3 novembre 2010

Temps de lecture : 4 min

Publicitaires: n’oubliez pas la “part des anges” Part I.

Le rôle de la publicité est-il de nous présenter un produit qu’on connaît bien et qu’on désire déjà, ou de nous donner envie d’acheter un produit qu’on ne connaît pas encore et qu’on désirera sans doute? Interrogations et réponses en deux volets -l’autre la semaine prochaine- par Laurent Calixte, journaliste à Challenges...

Le rôle de la publicité est-il de nous présenter un produit qu’on connaît bien et qu’on désire déjà, ou de nous donner envie d’acheter un produit qu’on ne connaît pas encore et qu’on désirera sans doute? Interrogations et réponses en deux volets -l’autre la semaine prochaine- par Laurent Calixte, journaliste à Challenges

Dans les années 80, alors que j’étais stagiaire au service médiaplanning de l’agence FCA !, j’avais demandé à ma supérieure hiérarchique pourquoi elle avait décidé de miser 50% d’un budget sur le média télévision. Et pas 47, 48 ou 54%. Vu l’importance des sommes en jeu (plusieurs dizaines de millions de francs à l’époque), je pensais que ces pourcentages étaient calculés avec précision, grâce à des algorithmes ou à des équations. Après trois ou quatre secondes d’hésitation, elle a fini par me répondre: “parce que c’est ce qui se fait.” On peut sourire, a posteriori, de la candeur d’une telle réponse. Et s’étonner que les agences n’aient pas été plus rigoureuses dans la construction de leurs plans médias. Et pourtant. Cette époque du “doigt mouillé dans le vent” avait aussi un avantage : la publicité n’était pas encore dévorée par le “scientisme”, cette croyance irraisonnée dans la toute-puissance de la mesure et du chiffre. Elle était post-soixante-huitarde, joyeuse, libertaire, enivrée et enivrante, et savait prendre des risques.

Tout a changé avec l’apparition d’Internet, outil grâce auquel -ou à cause duquel,- “le ROI est devenu roi”. Le ROI, ou “return on investment” (retour sur investissement) est une notion qui permet à un annonceur de mesurer la rentabilité de sa campagne de publicité. Le caractère interactif d’Internet permet en effet de sortir tout une batterie d’indicateurs et de statistiques: nombre de pages vues, nombre de visiteurs uniques, taux de clics, taux de conversion, profil de l’acheteur,  etc…

On comprend, du coup, pourquoi de plus en plus d’annonceurs sont tentés de concentrer leur budget publicitaire  sur le Web: fini, la fameuse “moitié du budget publicitaire” qui ne servirait à rien. Ici, toutes les “moitiés” du budget sont non seulement utiles (le budget Web génère à coup sûr des contacts, voire des achats) mais elles sont en outre me-su-ra-bles. Et donc rassurantes. Et conformes à la sphère rationnelle qu’apprécient tant les annonceurs.

Mais la publicité en ligne, bien qu’elle soit utile et nécessaire, évoque une partie de flipper en solitaire : seul face à son écran, l’internaute ne voit la publicité que parce qu’il a été ciblé pour la voir. Si c’est une publicité “display” (bandeau, vignette, gratte-ciel…), il y a de fortes chances qu’il la verra parce qu’il est déjà amateur du produit proposé : actuellement, le site Priceminister affiche sur des sites partenaires des publicités montrant des produits que l’internaute a déjà recherchés sur Price. Vous avez acheté ou failli acheter un appareil photo Canon EOS 500 D sur ce site? Il y a de fortes chances pour que des publicités Priceminister surgissent sur les sites partenaires et que ces publicités mettent en avant… un Canon EOS 500 D en vente sur Priceminister. On voit apparaître l’impasse à laquelle conduit ce système : outre qu’on peut trouver bizarre de se sentir ainsi “suivi à la trace”, outre qu’on peut se demander quel est l’intérêt de promouvoir un produit que l’internaute a peut-être déjà acheté, on peut aussi comprendre qu’à trop bien cibler son public, on risque non pas de l’enivrer, mais… de le saouler. Le rôle de la publicité est-il de nous présenter un produit qu’on connaît bien et qu’on désire déjà, ou de nous donner envie d’acheter un produit qu’on ne connaît pas encore et qu’on désirera sans doute?

En outre, ce culte du “retour sur investissement” rapide et mesurable ne tient pas compte d’une donnée essentielle. Celle de “la part des anges”. Lorsqu’une campagne de publicité classique est lancée (télévision, radio, affichage, presse…), il est clair qu’une partie du budget semble gaspillée: ce sont tous les contacts qui ont vu la pub, alors qu’ils ne sont pas dans la cible. Ces contacts, c’est par exemple M. Roland, bistrotier de son état, qui a vu une belle publicité pour BMW à la télévision. BMW a payé pour que M. Roland voie cette pub, alors qu’il n’a pas les moyens d’acheter de voitures de cette marque. Cet argent est-il gaspillé? Non. Car si monsieur Prospect s’est décidé à acheter une BMW, c’est aussi parce que M. Roland, dont il fréquente le bistro, et les clients de celui-ci, lui ont dit un jour que BMW, c’était “de la belle bagnole”. C’est grâce à la “part des anges”, expression qui désigne en principe la partie d’un alcool qui s’évapore quand il est en fût, que monsieur Prospect a été touché par l’ivresse qui a enthousiasmé M. Roland, ivresse comparable à celle qui saisit Tintin dans la cave saturée de vapeurs de vin dans l’album Le crabe aux pinces d’or.

Quelle a été, selon vous, la plus belle “part des anges” qui ait été offerte par une campagne publicitaire française? Quelle a été la campagne qui a le plus offert au “grand public”, alors que seul un public restreint était en fait visé par la campagne ? Quelle campagne a été la plus généreuse avec l’ensemble des consommateurs-citoyens? Vous pouvez donner votre avis en répondant à ce petit quizz*. Quant à moi, je vous donnerai mon avis la semaine prochaine, pour la suite de cet article sur “la part des anges”. Bon vote et à mercredi prochain.

 Laurent Calixte

*bébés rollers d’Evian, campagne Aubade, une campagne Benetton… et la campagne Myriam. Postez vos réponses sur la page facebook d’INfluencia

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