INfluencia : comment Canal+ Brand Solutions aborde-t-elle la fin de 2021 et, surtout, le début de l’année 2022 ?
Fabrice Mollier : l’année se finit de manière très favorable car le marché est bien reparti depuis le printemps et nos supports sont en pleine santé : CNews a doublé son chiffre d’affaires publicitaire en 2021, C8 s’est repositionnée sur le feel good et est en train d’en recueillir les fruits, des inventaires très premium ont été créés sur Canal+, sur ses déclinaisons et sur myCanal… Le chiffre d’affaires télé a progressé et nous avons gagné plus de 200 clients en un an en passant à 1275 annonceurs. C’est en grande partie lié à CNews car les chaînes d’information accueillent traditionnellement beaucoup de PME, mais aussi à l’augmentation de la part de marché de la régie (+1,3 point à 10,7 %) et à la variété des supports que nous commercialisons avec de la télé, du digital et du cinéma (UGC et Le Grand Rex). Cet éventail de clients permet de travailler sur des problématiques différentes. Je préfère d’ailleurs parler de cross fertilisation que de cross média car les idées viennent moins d’une négociation commune que d’enjeux très hétérogènes, qui nous amènent à identifier des solutions médias aussi créatives dans les ciblages, les dispositifs et dans le brand content. En tant que régie, nous cherchons à identifier tous les plus qu’il y a dans Canal+ – le caractère ultra premium, la créativité et la data – et les mettre à profit dans les stratégies média de nos clients.
Notre éventail de clients favorise la cross fertilisation. Les enjeux très hétérogènes amènent à identifier des solutions médias créatives dans les ciblages, les dispositifs et dans le brand content
IN : la part d’audience de CNews a fortement progressé (2,2 % de part d’audience en septembre et octobre) mais la chaîne est souvent au cœur de polémiques. Cela freine-t-il certaines marques ?
F.M : Les marques apprécient de pouvoir communiquer sur une chaîne qui côtoie régulièrement le leadership des chaînes info et qui rassemble pour trois quarts, les CSP+. Elles sont intéressées par la progression de part d’audience et par le fait que cette chaîne est au diapason de la société française. CNews a remis le débat sur le média télévision où il n’était plus tellement présent. Exposer le débat sur un média vu de tous et partagé par tous évite qu’il ne s’exprime que dans la rue ou sur les réseaux sociaux.
CNews est au diapason de la société française. La chaîne a remis le débat sur le média télévision où il n’était plus tellement présent
IN : le gratuit CNews vient en revanche de renoncer à son édition papier. Le cinéma a aussi connu une année 2021 très difficile. Dans quelle mesure cela impacte-t-il la capacité de la régie à toucher la diversité des points de contacts qu’elle met en avant ?
IN : la hausse de plus de 50 % du coût du papier a rendu l’équation économique du gratuit irréaliste et amené son éditeur à cesser la parution. Nous continuons à nous appuyer sur le site de la marque, qui s’est beaucoup renforcée sur le digital avec presque 10 millions de visiteurs uniques par mois. Ce site reflète la mue du print vers le digital et est très orienté vidéo puisqu’il est alimenté par la chaîne CNews. Après de longs mois de fermeture des salles, les marques reviennent de manière très enthousiaste vers le cinéma, qui est le média le plus premium et propose une qualité de contact inégalée. Avec UGC et Le Grand Rex, en régie chez Canal+ Brand Solutions depuis janvier 2020, nous avons les réseaux cinéma les plus premium et très affinitaires avec les cibles CSP+. Cette année, nous avons commercialisé la Féérie des eaux du Grand Rex. C’est très emblématique de notre capacité à aller au-delà des audiences et des contextes, en proposant des dispositifs un peu magiques.
