètement décorrélé du prix réel d’un magazine…

L’autre point qui fâche se situe au niveau de la rémunération que les éditeurs tirent des consommations numériques, notamment lorsqu’elles sont réalisées par le biais d’offres couplées : ePresse avec Orange et la Fnac, Cafeyn avec SFR, Bouygues Telecom… Le tarif au numéro peut rapidement devenir symbolique et même complètement décorrélé du prix réel d’un magazine, ce qui a incité des éditeurs de revues au prix facial élevé à se retirer des kiosques. Toute la consommation n’est pas non plus comptabilisée dans la diffusion. « Les versions numériques sont comptabilisées au prorata d’un tarif éligible. Sur un quotidien, toutes les copies sont en général retenues mais, au global, plus de 10 % des exemplaires sont perdus », note Franck Dimey. Sans compter que, par effet de bord, la montée en puissance de la diffusion numérique dans la diffusion globale peut amener les annonceurs à se poser des questions sur le tarif de la page de publicité print qu’ils achètent…

Le Monde a toujours tourné le dos aux kiosques numériques, leur préférant une politique d’auto-distribution qui lui a d’ailleurs très bien réussi…

Des éditeurs reprennent leur distribution en main

Si Le Monde a toujours tourné le dos aux kiosques numériques, leur préférant une politique d’auto-distribution qui lui a d’ailleurs très bien réussi (318 016 versions numériques dans une diffusion France payée de 424 085 ex. dans la DSH 2020-2021, selon l’ACPM), d’autres titres ont révisé leur politique au fil du temps et de la montée en puissance de leur propre offre numérique. Après avoir longtemps trainé les pieds, Le Point avait fini par tenter l’expérience et a quitté Cafeyn fin 2021 (il est encore présent sur ePresse). L’Equipe a aussi annoncé son départ des kiosques en septembre 2021. Le quotidien sportif n’est plus référencé sur ePresse depuis le début de l’année et n’était déjà pas proposée dans son offre Fnac. Il est toujours disponible sur Cafeyn – qui lui a intenté un procès -, la Cour d’appel de Versailles ayant obligé l’éditeur à rester jusqu’à fin août comme le stipulait son contrat. Gros coup dur pour les kiosques pour lesquels le quotidien sportif reste un produit d’appel incontournable !

Après avoir eu une présence limitée sur les kiosques numériques, le groupe Ouest-France, a aussi quitté Cafeyn depuis le 1er janvier 2022 et va poursuivre le mouvement avec ePresse. « Les kiosques numériques ont été intéressants pour faire connaître notre édition nationale, mais nous avons besoin de connaître nos lecteurs et d’avoir un contact direct avec eux. Pour bénéficier du vivre ensemble avec Ouest-France, il vaut mieux venir sur notre plateforme, qui est devenue le deuxième site d’information », explique Olivier Porte, directeur commercial et marketing de Ouest-France.

Les kiosques distribuent la version pdf du Figaro mais ce que le groupe propose en direct à ses abonnés numériques va bien au-delà avec des articles qui leur sont réservés, des newsletters, des vidéos, des podcasts

Même raisonnement du côté du Figaro, qui a encore une présence limitée sur Cafeyn du fait du reliquat d’anciens contrats, et n’est proposé depuis plusieurs mois sur ePresse qu’en achat à l’acte. « Les kiosques distribuent la version pdf mais ce que nous proposons en direct à nos abonnés numériques va bien au-delà avec des articles qui leur sont réservés, des newsletters, des vidéos, des podcasts, la capacité à commenter les articles… Grâce à ces offres numériques, nous pouvons récupérer de la data pour tisser des liens encore plus étroits avec eux », observe Bertrand Gié, directeur délégué du pôle News du Groupe Figaro. Il se montre par ailleurs assez dubitatif sur le bien-fondé des offres couplées entre abonnements : « En tant qu’éditeur, nous n’avons pas envie d’être désintermédiés une deuxième fois sur les kiosques numériques, alors que nous sommes déjà distribués par IOS ou Android. On ne voit pas d’offre SVOD qui propose Netflix, OCS et Canal+ pour le prix de Netflix. Ce serait sans doute super pour le consommateur, mais personne ne le fait ! »

Convaincre les plus réticents

« Nous ne pensons pas que ces décisions sur l’auto-distribution représentent un phénomène de fond, tente de rassurer Ari Assuied. Il s’agit d’actions isolées. Nous cherchons de toute façon à répondre aux attentes d’un lectorat qui est attaché à la presse en général et non pas à ceux des personnes qui sont fidèles à un titre en particulier. » Au-delà des titres qui ont une marque suffisamment forte pour pouvoir se distribuer par eux-mêmes, les kiosques arrivent en complément de ce que font les éditeurs sur le numérique. Il faut parfois convaincre les plus réticents à se lancer dans l’aventure, comme l’a par exemple fait ePresse avec Prisma Media. « Ce groupe fait partie de ceux qui maîtrisent le mieux la distribution de leurs titres. Nous les avons convaincus d’essayer notre plateforme avec quatre titres et, au fur à mesure, nous leur montrons l’avantage à être dans notre offre. L’exemple de Prisma montre à quel point ce marché reste mouvant et que l’on a besoin de tester les bonnes approches », souligne Jean-Frédéric Lambert.

Des diversifications pour une meilleure expérience utilisateur

Pour continuer à rester attractifs, les kiosques développent et diversifient leur offre. ePresse avait mis en place un flux live d’articles à la faveur d’un accord avec l’AFP. « Nos concurrents restent la vidéo, la musique et les jeux mais les flux d’information et d’articles sont une tendance de fond pour ne pas trahir les centres d’intérêts de nos utilisateurs », ajoute-t-il. Après le départ de L’Equipe, c’est d’ailleurs avec l’AFP qu’ePresse travaille sur un fil info sport. D’autres innovations arriveront dans les mois qui viennent. « Nous voulons développer une plateforme multi contenus avec des fonctionnalités clés, en développant la curation et l’éditorialisation », détaille de son côté Ari Assuied.

Ouest-France souhaite pouvoir maîtriser la contextualisation et la hiérarchisation de nos articles, qui est établie par la rédaction sur son site

Après un essai fructueux effectué auprès des clients de SFR, Cafeyn lance pour ses abonnés un fil d’actualité en continu contenant des informations puisées auprès de vingt fournisseurs comme ChallengesLibération, Slate et Brief.me. La plateforme propose par ailleurs des flux d’info avec sept à neuf articles par semaine lus par des professionnels « pour une nouvelle expérience d’écoute et pour accompagner les moments où la lecture n’est pas possible ». L’offre s’enrichit aussi de podcasts désormais proposés sur son application. Un travail sur l’offre presse n’est d’ailleurs pas forcément du goût de tous les éditeurs. « Nous souhaitons pouvoir maîtriser la contextualisation et la hiérarchisation de nos articles, qui est établie par la rédaction sur le site de Ouest-France », note Olivier Porte.

En résumé

Cafeyn s’est lancé en 2021 en Irlande, au Luxembourg et au Canada. En 2020, le pure-player avait débarqué aux Pays-Bas et en Espagne et l’année précédente en Italie et au Royaume-Uni. Ses accords avec plus de 500 éditeurs qui lui permettent de proposer 3000 titres de presse.

Avec l’acquisition de Toutabo, éditeur du kiosque numérique ePresse, le Suédois Readly AB a fait son entrée sur le marché français. Readly a intégré à son offre le catalogue du kiosque français qui revendique 1 000 magazines et 300 journaux. Il annonce depuis un catalogue de 6 000 magazines en ligne issus de plus de 1 000 éditeurs.

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