INfluencia : le retour en force des investissements publicitaires ne recompose pas les équilibres de ce marché dominé par le search et le social (GAFAM). Dans ce contexte, la publicité peut-elle rester un axe majeur de monétisation pour les éditeurs premium ?
Nicolas Danard : en effet, le retour du dynamisme n’a pas rebattu les cartes . Il y a une énorme dissonance entre le poids de ces acteurs que vous citez et le rôle et l’utilité des médias premium, comme le suggèrent nos records d’audience et le Rapport annuel sur l’information à l’ère du numérique du Reuters Institute pour 2021. Ce dernier fait part d’une hausse importante de la confiance des Français dans les médias. Pour autant, le digital reste un levier stratégique majeur de notre monétisation aussi bien pour Le Parisien que pour Les Echos. Notre groupe s’attache à le développer fortement autour de nos contextes et de nos contenus rédactionnels et événementiels différenciants, que nous monétisons à la fois à travers la publicité et les abonnements.
IN : quelle est la répartition de vos recettes entre publicité et abonnements ?
N.D. : nos deux écosystèmes phares – Les Echos et Le Parisien – fonctionnent sur des modèles assez proches avec des recettes équilibrées entre la publicité (y compris les opérations spéciales), les abonnements et ventes au numéro et les services (études pour les entreprises, guide shopping, événements, etc.).
IN : que voulez-vous dire par « équilibrés » : ces trois leviers pèsent-ils vraiment pareil pour les deux titres ?
N.D. : notre objectif est que ces trois leviers aient un poids équivalent (un tiers chacun), et ce pour les deux titres. Ce n’est pas encore tout à fait le cas, parce que leur historique n’est pas le même. Cela fait plusieurs années que Les Echos a pu développer sa base d’abonnés ainsi que des services aux entreprises, alors que chez Le Parisien cela est un peu plus récent. De même, le poids des recettes publicitaires chez Le Parisien est plus important. Le groupe cherche ainsi à faire converger ses deux titres vers un même modèle de monétisation à terme, en poussant la même stratégie pour les deux.
IN : comment la reprise du marché publicitaire se traduit-elle chez vous ?
N.D. : nous constatons le retour en force du branding, avec notamment la vidéo : nous avons doublé les recettes vidéo du Parisien, comparé à 2020. Ces investissements avaient été drastiquement réduits pendant la crise, les quelques annonceurs actifs sur le marché privilégiaient des campagnes fortement ROIstes ou institutionnelles. Par ailleurs, les secteurs fortement affectés par la crise sont eux aussi de retour. Je pense par exemple au secteur de la culture, qui a une importance majeure pour Le Parisien. Je fais également référence au boom des investissements du secteur de l’IT que nous avons observé aux Echos et qui se poursuit, ce secteur ayant été énormément boosté par la crise.
IN : peut-on vraiment parler d’un après-Covid ?
N.D. : je ne suis pas sûr que l’on puisse déjà parler d’après-Covid. Cette année se passe très bien pour nous mais il ne faut pas avoir la mémoire courte : après une année 2020 difficile pour l’ensemble du marché à cause de la crise sanitaire, et une reprise assez timide au premier trimestre, le rebond s’est opéré de manière plutôt spectaculaire seulement à partir du deuxième trimestre.
IN : au-delà des leviers phares – vidéo, opérations spéciales, mobile – où se concentrent vos axes de développement ?
N.D. : nous cherchons la croissance à la fois sur la vidéo et sur le mobile, dont le potentiel reste encore très important et à mon sens sous-exploité par le marché publicitaire, encore un peu trop concentré sur le desktop. En parallèle, nous continuons de développer nos actifs stratégiques, dont notamment les nouvelles écritures (le brand content mais également nos grands programmes), l’audio (nos deux podcasts « Code source » et « La story » fonctionnent très bien et nous en lancerons d’autres prochainement) et les opérations à la performance (comme notre guide shopping « Le Parisien Le Guide »).
IN : pouvez-vous nous en dire plus sur ces nouvelles écritures et notamment ces « grands programmes » ?
N.D. : les grands programmes permettent aux annonceurs de s’associer à des thématiques structurantes développées par la rédaction. Ceux qui ont des ambitions très fortes peuvent devenir partenaires de nos grands programmes avec du sponsoring, de la publicité voire du brand content. C’est le cas de la maison Rolex, partenaire exclusif des Echos Planète. À noter qu’aujourd’hui 20 % des recettes de la régie se font autour des communications responsables.
IN : justement, vous avez annoncé récemment le lancement de segments data autour des « Citoyens du Mieux ». Quel est votre objectif avec ce lancement ?
N.D. : c’est un autre axe majeur de notre développement : l’offre d’une data propriétaire unique, exclusive et différenciante que nous construisons grâce aux assets de nos audiences. Du côté des Echos, nous avons une data sociodémographique professionnelle CSP+ unique. Du côté du Parisien, ce cluster « Citoyens du Mieux », que nous venons de lancer, en est une autre très bonne illustration. C’est une offre unique qui se base sur un ciblage contextuel sémantique. Les citoyens de demain sont ceux qui pensent, qui disent mais qui agissent également. Nous les avons organisés autour de six thèmes, qui vont du « mieux consommer » au « mieux vivre ensemble » en passant par le « mieux manger » ou « mieux préserver la planète ». Ce sont 8 millions de profils uniques intégrés à la DMP du groupe, qui évoluent de manière automatisée en fonction de l’actualité et des tendances.
En résumé
Cet article fait partie de la série qu’INfluencia dédie aux tendances de la monétisation digitale. Dans un contexte de budgets publicitaires toujours tendus (malgré le fort rebond du 1er semestre), de fragmentation de l’offre digitale, de complexité technologique et d’exigences accrues de respect de la vie privée, régies et éditeurs français partagent avec nos lecteurs, les pistes et les priorités d’une monétisation réussie. Ici, Nicolas Danard, directeur délégué en charge du pôle digital & revenue management chez Les Echos Le Parisien Médias, explique que le groupe cherche à ce que ses trois sources de revenus – abonnements, publicité et services – aient la même importance, aussi bien chez Le Parisien que chez Les Echos. Le chantier est ambitieux puisque l’historique de ces deux médias n’est pas le même, le premier dépendant plus de la publicité que le second. Le groupe compte bien continuer de chercher sa croissance sur la vidéo, le mobile, le brand content, les grands programmes, l’audio, les opérations à la performance et la data.