INfluencia : vous êtes directrice déléguée de Ouest-France, en charge de la RSE et du développement durable. Que traduit la présence de la fonction que vous occupez au sein des organes de direction sur l’importance de ces sujets pour le groupe ?
Maud Lévrier : comme beaucoup d’entreprises en France, le groupe SIPA Ouest-France a longtemps fait de la RSE « comme monsieur Jourdain », y compris dans des domaines les plus sensibles sur le plan environnemental : les centres d’impressions ont adopté le label Imprim’Vert, utilisent du papier durablement géré, le groupe essaie d’utiliser le moins de matière première possible, les tournées de portage sont optimisées… Tout cela faisait partie du fonctionnement de l’entreprise et n’a cessé de progresser. A l’occasion de mon arrivée dans le groupe, en juillet 2019, la direction a décidé de me confier cette casquette développement durable, ce qui a en effet été un signal fort. Elle a considéré qu’il fallait une personne plus spécifiquement en charge de ces sujets au sein des organes de direction, et pas seulement nommer une personne en interne ou recruter un chargé de projet qui essayerait de faire avancer ces dossiers en étant un peu isolé. Aujourd’hui, nous nous apprêtons à passer un nouveau cap. Nous travaillons pour début 2022 à un nouveau plan d’action afin de nous concentrer sur des grandes priorités et passer à la vitesse supérieure : une chef de projet dédiée à 100 % au développement durable et de l’engagement a été nommée.
IN : comment avez-vous procédé dans cette première phase d’engagement ?
M.L. : la question consistait tout d’abord à définir l’intention du groupe car il y a différentes façons d’aborder les sujets de RSE : en faire un sujet de communication en surfant sur ce que l’on faisait à l’époque, mener quelques actions fortes et symboliques pour renforcer notre engagement et montrer que nous sommes vertueux ou adopter la « méthode austère » qui consistait à balayer devant notre porte sans faire de bruit. C’est cette méthode qui a été retenue ! Nous parlons beaucoup d’environnement et de responsabilité sociétale dans les colonnes de Ouest-France, de nos journaux de Loire (Courrier de L’Ouest, Le Maine Libre, Presse Océan), des hebdomadaires de Publihebdos, des magazines du pôle mer…, mais nous voulons aussi agir ! Un appel a été lancé auprès des salariés pour travailler avec des volontaires sur ces sujets, qui pourraient ainsi infuser dans les services et permettre à chacun de se rendre compte des enjeux. Une cinquantaine de personnes ont souhaité participer à des groupes de travail qui se sont tenus à partir d’octobre 2019 sur différentes thématiques qui nous permettaient d’être crédibles dans ce premier plan d’action et d’aller plus loin dans un deuxième temps.
Nous parlons beaucoup d’environnement et de responsabilité sociétale dans nos journaux, mais nous voulons aussi agir !
IN : quels sujets ont été retenus et comment ont-ils été relayés ?
M.L. : les huit thématiques couvraient toutes les dimensions de notre impact environnemental : les sujets industriels, la distribution des journaux, la sobriété numérique, la gestion des déchets, la performance énergétique des bâtiments, le transport et la mobilité des salariés, la communication interne pour embarquer les salariés, l’audit et les indicateurs pour mesurer et voir où l’on va. Pendant un an et demi, nous avons travaillé sur beaucoup de petites actions très concrètes (remplacement des gobelets et des bouteilles en plastique, mise en place d’abris à vélos…) qui peuvent paraître simples mais qui ne sont pas si facile à mettre en place, surtout en période de Covid. Nous avons aussi retravaillé sur le rapport RSE de Ouest-France pour avoir un document plus mobilisateur à remettre aux salariés et aux nouveaux embauchés, et aussi plus complet vis-à-vis de nos lecteurs, de nos partenaires, etc. D’autres sujets très structurants sont à l’étude, par exemple pour inciter à l’utilisation de véhicules plus propres sur le portage de nos journaux ou pour aider nos abonnés à identifier l’action ou l’association locale qu’ils pourraient soutenir.
IN : dans cette stratégie des petits pas pilotée au plus haut niveau du groupe, certains sujets ont-ils plus avancé que d’autres ?
M.L. : certains sujets, comme le tri sélectif partout où il a été déployé, ont été complètement adoptés. Au siège de Rennes comme dans les agences locales, les mises à disposition de vélos électriques se multiplient et les abris à vélos sont de plus en plus occupés. Chez les salariés, l’auto partage se développe. Le parc automobile de la régie publicitaire migre vers des véhicules hybrides… Il y a au niveau de la direction générale et des directions de filiales une vraie volonté d’avancer en prenant conscience du rôle que chacun peut jouer dans ce domaine. Comme dans toutes les entreprises, il reste encore beaucoup de marches à gravir car c’est une démarche qui touche à nos organisations, nos modes de fonctionnement. Cela représente aussi un coût et des arbitrages au cœur des projets. Tous nos projets ne sont pas forcément passés au crible de l’impact environnemental mais nous avons une oreille attentive des services et ces questions sont intégrées de manière plus ou moins mature selon les activités. C’est aussi important pour les recrutements. Il est arrivé que des candidats nous interrogent sur nos actions en matière de développement durable. Ils se renseignent et s’ils ont plusieurs possibilités, cela peut faire partie de leurs critères de choix. Quand ils ont des compétences très recherchées et dont nous avons besoin, cela fait réfléchir…
Il y a au niveau de la direction générale et des directions de filiales une vraie volonté d’avancer en prenant conscience du rôle que chacun peut jouer dans ce domaine
IN : le groupe a-t-il aussi travaillé sur une raison d’être ?
