7 avril 2010

Temps de lecture : 2 min

La rumeur et la concupiscence

On croyait la barrière entre le online et le offline en train de tomber. Il aura fallu une rumeur sur la vie privée du couple présidentiel pour voir se cristalliser de vraies crispations autour des sources d’information, par Thomas Jamet.

On croyait la barrière entre le online et le offline en train de tomber. Il aura fallu une rumeur sur la vie privée du couple présidentiel pour voir se cristalliser de vraies crispations autour des sources d’information.

Retour sur les faits qui agitent le Landernau depuis quelques semaines : après la reprise d’une vilaine rumeur sur un blog hébergé par le JDD, celle-ci devient quasiment une affaire d’Etat. Si l’on en croit les déclarations des conseillers de l’Elysée, ce qui aurait causé du tort au Président de la République n’est en effet pas seulement la rumeur elle-même : le vrai scandale semble être qu’elle ait été relayée via le site d’un quotidien traditionnel… Sans rentrer dans le débat sur la véracité de celle-ci, il est intéressant de remarquer que les débats ne portent pas sur le fond mais sur la forme, au travers d’une dichotomie édictée entre d’un côté les blogs et les réseaux sociaux, et de l’autre les sites de medias traditionnels, comme l’a très clairement établi Carla Bruni il y a quelques jours : « La rumeur (…) a toujours existé. Mais je méprise celle qui vient d’un blog internet et qui est signée Mickey ou Superman. Je méprise les soi-disant journalistes qui se servent des blogs comme d’une source crédible ».

Certes, on le sait, tout n’est pas fiable sur Internet, et une grande partie de la qualité du travail de journaliste est de sélectionner ses sources. Mais ce qu’il faut noter c’est que ce débat instrumentalise et cristallise un clivage entre d’un côté des sources « pures », et de l’autre des sources qui seraient « impures ». Si de nombreux blogs et réseaux sociaux (comme Twitter) démontrent chaque jour leur capacité à générer du contenu pouvant être de vraies sources ou tout au moins un réel outil de travail pour les journalistes, ces interfaces sont pour autant encore à ce jour trop systématiquement considérées comme non qualitatives. Elles sont marquées du sceau d’infamie de ce que l’ont peut appeler « la pensée de la place publique ».

Il y a une vraie tentation à diaboliser le digital – et en particulier les blogs et les réseaux sociaux et à les considérer comme une zone, une sorte de marais putride, générant toutes les tentations et les vulgarités. Pour certains, le monde des blogs et des réseaux sociaux dégagerait une sorte de « concupiscence » innée (une vulgarité intrinsèque, une zone de curiosité, de bruits, de délations, de rumeurs, un monde forcément sordide et vil). Une « saleté » intrinsèque dont les « sources pures » que sont les medias classiques – qu’ils soient offline dans leur format traditionnel ou sous leur forme online – ne doivent absolument jamais s’approcher sous peine de transgresser un tabou… Le châtiment n’a en l’espèce pas tardé à se faire connaître et les journalistes ont été remerciés. N’oublions pas que l’on peut que définir un tabou comme « une interdiction à caractère sacré dont la transgression entraîne un châtiment ».

L’édiction d’une frontière qui existait entre le digital et le réel se poursuit donc toujours sur la toile et se cristallise avec ce débat. Malgré le fait que les grands quotidiens aient adapté leur contenu aux codes du web, ils bénéficieront encore pour longtemps de leur statut de source « officielle ». Les blogs et les réseaux sociaux mettront eux de leur côté encore très longtemps à acquérir une petite légitimité. Cinq journalistes avaient tenté il y a peu de démontrer l’impact de ces sources sur notre vie, mais il faut croire qu’il en faudra beaucoup plus. Nous pêchions par optimisme en pensant que les barrières entre on et offline étaient en train de tomber, il faudra encore beaucoup de temps…

 Thomas Jamet – Head of Entertainment & brand(ed) content, Vivaki (Publicis Groupe)
thomas.jamet@vivaki.com / www.twitter.com/tomnever

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