INfluencia : vous faites le choix de vous associer à l’offre publique d’achat simplifiée d’Ardian et de Cathay Capital. Pourquoi ?
Vincent Luciani : nous souhaitions sortir de la bourse, mon associé Guillaume de Roquemaurel et moi. Cela faisait deux ans que nous préparions cela. Nous étions à la recherche de fonds pour soutenir la croissance de notre entreprise. Et nous sommes très heureux de les avoir trouvés. Nous nous associons à cette offre, Guillaume, 60 manageurs d’Artefact et moi, en réinvestissant fortement aux côtés d’Ardian.
IN : pourquoi avoir décidé de sortir de la bourse ?
V.L. : la bourse, c’est bien, mais les opportunités présentées par les fonds d’investissements sont encore plus intéressantes. Cela nous permet d’aligner les intérêts des investisseurs à ceux du management. Cela nous offre également une perspective de long terme, contrairement à la bourse, qui se concentre sur le court terme, avec des publications trimestrielles de performance. Les fonds d’investissement se situent sur des cycles allant de 4 à 7 ans en moyenne. Cette perspective apporte la sérénité dont nous avons besoin pour opérer la forte expansion que nous souhaitons mettre en œuvre. Ardian est un leader mondial précisément en phase avec cette logique d’expansion internationale qui répond à notre ambition.
IN : vous disposez déjà d’un réseau mondial. Qu’entendez-vous par accélération de votre expansion géographique ?
V.L. : notre réseau est de fait déjà très diversifié : nous sommes présents dans 15 pays sur les cinq continents. L’international répond déjà pour plus de la moitié de notre chiffre d’affaires. Nous allons réaliser 550 recrutements en 2022. Notre ambition est de tripler de taille d’ici à 2025. Le but pour nous n’est pas nécessairement d’ouvrir de nouveaux bureaux, mais de renforcer notre présence sur chaque marché via notamment la croissance externe. Les États-Unis, où nous avons ouvert un bureau il y a un an, sont une priorité pour nous. Pour gagner des parts de marché à l’international, nous allons d’abord nous concentrer sur des acquisitions d’entreprises opérant sur ce qui représente le cœur de notre activité, le data driven marketing. Nous chercherons des entreprises qui disposent de l’ADN qui nous correspond et qui répondent à nos exigences.
IN : votre groupe est déjà une référence en services data au-delà même de votre métier historique de data marketing. Pouvez-vous repréciser le périmètre actuel d’Artefact dans ce large marché de la data et celui vers lequel vous souhaitez tendre ?
V.L. : le marché de la data est de fait énorme : il pèse 200 milliards de dollars [voir ici notamment les prévisions d’IDC, NDLR.]. Notre chiffre d’affaires est d’un peu moins de 100 millions d’euros. Nous sommes un pure player champion du conseil et de l’accompagnement technologique avec un périmètre historique : le data driven marketing. En parallèle nous avons mis en place d’autres offres que nous souhaitons développer dans les prochaines années. Nous accompagnons les entreprises dans leur transformation data driven – à choisir les bonnes infrastructures big data, IT, disposer de la bonne gouvernance autour de données, renforcer leurs compétences, etc. Nous déployons des data factories chez nos clients pour leur accélération et la résolution de leurs problématiques business (nous avons notamment de très gros projets en cours en ce moment chez Orange, Carrefour et L’Oréal). Enfin, nous déployons de plus en plus des solutions packagées pour résoudre des problèmes très précis grâce à la data.
IN : vous souhaitez qu’Artefact devienne le groupe leader mondial des services data. Où vous en êtes ? Quels sont vos concurrents ?
V.L. : nos seuls concurrents pure players à l’échelle internationale sont BCG GAMMA et Palantir. On peut également citer Accenture, mais qui n’est pas un pure player. Ensuite, dans chaque pays, on aura des concurrents locaux. En France, on peut citer Ekimetrics. Mais à ma connaissance, il n’existe pas à ce jour d’entreprise d’une taille similaire à la nôtre qui soit en mesure d’accompagner ses clients à l’international comme nous le faisons. Nos clients sont des grandes entreprises internationales. Nous souhaitons créer un champion français des services autour de la donnée. Je trouve que cela a un sens énorme dans ce contexte de quête d’éthique et de respect des consommateurs et de l’environnement. Un acteur qui sache faire la data de manière moderne, performante et éthique.
IN : pour vous, le fait d’être français change la donne en matière d’éthique ?
V.L. : absolument ! Le fait d’être une entreprise mondiale d’origine française représente d’énormes atouts. Pensez au RGPD européen : le monde entier essaye de se calquer sur son modèle. Les mathématiciens français sont très fortement reconnus partout dans le monde. Nous sommes en train de bâtir une culture de la meilleure façon de faire de la data que nous présentons au monde. La seule chose dont nous ne disposons pas, c’est l’infrastructure : notre parti pris est de travailler avec les technologies de nos clients. Nous sommes complètement agnostiques.
IN : en 2017 vous aviez avec vos associés piloté la fusion de votre alors « start-up » Artefact avec le groupe Netbooster. Aujourd’hui, quel bilan dressez-vous de cette fusion ?
V.L. : le bilan est très positif. Le groupe a doublé de taille depuis 2017, nos recettes ont évolué de 40 millions à 80 millions d’euros en 2021. Nous avons réussi à construire une offre de data driven marketing de bout en bout parmi les meilleures du marché et nous nous sommes très fortement développés à l’international.
IN : toujours concernant cette fusion, le management actuel est-il parvenu à faire la synthèse de ces deux cultures ?
V.L. : je ne considère pas qu’il doive exister une culture mais de multiples cultures. Chez Artefact on raisonne par communautés que l’on appelle des chapters, en référence au modèle Spotify. Des personnes disposant des mêmes compétences et cultures forment un chapter. Chaque chapter dispose d’un très grand degré d’autonomie, tout comme chaque pays. Le savoir et le savoir-faire d’Artefact sont la somme de ces communautés. C’est un facteur clé de succès.
IN : à vous entendre tout paraît si simple. Quel est le principal défi à relever désormais ?
V.L. : le principal enjeu de notre marché est la pénurie des talents. Il y a beaucoup plus de projets que de projets que nous sommes en mesure de réaliser à cause de cette pénurie. C’est pour cela que nous avons créé un très grand programme de formation. Notre ambition est de construire la nouvelle génération des data leaders. Nous avons créé à Paris la School of Data, qui vise à former entre 100 et 200 nouveaux collaborateurs par an pour nous et pour le marché. Cette école a également la vocation de former des gens chez nos clients pour leur permettre de mieux appréhender les enjeux autour de la donnée et de ne pas avoir peur des ruptures technologiques. Nous projetons de former 800 professionnels chez nos clients cette année.
En résumé
Le pure player de data marketing Artefact entame un nouveau chapitre de son développement marqué par l’accélération de son expansion internationale. L’entreprise quitte la bourse et accueille deux fonds d’investissements (Ardian et Cathay Capital) afin de déployer son stratégie de conquête de parts de marché par croissance externe. Le marché américain est une priorité d’Artefact dans son projet de devenir le champion mondial français des services data.