IN : dans un univers de plus en plus fragmenté, l’access est souvent considérée comme le nouveau prime time de la télé. Celui de C8 reste stratégique en termes de publicité, quand celui de Canal+ réalise aujourd’hui des audiences dérisoires…
F.M. : En access sur C8, Touche pas à mon poste ! fait sa meilleure rentrée depuis 2016 grâce à la capacité de Cyril Hanouna d’évoquer les thématiques de société sur une cible jeune et avec une vraie approche de divertissement. Le modèle de Canal+ n’est plus celui d’une chaîne où l’access servait à recruter des abonnés. Dans un monde structuré autour des offres de SVOD, elle est une plateforme digitale à laquelle on s’abonne pour avoir accès à une offre de contenus premium et exclusifs. C’est le premier mois d’abonnement qui sert de vitrine. Canal+ continue d’être différenciante en access avec En Aparté, une émission d’accueil qui permet de faire rayonner les talents et les acteurs qui font l’actualité cinéma. Les magazines sportifs sont un autre point fort de l’access. Nous avons créé des écrans courts très premium avant des événements sportifs ou sur myCanal. Sponsor + offre par exemple aux marques une émergence optimale qu’elles ne retrouvent pas ailleurs.
Canal+ est devenue une plateforme digitale à laquelle on s’abonne pour avoir accès à une offre de contenus premium et exclusifs. C’est le premier mois d’abonnement qui sert de vitrine
IN : comment évolue la tolérance à la publicité dans les univers payant et sur le digital ?
F.M. : nous sommes très attentifs à cela et nous reproduisons sur le digital l’expérience du linéaire. Il y a donc de la publicité les contenus gratuits de Canal+, mais seulement du parrainage sur les contenus payants. Sur le cinéma par exemple, Carte Noire est présente depuis 25 ans en billboard avant les films et la marque vient de renouveler son partenariat pour une nouvelle année.
IN : la télévision segmentée est le grand sujet de moment, sur lequel le groupe Canal+ est à la fois régie et opérateur. Pourquoi les premières offres sont-elles arrivées aussi tardivement, en novembre 2021 ?
F.M. : les offres de télé segmentée ont été lancées en novembre 2021 chez Bouygues Telecom et arrivent chez Orange en janvier 2022. Nous avons pris du retard car l’ensemble des régies de diffusion a été refondu dans un seul centre qui gère le gratuit et le payant, le linéaire et le digital, et nos chaînes à l’international. Pour le groupe qui compte 22 millions d’abonnés dans 40 pays, la maîtrise de la diffusion est stratégique. Ce saut qualitatif qui n’a rien à voir avec la publicité a nous a conduit à reporter notre lancement sur la télé segmentée. Comme nous sommes aussi opérateur, nous avons mis à profit ce temps pour avancer sur notre propre parc et une partie des box Canal+ sera adressable à partir de mi-2022. Dans un premier temps, nous nous donnerons une priorité en tant que régie pilote, avant d’ouvrir le parc aux autres régies, sur le même modèle d’accords que les régies télé ont noué avec les opérateurs télécoms.
IN : bénéficiez-vous de la courbe d’expérience que les marques ont construit depuis près d’un an auprès des autres régies ?
F.M. : les échanges avec les autres régies membres du SNPTV montrent que ce mode de commercialisation est plutôt utilisé par des nouveaux entrants et des PME qui amènent de nouveaux enjeux marketing, et des annonceurs avec des problématiques de niche en termes de ciblage ou de géographie. Autre élément passionnant : la data, qui est l’arbre qui se cachait dans la forêt de la télé segmentée, recèle un immense potentiel et permet aux marques de mieux utiliser la télévision linéaire. Sur ce sujet, nous sommes plutôt en avance parce qu’en tant qu’opérateur, nous avons accès à de la data first party. Notre plateforme Connect+ permet d’analyser l’exposition d’une campagne auprès des abonnés Canal, quelle que soit la chaîne qu’ils regardent. Nous pouvons comparer l’efficacité entre les exposés et les non-exposés, déterminer des taux de transformation selon le nombre, les jours ou les heures d’exposition… et d’avoir une analyse très précise des impacts de chaque élément du médiaplanning.
La data – l’arbre qui se cachait dans la forêt de la télé segmentée – recèle un immense potentiel et permet aux marques de mieux utiliser la télévision linéaire
IN : pourquoi la régie a-t-elle lancé des programmes comme La Fabrique de la TV Segmentée puis #Askip et avec quels résultats ?
