INfluencia : votre parcours est atypique : l’ESSEC, le cours Florent, une comédie musicale, San Francisco… Racontez-nous !
Delphine Drutel : je suis née à Saint Etienne il y a bientôt 45 ans dans une famille soudée qui m’a donné le goût des choses simples et la valeur travail comme boussoles. Mes parents ont toujours encouragé, et financé, mon envie de voir plus loin et plus grand, je leur dois beaucoup, c’est comme ça que j’ai fait ma prépa au Parc à Lyon, puis l’ESSEC, puis un premier job à San Francisco. Je suis rentrée en France début 2000 en pleine bulle internet, j’ai monté une boite avec des potes de promo, on avait 20 ans, on signait des pactes d’actionnaires et on bossait jour et nuit dans un appart rue du Sentier, c’était fou. On a fini par déposer le bilan mais on a beaucoup grandi. J’ai ensuite fait une année au Cours Florent pour voir autre chose et apprendre sur moi, monté une comédie musicale avec des amis puis je me suis mise à chercher un vrai job 🙂
IN. : Aucune chance de vous retrouver dans la pub, donc…
D.D. : La pub ne m’attirait absolument pas, j’avais l’image d’un milieu fait de divas égocentrées très sûres d’elles, et moi je n’avais pas une grande confiance en moi. Mais au fil de mes entretiens réseaux j’ai rencontré un planneur chez DDB qui m’a rassuré et m’a mis en relation avec le DGA de Y&R en charge de la com corporate. Il cherchait un responsable newbiz, il m’a fait confiance et j’ai finalement trouvé à la Young non seulement un parfait équilibre entre ma formation commerciale et ma fibre créative, mais aussi une famille de gens pros, sympas et beaucoup plus normaux que tous les clichés véhiculés sur ce métier.
IN.: DG, femme avec un trio masculin en haut de l’affiche, ça marche comment?
D.D. : Jean-Patrick, Gilles et Jeff sont de très grands publicitaires, ils m’ont tout appris de la puissance de la création, et m’ont fait confiance pour la défendre. Ils sont passionnés comme moi. Ils voient grand pour l’agence et j’aime le challenge, donc on s’est bien trouvés. Au quotidien, avec Sacha qui est DG également, on fonctionne en collectif, on crée des binômes entre nous 5, selon les clients, les newbiz, le management de l’agence, ça démultiplie la force de frappe. On a des personnalités très différentes mais on partage un vrai socle de valeurs humaines communes et on a un seul et même intérêt, celui de Rosa.
IN. : vous ne vous mettez pas au devant de la scène, il faut plutôt aller vous chercher. Diriez-vous que les femmes ont moins besoin d’exister à l’extérieur?
D.D. : non, je pense qu’elles ont besoin d’exister comme tout le monde. Je n’aime pas les stéréotypes de genre, mais la subordination des femmes aux hommes pendant des siècles est un fait, on nous a appris à bien travailler et à ne pas parler trop fort, d’ailleurs notre voix n’est légalement officiellement entendue que depuis 75 ans. Donc assez logiquement, on préfère « faire » avant de « faire savoir ». Mais c’est bien, c’est juste, que les deux dimensions s’équilibrent, et cela passe par des interviews comme celles-ci, par des Dir Com engagées sur le sujet, et par des medias comme INfluencia, conscients de ces enjeux, qui creusent au-delà des apparences et qui nous tendent le micro.
IN. : pensez-vous avoir à gérer une carrière en faisant des compromis du côté de votre vie privée, familiale… Est-ce toujours selon vous une problématique féminine ?
D.D. : non, j’ai eu cette chance. D’abord parce que Jean-Patrick, Gilles et Jeff sont des gens sains et des papas poule, qui n’ont jamais vu la maternité comme un frein, d’ailleurs ils m’ont nommé DG quand j’étais enceinte. Ensuite parce que j’ai appris à travailler plus efficacement, à m’entourer d’équipes top et à poser des limites. Je n’ai jamais eu de culpabilité à laisser ma fille à la crèche de 8h30 à 19h mais en revanche je coupais tout quand je la retrouvais. Enfin, j’ai un mari formidable, qui fait largement autant que moi à la maison. Mais l’équilibre pro-perso est une problématique partagée par tous, hommes et femmes, surtout chez les jeunes générations, et il y a beaucoup à faire dans nos métiers pour améliorer ça. Gagner en efficacité est un chantier que je veux creuser, main dans la main avec nos clients. On ne peut pas parler de RSE à chaque fin de phrase sans commencer par s’interroger sur le bien être des équipes.
IN. : comment avez-vous vécu ces deux dernières années entre confinements, télétravail, motivation, budgets perdus, gagnés, réorganisation de l’agence…
D.D. : on a été bluffés par l’engagement des équipes, la mobilisation de tous à distance qui nous a permis de tenir nos engagements auprès des clients pendant toute cette période. Mais ça reste pour tout le monde une année très éprouvante, car la charge de travail a été très forte et que les liens humains se sont mécaniquement distendus. Or ce qui fait la force d’une agence c’est sa culture, les moments de partage, les discussions informelles, l’énergie qui se dégage des gens au quotidien, et ça nous a tous manqué.
