Sas d’entrée dans l’univers de la fiction, rituel audiovisuel de mise en condition des fidèles avec le début de leur programme, le générique semble être un espace intermédiaire entre l’espace privé et l’espace fictionnel. David Simon, créateur de The Wire, explique :
« Les génériques sont essentiels pour donner l’ambiance d’un programme, le présenter à de nouveaux téléspectateurs, en suggérer la thématique principale. Ils doivent être évocateurs, présenter une histoire sans la raconter, vendre la qualité des acteurs, de la photo, de l’écriture, le tout sans utiliser, ou presque, ces éléments. »
La révolution numérique, les formes alternatives de programmation et les plates-formes audiovisuelles reconfigurent la question du générique. Confrontés à une concurrence toujours plus féroce, certains showrunners confient leur générique à des sociétés spécialisées dans une recherche esthétique et poétique en jouant avec les codes du récepteur pour en faire une expérience visuelle à part entière. Cette « hyperesthétisation » du générique prend son essor avec des graphistes tels que Kyle Cooper, Patrick Clair ou Angus Wall, qui semblent s’intéresser de plus en plus aux récepteurs en jouant avec leur interprétation.
Le format générique : une quête de sens
De Game of Thrones à Westworlden passant par les anthologies American Horror Storyet American Horror Stories, les génériques changent de sens en fonction de l’activité de visionnage des téléspectateurs. En effet, suivant leur degré d’avancement dans la série, le générique prend un nouveau sens à chaque lecture, au grès des nouveaux indices laissés dans l’épisode.
Ces génériques dit « évolutifs » agissent alors comme un outil de dialogue avec leur contexte diégétique en faisant écho aux événements narratifs de la série. En ce sens, ils marquent une évolution dans l’histoire du format générique. En effet, la valeur informative, historiquement très usitée, semble se substituer de plus en plus à la valeur poétique dans les génériques actuels, comme l’explique Hudelet :
« Ces génériques tentent à la fois d’aider les spectateurs à trouver le bon mode de réception, et d’aiguiser leur curiosité, de stimuler leurs sens et leur imaginaire. » (2009)
En cela, nous pouvons considérer le générique d’ouverture de série TV comme une constante réflexive, amenant le spectateur à construire de façon imaginaire un puzzle esthétique et narratif en fonction de son degré d’avancement dans la série.
Dis générique, raconte-moi une histoire…
Si l’on prend l’exemple d’American Horror Story (FX, 2011), le public se plaît en effet à reconnaître de façon ponctuelle, dans chaque épisode, des indices qui ont été utilisés dans le générique d’ouverture,
« et par conséquent redécouvre ce même générique, au début de l’épisode suivant, d’un œil nouveau, puisque ces plans se chargent de la valeur narrative, symbolique, ou esthétique qu’ils ont pu avoir dans leur contexte diégétique. » (Hudelet, 2009, 14)
Mais « le plaisir du fragment » fonctionne d’autant plus dans le cadre de cette série d’anthologie que le public s’amuse également à reconstituer les pièces d’un puzzle plus grand en comparant le générique d’ouverture de la série, différent en fonction des saisons. Ici, nous voyons bien que la propriété du générique n’est pas uniquement d’amener le spectateur dans l’univers de la série, mais de le rendre plus actif en engageant sa performativité dans l’interprétation.
Kyle Cooper, le directeur artistique des génériques d’American Horror Story, explique :
« C’est toujours intéressant pour moi quand les gens essayent de comprendre pourquoi une certaine scène est là et d’interpréter ces choses. » (2017)
En plus de donner de nombreux indices sur la thématique de la saison, notamment grâce au choix de musique, chacun des génériques d’ambiance construits par Cooper entretient le ton de la série par sa façon de décliner les signes suivant le genre horrifique choisi.
Plus encore, lorsque les showrunners décident de ne pas faire de générique pour une saison (c’est le cas de la saison 6 : « Roanoke »), c’est pour mieux immerger le visionneur, comme l’explique une des productrices, Alexis Martin Woodall :
« La nature de ce que nous faisions avec Roanoke, c’était de rendre hommage à un genre de reality show terrible, exaltant sa propre personnalité. Arriver à briser ce mur, quand vous voyez l’image d’ouverture, “My Roanoke Nightmare”, avec le texte torturé, l’arbre angoissant et sanglant, et entrer ensuite dans une séquence d’ouverture ? La question devient : que devons-nous dire au spectateur ? Est-ce que nous leur disons, ne croyez pas à “My Roanoke Nightmare” : ne vous inquiétez pas, c’est juste “American Horror Story”, ou est-ce que nous essayons vraiment d’être subversif ? » (2017)
L’idée était donc de ne pas faire de générique d’ouverture pour prolonger l’expérience de “reality show”, propre à la saison 6.