F.M. : l’idée d’#Askip est née pendant le confinement pour continuer à parler à nos clients. Au moment où tout le monde faisait des webinars assez hétérogènes en termes de qualité technique et de discours, nous avons voulu utiliser le savoir-faire du groupe sur la fabrication de contenus et notre habitude de fédérer différents types d’acteurs. Nous ne voulions pas seulement être dans le sales pitch mais faire de la pédagogie pour acculturer nos clients sur les grands sujets du moment. Ces émissions BtoB présentées par des talents groupe – Lorie Cholewa (Tchitcha) pour la télé segmentée et la data, Isabelle Moreau (L’info du vrai) sur la planète – font intervenir des partenaires, des start-up, des annonceurs, et même nos concurrents opérateurs et diffuseurs sur la TV segmentée. Chaque émission génère entre 1000 et 3000 visionnages, les scores les plus importants ayant été atteints par les numéros sur la data, les jeunes et la planète. Il y aura au minimum cinq nouvelles émissions en 2022.
IN : comme d’autres régies, Canal+ Brand Solutions a inauguré en juillet sa calculette carbone. Au moment où les actions RSE se structurent progressivement dans l’interprofession, comment cela se traduit-il chez Canal+ Brand Solutions ?
F.M. : l’environnement et la RSE sont des sujets sur lequel le groupe est très engagé. Le respect de la planète résonne particulièrement quand on est présent dans toutes les géographies, en Afrique, en Asie du Sud-Est… Notre sensibilité RSE est depuis toujours très importante car nous fabriquons des décodeurs, dont nous gérons le transport, le recyclage… En interne, nous avons trois comités – Et ta sœur, Et ton frère, Et ta planète – qui listent tout ce qui est fait ou doit être fait sur la représentation des femmes dans les médias, la mixité, la représentation de la diversité… Canal+ Brand Solutions a aussi pris très en amont les sujets d’environnement et de RSE. Nous avons été la première régie à lancer une calculette plurimédias (TV, digital, cinéma) avec Engie comme partenaire annonceur. Aujourd’hui, nous sommes régie pilote au SNPTV et au SRI sur la convergence des indicateurs et des méthodologies sur le calcul de l’impact carbone. Notre entité créative Canal+ Brand Factory est formée à l’écoproduction. Nous travaillons beaucoup sur la diversité et le développement durable en brand content.
Nous avons été la première régie à lancer une calculette plurimédias (TV, digital, cinéma). Nous sommes régie pilote au SNPTV et au SRI sur la convergence des indicateurs et des méthodologies sur le calcul de l’impact carbone
IN : la créativité et la proximité avec le cinéma sont une marque de fabrique des publicités pour Canal+, avec Kad Merad en vedette quand il s’agit de promouvoir la distribution de Netflix ou de montrer montre toute l’ambiguïté du public sur le piratage…
F.M. : cette campagne Les Codes est même devenue une saga avec une saison 2 où Kad Merad est tellement devenu l’égérie de Canal+ que tout le monde lui demande les codes et qu’il n’a plus de vie. Si la créativité est une marque de fabrique de l’annonceur Canal+, nous la cultivons aussi depuis cinq ans à travers Canal Brand Factory, qui mobilise tous les assets du groupe pour les transformer en production de contenus. Cette structure vient fait sa meilleure année et 2022 sera à nouveau très riche !
IN : vous avez fait toute votre carrière chez TF1 puis Canal+, qui ont chacun connu des évolutions stratégiques majeures… Qu’est-ce que vous en tirez au plan personnel ?
F.M. : on oppose souvent TF1 et Canal+ mais j’ai été étonné par les similitudes entre ces deux groupes qui ont été très leaders sur leur marché respectif, puis confrontés à un bouleversement de leur écosystème et ont dû réinventer leur modèle. J’ai beaucoup de chance car j’adore m’ouvrir à des modèles en mutation permanente. Je trouve par exemple très intéressant la capacité qu’a eue Canal+ à se transformer de la chaîne numéro 4 en une plateforme digitale mondiale. En tant qu’éditeur et distributeur, acteur français et mondial qui couvre la télé, le digital et la salle de cinéma…, le groupe Canal+ est une entreprise avec des compétences extrêmement variées et une très forte culture tech, liée à la fabrication des décodeurs et au fait d’être crypté. Il y a donc un terrain de jeu extrêmement varié et très intéressant de mobiliser en tant que régie. Autre point commun : Canal+ comme TF1 montrent à quel point les entreprises leader qui ont souffert et se sont réinventées ressortent beaucoup plus fortes !
En résumé
Canal+ Brand Solutions est la régie publicitaire de 34 marques média, dont Canal+, C8, CStar, CNews, les marques Eurosport et Discovery, RTL9, myCanal, UGC et le Grand Rex.