IN. : comment abordez-vous la mutation mise en exergue pendant cette pandémie. D’un point de vue professionnel, humain? Y-a-t-il des points positifs dans ce « séisme »?
D.D. : d’un point de vue professionnel, la vraie révolution est l’arrivée en force du télétravail dans notre quotidien et une plus grande souplesse dans les organisations personnelles de chacun. On a du coup complètement changé la configuration des locaux pour que travailler à l’agence soit une expérience différente du travail chez soi, en créant des espaces davantage liés aux besoins et aux usages : une bibliothèque, un amphi, une war room, des salles de réunion et de brainsto, une cafèt… On a aussi démontré une vraie agilité pour concevoir et produire des contenus sous contrainte, de budget, de timing, de moyens. Enfin, surtout, on a compris que rien n’était plus important que d’être ensemble, vraiment ensemble, le plus souvent possible.
IN. : vous êtes la directrice générale de Rosa Paris, en quoi cela consiste quand on est dans cette agence? Animatrice d’équipes? Stratège? Fourmi?
D.D. : Il y a 3 grands piliers dans mon quotidien. La gestion des clients, les newbiz et le management des équipes/de l’agence au sens large, des tâches qui mobilisent des compétences différentes mais avec un vrai point commun, l’empathie et l’écoute active de ce que les gens en face de moi ont à dire.
IN. : Rosa Paris a remporté le budget SNCF Voyageurs juste avant l’été. Une belle prise et une compétition que vous avez orchestrée. Quel en était le brief? Et qu’est-ce qui a joué en votre faveur selon vous?
D.D. : Il y a une volonté stratégique de redonner toute sa puissance à la marque commerciale SNCF, de créer une marque forte en s’appuyant sur toute la gamme d’offres et de services OUIGO, TGV INOUI, Intercités, Transilien, TER, et OUI.sncf pour devenir demain le leader de la mobilité verte en France. Le pitch était composé de 4 principaux cas pratiques, bien connaître l’univers ferroviaire depuis 10 ans en général, et 3 des marques citées ci-dessus en particulier, a certainement joué en notre faveur, mais je pense surtout que l’agence est devenue très forte dans sa capacité à créer des territoires de marque propriétaires puissants et à tomber des créations simples, justes, très reliées à la strat. Et puis, on adore ces clients, on ne voulait pas que l’aventure humaine s’arrête, ça a été une source de motivation très forte.
IN. : passer devant plus de 12 agences, est un parcours …sportif. Comment se déroule à l’interne cette « guerre », qui mobilise-t-on? Combien de personnes? Quels métiers sont mobilisés au sein des équipes?
D.D. : on a abordé ce pitch avec un esprit guerrier et conquérant, on a regardé devant, on a vu l’opportunité de gagner l’une des plus grandes marques françaises plus que le risque de perdre celles qu’on gérait déjà. Le travail à produire était colossal, mais on a avancé de manière très structurée, avec une équipe newbiz/planning dédiée et survoltée, des experts du groupe Havas en renfort, beaucoup de générosité et une confiance absolue dans le talent des créatifs et des DC pour répondre aux différents briefs. Au total, c’est environ 25 personnes qui sont intervenues sur le sujet. De mon côté j’ai vécu ces deux mois comme un sportif de haut niveau, toute mon énergie, tout mon temps, étaient tendus vers cet objectif. On voulait gagner, et cette victoire est celle du collectif.
IN. : que diriez-vous des rapports annonceurs agence. Ont-ils changé? Votre accompagnement est-il différent?
D.D. : J’ai l’impression que les annonceurs cherchent plus que jamais des partenaires au quotidien, de l’écoute, de l’agilité, des réponses à leurs questions et des solutions pragmatiques. On est moins dans le show et le blabla, davantage dans la transparence et dans l’action.
IN. : on parle beaucoup de RSE, de quête de sens, de bienveillance, diriez-vous que Rosa Paris n’a pas attendu que ces mots soient de rigueur? Et si oui comment l’expliquez-vous?
D.D. : l’agence est fondée depuis sa création sur des valeurs de respect et de bienveillance, simplement parce les personnes qui la dirigent sont comme ça et qu’ils donnent le ton. On est humains donc pas toujours parfaits, mais on ne laisse jamais passer un mauvais comportement. C’est aussi pourquoi on apporte beaucoup de soin au recrutement, à l’état d’esprit des gens qui rejoignent Rosa. On est une famille de gens positifs, généreux et engagés, on veut le rester.
En résumé
C’est fin juillet que Rosa Paris remporte le volet SNCF Voyageurs après une compétition acharnée qui réunissait une douzaine d’agences du marché. C’est là qu’INfluencia a voulu en savoir plus sur Delphine Drutel, DG discrète de Rosa Paris, meneuse du budget ! Une jeune femme originale, grande bosseuse, au profil atypique qui a failli devenir comédienne pour finir par être conquise par la pub.