La crise ne fait que consacrer ce que nous savons tous depuis un moment déjà: les produits n’entrent plus dans notre vie, ne la traversent et n’en sortent plus comme avant. Les contours de la propriété deviennent flous: il suffit de regarder vivre les adolescents pour se rendre compte qu’un vêtement ou un jeu vidéo passe de main en main dans un groupe au point d’appartenir à la collectivité.
« Mais à qui est ce pull ? », se demandent les parents perplexes face aux apparitions/disparitions inexplicables dans les garde-robes de leurs enfants. Cette dynamique de copropriété est intégrée dès l’achat et se traduit dans des comportements de co-consommation – on n’achète pas en pensant seulement à soi, mais bien aussi au « stock » du groupe.
De manière moins anecdotique, les biens que nous consommons ont de plus en plus souvent une vie qui commence, avant que nous en prenions possession et qui continue après que nous en ayons fini avec eux. Bien sûr, nous savons parfois (confusément) que la veste en polaire que l’on acquiert est la réincarnation d’un autre produit. Mais le premier vrai recyclage, c’est la prolongation de la vie d’un bien par son transfert à un autre utilisateur. Le changement de mode d’immatriculation des voitures illustre bien cette évolution: immatriculer un véhicule à vie (la sienne et non plus celle de son propriétaire) veut bien dire que cette vie a de grandes chances d’être longue et multi-conducteurs.
Pour une fois, l’intérêt individuel et collectif se superposent : la pression économique et environnementale nous encourage à reconsidérer l’obsolescence. Nous sommes bien tous en train d’apprendre à devenir copropriétaires des produits – soit à plusieurs en même temps, soit successivement, au cours de leur(s) cycle(s) de vie(s).
Comment les distributeurs doivent-ils intégrer cette redéfinition qualitative de la consommation ? Certains le font déjà. Depuis longtemps, la Fnac promeut via Deuxième Déclic un marché d’occasion de la photo et applique depuis quelques semaines via Okaz Gaming la même démarche aux jeux vidéos. Décathlon organise tous les ans son Troc’athlon et permet ainsi un grand brassage des équipements sportifs.
Les exemples sont encore trop rares. Mais pourquoi ne pas imaginer des programmes de fidélisation d’un genre nouveau où les copropriétaires d’un produit puissent adhérer ensemble ? Pourquoi un distributeur spécialisé n’endosserait-il pas un rôle d’expert et d’arbitre de la valeur d’un bien qui serait échangé directement entre ses consommateurs ? Pourquoi un distributeur ne partagerait-il pas par moments sa surface de vente avec ses clients-vendeurs ?
Mais une chose est certaine : la distribution a tout intérêt à accueillir régulièrement l’assemblée des copropriétaires – sinon, elle se réunira ailleurs…
Vincent Garel,Directeur des Stratégies,TBWAPARIS