Cette quête de sens à travers le générique est d’autant plus prégnante dans le cadre de la nouvelle série d’anthologie American Horror Stories (FX, 2021), qui décline le même concept que sa grande sœur mais sur le format d’épisodes autonomes. Le récepteur prend alors plaisir à scruter le générique de chaque épisode, qui fonctionne comme un révélateur diégétique en y dévoilant le thème horrifique.
Et lorsque le créateur et producteur des deux séries, Ryan Murphy, crée des liens entre elles, cela se répercute jusque dans le générique. Ainsi, celui du premier épisode d’American Horror Stories (FX, 2021) met en scène un des personnages principaux de la première saison d’American Horror Story (FX, 2011) en jouant sur la plasticité de son costume mythique : « The Rubber Man » (« L’homme en latex »).
De Westeros à Westworld : à la recherche d’indices
Si la série Westworld (HBO, 2016) est souvent comparée à la série Game of Thrones (HBO, 2011), leurs génériques d’ouverture respectifs présentent tout de même un point commun : ils ont été produits par le studio Elastic, en étroite collaboration avec les créateurs de la série, pour offrir une immersion narrative dans un univers sériel hétérogène et complexe.
Tandis que celui de Game of Thrones (HBO, 2011) joue à merveille la carte informative du générique sous une forme évolutive, renouant avec un des premiers rôles de ce format de façon innovante, celui de Westworld (HBO, 2016) va plus loin dans cette quête d’hyperesthétisation, en multipliant les indices sur la saison en jouant avec le mouvement, la matière et la lumière. En effet, les images du générique sont là pour véhiculer l’imagerie du grand Ouest, certes de façon très symbolique et poétique à travers le reflet de l’iris d’un œil, à la manière d’une réalité alternative. Patrick Clair explique :
« Ma première réflexion, avant d’avoir vraiment regardé la série, était que nous allions la visionner et trouver un moyen poétique de la représenter. »
Lors de sa première diffusion le 17 avril 2011 sur la chaîne américaine HBO, le générique de Game of Thrones (HBO, 2011) a instantanément marqué les esprits par son traitement spatial, voire géopolitique, de la série. En effet, ce dernier agit comme une boussole en nous orientant dans sa narration : avant même de rentrer dans la lecture de l’épisode, les lieux emblématiques du territoire fictif de Westeros (puis d’Essos) apparaissent à l’écran. Il nous invite à participer à la construction de sens en intégrant dès le générique les lieux qui seront mis en avant dans l’épisode, à l’affût notamment d’éventuels changements liés aux conséquences géopolitiques des épisodes précédents.
Ainsi, lorsque dans l’épisode 9 de la saison 6, intitulé « The Battle of the Bastards », un événement narratif majeur a lieu, un changement s’opère dans le générique de l’épisode suivant, « The Winds of Winter », le dernier de la saison en question. On y remarque en effet que la bannière écorchée de Ramsay Bolton n’est plus accrochée aux remparts de Winterfell dans le générique de l’épisode 10 : c’est alors une tête de loup blanc, emblème de la maison Stark, qui flotte à sa place sur les terres du Nord. Cet événement marque la fin d’un arc narratif majeur de la saison 6, qui se reflète alors dans le générique d’ouverture.
La série Westworld (HBO, 2016) contient de nombreuses similitudes avec Game of Thrones (HBO, 2011), notamment une narration complexe et délinéarisée, et une séquence d’ouverture nous amenant construire et déconstruire le sens des images au fur et à mesure de l’avancement des épisodes. Il suffit de regarder les différences entre les séquences d’ouverture des saisons 1 et 2. Alors que le générique de la saison 1 se consacrait à dépeindre l’univers conceptuel dans lequel on allait plonger durant 10 épisodes, celui de la saison 2 prend en compte les changements narratifs du dernier épisode la première saison, en insistant davantage sur les thématiques particulières qui traverseront les nouveaux épisodes. Ainsi, le générique de la saison 2 met en avant la thématique de la maternité, avec l’image de cette femme androïde qui serre contre elle un bébé, sûrement le sien, renvoyant au personnage de Maeve Millay.
Cette scène constitue un indice majeur pour qui le repère, laissant supposer que ce personnage partira à la recherche de l’hôte programmé précédemment pour être sa fille dans cette seconde saison, et que cette saison abordera le thème du sentiment maternel suivant qu’il est un instinct maternel ou un choix conscient pour l’hôte. Autre indice laissé à notre interprétation : le chapeau noir (celui de William dans la série), qui tombe vers un halo lumineux, laissant présager une possible évolution de William.
Du générique purement informatif au générique d’ambiance, les artistes s’emparent progressivement de cet espace pour établir une dialectique avec le public, qui joue un rôle de plus en plus actif dans le déroulement des narrations.
Frédéric Aubrun, enseignant-chercheur en Marketing digital & Communication au BBA INSEEC – École de Commerce Européenne, INSEEC U.
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