La qualification de l’équipe de France de football contre l’Irlande marque les esprits. Elle est en effet frappante à plus d’un titre et le débat qui fait suite à la main de Thierry Henry fait écho de manière assez fascinante avec la notion économique d’injustice.
Rarement les discussions footballistiques auront été aussi passionnées. Il faut dire que ce type de polémiques rassemble tout ce qui fait l’essence d’un vrai débat : politique, juridique, patriotisme et mauvaise foi… Au-delà de la faute – évidente – et de l’affront fait aux règles du football, le match a tout de même été arbitré, et la France a gagné. Ce qui est fait est fait, même si la faute est claire : la main de Thierry Henry a bien aidé à marquer le but de la qualification. Elle a contribué indirectement mais de manière décisive à la victoire. Cette réalité résonne étrangement avec la fameuse théorie de la « main invisible » d’Adam Smith.
La « main invisible » est une expression utilisée par le théoricien de la pensée économique moderne et qui aura fait couler beaucoup d’encre. Certains exégètes y voient une métaphore de la concurrence, d’autres une allégorie mythologique, voire même une plaisanterie.
L’occurrence la plus claire est sans doute dans « La Richesse des Nations », paru en 1755 : « (l’individu) ne pense qu’à son propre gain ; en cela, comme dans beaucoup d’autres cas, il est conduit par une main invisible à remplir une fin qui n’entre nullement dans ses intentions ; et ce n’est pas toujours ce qu’il y a de plus mal pour la société, que cette fin n’entre pour rien dans ses intentions..». On compte une quinzaine d’interprétations possibles de cette fameuse « main invisible », mais la plus claire est sans doute que la « main invisible » est la force qui fait de l’intérêt de l’un, l’intérêt des autres. En un sens, le moteur de l’activité économique capitaliste.
Amusant de voir que la main invisible de Thierry Henry n’a pas fait autre chose : un geste individuel « invisible » qui fait le bonheur de tous… et génère directement la « richesse des Nations », car les Coupes du Monde de football sont l’occasion de générer des millions d’euros de bénéfices.
Sans doute avons-nous vécu en direct et par coïncidence la recréation d’un mythe de la pensée économique. Même si le football n’est pas l’économie, et malgré les tonnerres de protestation, cette situation consacre d’une certaine manière l’injustice substantielle du capitalisme. Savoureux en cette sortie de crise.
Thomas Jamet est directeur général adjoint de Reload, structure de planning stratégique, d’études et d’expertise de Vivaki (Publicis).
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