30 janvier 2022

Temps de lecture : 3 min

Félicitations, l’algorithme a retenu votre projet !

Le streaming vidéo, mix d’entertainment et de technologie, est actuellement une place de marché des plus productives et génératrices de cash. Netflix, avec ses circa 200 millions d’abonnés en 2021, en est la figure de proue et quand un Frenchy parvient à s’allouer son service, on est assez chauvin pour le clamer. On a rencontré Sébastien Deurdilly d’Upside Télévision, agence de presse et productrice de référence de la télévision française, notamment du docu-série « Monsters Inside », pour savoir ce que ça fait d’être l’élu des… algorithmes.  

« Félicitations, l’algorithme a retenu votre projet, les données sont formelles : ce sera un carton mondial ! » C’est comme cela que les équipes de Netflix ont commencé leur premier rendez-vous avec le producteur Sébastien Deurdilly, le directeur général d’Upside Télévision à l’origine du documentaire « Monsters Inside: The 24 Faces of Billy Milligan » (« Billy Milligan : ces monstres en lui » en français), aux millions de spectateurs.

Cet algorithme qui nous avait dit il y a quatre ans que Monsters Inside serait un succès mondial avait raison. Mais on n’arrive pas très bien à savoir si c’est une bonne nouvelle

L’anecdote, racontée à l’automne 2021 sur la scène de la conférence Médias en Seine au siège du groupe Les Échos-Le Parisien, est révélatrice de la culture Netflix. Une culture dans laquelle les données et les algorithmes sont rois et permettent de tout optimiser, vraiment tout. Car l’expérience de Sébastien Deurdilly ne s’arrête pas là : « On a rentré toutes nos données de budget dans leur logiciel comptable, et là, l’algorithme a révélé tous les anachronismes. » L’intérêt ? Pouvoir comparer le budget prévisionnel du projet avec ceux de toutes les autres séries financées par Netflix… pour mieux pointer les incohérences et optimiser ce qui peut l’être. Un exemple parmi (beaucoup) d’autres : « On nous a dit que notre estimation du coût d’électricité pour quatre jours de tournage dans l’Ohio à 55 dollars était surestimée et que c’était plutôt 40 dollars. » Redoutable… d’autant plus que Netflix demande aussi l’accès aux comptes bancaires du producteur pour vérifier ensuite chaque dépense.

Ultra cibler, ultra raffiner…

Si l’obsession de la donnée est poussée à l’extrême du côté de la production, elle l’est tout autant pour ce qui concerne la promotion des programmes une fois qu’ils sont diffusés sur la plateforme. « Sur notre série, ils ont édité des dizaines de vignettes qui étaient adaptées aux centaines de cibles marketing dont ils disposent parmi leurs [centaines de] millions d’abonnés. Il fallait s’adresser à chaque personne comme si cette série lui était adaptée », ajoute le producteur.

Nous savons que si nous ne captons pas l’attention d’un abonné dans les 90 secondes, celui-ci perdra probablement tout intérêt et passera à une autre activité 

En effet, Netflix a raffiné ses pratiques marketing au fil des années. Un des enjeux premiers du service de SVOD (la vidéo à la demande avec abonnement) est d’optimiser au mieux son algorithme de recommandation de nouveaux contenus grâce à toutes les données qu’il a collectées sur les usages de chacun de ses membres. Le sujet est crucial pour retenir les abonnés dans l’application : « Nous savons que si nous ne captons pas l’attention d’un abonné dans les 90 secondes, celui-ci perdra probablement tout intérêt et passera à une autre activité », explique Gopal Krishnan, le vice-président de l’Ingénierie de Netflix, dans un blog.

Séduire en 1,8 seconde

Pour être sûr de capter l’attention de ses abonnés lorsqu’ils se connectent, puis les inciter à lancer un nouveau film, documentaire ou épisode de série dès qu’ils en ont fini un, Netflix teste en permanence des milliers de combinaisons pour ses vignettes, en variant les couleurs des visuels, les personnages mis en avant, les émotions véhiculées, etc. afin de les faire correspondre aux goûts de chacun. Ainsi, un fan de comédies romantiques verra, pour le même film, une image bien différente que celle proposée à un passionné de films d’horreur. L’enjeu est de taille : dans une étude menée en interne par Netflix en 2014, ses chercheurs ont relevé que les utilisateurs consacraient en moyenne 1,8 seconde d’attention à chaque vignette présentant un programme. Est-ce que tout cela fonctionne ? A priori oui. Si Netflix, conscient du trésor qu’il a entre les mains, est peu partageur de ses données, Sébastien Deurdilly a eu la satisfaction de voir son docu-série entrer dans le Top 10 de plusieurs pays. Aux États-Unis, Monsters Inside est même monté jusqu’à la troisième place du podium, un exploit pour un contenu made in France. Conclusion du producteur : « Cet algorithme qui nous avait dit il y a quatre ans que cette série serait un succès mondial avait raison. Mais on n’arrive pas très bien à savoir si c’est une bonne nouvelle ou non… »

 

 

 

 

 

 

 

 

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