La présentation de l’iPad par Steve Jobs la semaine dernière a été un événement. Au-delà de l’innovation technologique qui surprend toujours, il est impressionnant de se rendre compte qu’Internet, le digital et les nouvelles technologies changent concrètement nos vies depuis plusieurs dizaines d’années à présent. Et qu’Apple est toujours dans le coup.
L’iPad est une révolution nous dit-on. Une de plus. Comme le Mac. Comme iTunes. Comme l’iPod. Comme l’iPhone. La firme de la Silicon Valley nous a habitués à faire évoluer définitivement nos modes de consommation des media. Mais Apple est plus que cela, car Steve Jobs est un démiurge. En se plaçant au-delà des règles, au-dessus des contingences technologiques et physiques, et en inventant à l’homme des compagnons à la fidélité indéfectible, le mythique patron de la société la plus innovante du monde est réellement devenu « l’homme qui a changé nos vies », comme le consacre la couverture de Courrier International cette semaine.
Il y a presque quelque chose de diabolique dans cette réussite. Si l’on y réfléchit bien, le symbole d’Apple est… une pomme. Si l’on ne savait pas que « pomum » signifie « fruit » en latin, on pourrait penser que le logo de la marque la plus célèbre du monde est un clin d’œil au fruit biblique et au péché originel. Le digital ne cesse de nous rapprocher des mythes et de nos origines. Le mythe du péché originel fut consacré lors du Concile de Trente mais il fait néanmoins appel à quelque chose de beaucoup plus « profond ». Saint Augustin qualifia ce péché d’« originel », pour expliciter son côté héréditaire, indélébile, soumis à tous les hommes par engendrement. Si l’on file la métaphore avec notre monde en train de devenir digital, force est de constater que plus rien ne sera comme avant depuis l’introduction d’Internet et du digital au sens large (mobile, internet, interactivité, 2 .0…) dans les fonctionnements sociaux et les relations… Et là où le texte de la Genèse parle, quant à lui, du « fruit défendu » comme le fuit « de la connaissance du bien et du mal », il est évidemment question de connaissance. Internet est l’émergence d’une connaissance planétaire.
Alors le digital est-il un acte fondateur ? Mille fois oui. Est-il un acte libérateur ? Evidemment. Le digital est bien « originel » en ce qu’il fonde une civilisation. Et l’on sait que toute civilisation est intrinsèquement un effort pour expulser de la conscience son meurtre fondateur.
Apple a tué l’ancien monde. Alors peut-on en vouloir à Steve Jobs ? On verra. En tout cas, c’est sûr, il est « l’homme qui a changé nos vies ».
Thomas Jamet est directeur général adjoint de Reload, structure de planning stratégique, d’études et d’expertise de Vivaki (Publicis).
thomas.jamet@reload-vivaki.com
Présentation de l’iPad par Steve Jobs