M.L. : un journal comme Ouest-France a été fondé avec l’objectif d’informer au plus près et d’être accessible à tous. Sa mission est inhérente à la création de l’entreprise. Comme une mission naturelle exigeante et qu’il faut faire vivre. De ce point de vue, notre raison d’être est formulée et depuis longtemps. Le nom de l’association qui gouverne le groupe – Association pour le soutien des principes de la démocratie humaniste – est aussi très explicite et porte des valeurs dont tout le système de gouvernance est le garant. Aujourd’hui, beaucoup de lecteurs et de non-lecteurs de la presse expriment des réserves sur l’indépendance des médias. Nos lecteurs nous font confiance car nous sommes indépendants tant sur le plan éditorial que sur notre organisation. Cela a aussi de l’importance à l’interne quand on voit l’instabilité que créent les rachats de médias au sein des équipes, pour le développement des entreprises…
Ouest-France a été fondé avec l’objectif d’informer au plus près et d’être accessible à tous. Sa mission est inhérente à la création de l’entreprise. De ce point de vue, notre raison d’être est formulée et depuis longtemps
IN : les actions sur la RSE menées par la régie 366, qui commercialise la publicité extra-locale de la presse régionale, en vue de sa labellisation par Positive Workplace ont créé ou réactivé un élan au sein de plusieurs groupes de PQR. Est-ce le cas à Ouest-France ?
M.L. : la démarche initiée par 366 avec Positive Workplace a conforté tout le monde dans l’idée que la RSE n’était pas juste une histoire de gobelets et de vélo pour venir au travail, mais une manière de se projeter dans un vrai long terme, qui est aussi la condition nécessaire pour que nos entreprises soient pérennes. Cela correspond d’ailleurs à ce qui est fait depuis des décennies dans le groupe, en particulier grâce à une gouvernance qui garantit la stabilité, l’indépendance et la qualité de tous les médias du groupe. Participer à cette démarche était impliquant et a représenté beaucoup de travail, pour répondre à environ 200 questions par filiale, fournir les pièces justificatives… Cela a eu la vertu de poser des éléments qu’on connaissait déjà et d’élargir notre réflexion à un certain nombre de questions car Positive Workplace travaille sur le côté multidimensionnel de la RSE : les aspects territoriaux, la politique marketing avec le respect du consommateur ou de l’abonné, les relations avec les fournisseurs, la protection des données personnelles… Ce sujet nous préoccupait déjà beaucoup depuis de nombreuses années. Protéger les données personnelles de nos abonnés, de nos lecteurs et de nos salariés revient aussi à cultiver la relation de confiance que l’on souhaite avec eux pour s’inscrire dans une relation de long terme.
Travailler sur la RSE et le développement durable est une manière de se projeter dans un vrai long terme, qui est aussi la condition nécessaire pour que nos entreprises soient pérennes
IN : cela n’a pas empêché Ouest-France de faire l’objet, comme d’autres entreprises, d’une cyberattaque, en novembre 2020. Comment avez-vous géré cet événement ?
M.L. : nous avons choisi de jouer la transparence vis-à-vis des lecteurs et de tous nos partenaires en racontant ce qui c’était passé et comment nous l’avions vécu en interne. Il y a eu un article assez long sur le sujet dans le journal. Certains ont d’ailleurs été étonnés que nous ayons pris ce parti-pris car beaucoup d’entreprises ne le font pas.
IN : les échanges sur les bonnes pratiques RSE sont-elles une source d’inspiration ? Quelles pourraient-être les prochains enjeux ?
M.L. : mon parcours professionnel m’a amené à travailler dans des organisations professionnelles, où nous cultivions les échanges et les bonnes pratiques. La presse quotidienne, qui n’est la plupart du temps pas en situation de concurrence sur sa zone de diffusion papier, a cette culture d’échange qui est très positive et d’autant plus sur des sujets comme la RSE encore en construction. L’initiative de 366 a permis d’alimenter des échanges qui se tiennent aussi dans le cadre de l’Alliance pour la presse d’information générale (Apig) et avec ses différents membres. Un grand pas aura été franchi quand tous nos projets qui ont potentiellement un impact environnemental donneront lieu de manière naturelle à une réflexion autour de cette dimension.