L’ère digitale nous pousse à être sans cesse sollicités, nous oblige à passer en mode «always on». A être sans cesse connecté, l’Homme dépasse ses capacités physiques et commence vraiment à fatiguer. La course de fond s’accélère entre l’homme et la machine. Dernière ligne droite.
Les futurologues devraient parfois être pris plus au sérieux. Alvin Toffler, le grand sociologue et futurologue américain, disait en 1970 dans «Le Choc du Futur» que la société allait imposer de plus en plus de mobilité et exiger de la flexibilité, une bonne gestion précaire et surtout un «hyperchoix» permanent, qu’il traduit par l’obligation chez l’Homme d’avoir continuellement à décider et anticiper sa trajectoire. Il en déduit qu’il devrait en résulter une réelle «fatigue». Pour Toffler, « le choc vient aussi du stress et de la désorientation provoqués chez les individus auxquels on fait vivre trop de changements dans un trop petit intervalle de temps». Inutile de dire que nous avons vécu ces derniers temps bon nombre de ces « changements » : internet, mobile, réseaux sociaux…
Aujourd’hui cette fatigue est quasiment un nouveau fond de commerce. Bon nombre de firmes commencent à dépasser les traditionnelles courses aux armements (rapidité, technicité, capacité…) et se positionnent sur la simplicité et la praticité. C’est le cas de la récente campagne de communication de Windows Mobile, dépeignant un monde peuplé de quidams absorbés de manière ridicule dans leurs mobiles. On a beau dire, le temps passé sur écrans et à utiliser les nouvelles technologies est en constante augmentation. Et peu importe que tel ou tel terminal soit plus pratique ou plus simple… Le fait d’être «Always On» induit déjà une fatigue majeure.
Jean-Michel Besnier, synthétise parfaitement cela dans son remarquable ouvrage «Demain les Post-Humains» (Hachette Haute-Tension, 2009), et dont le sous-titre est tout simplement «Le futur a-t-il encore besoin de nous?». La problématique est vertigineuse, mais remarquablement explicitée par le fait que les capacités de l’Homme ne sont pas infinies, alors qu’a contrario et par définition, celle des machines le sont. La course enclenchée depuis la révolution industrielle est donc en passe de s’accélérer. Nous entrons dans la dernière ligne droite. Et on connaît déjà le perdant: l’Homme.
Cette certitude, l’Homme l’a bien perçue, et s’accompagne d’un sentiment en passe de devenir majeur dans les années à venir, prophétisé par l’intellectuel allemand Gunther Anders dans son ouvrage «L’Obsolescence de l’Homme» en 1956. Ce sentiment c’est la Honte Prométhéenne, la honte d’être moins précis que les machines, la honte d’être dépassé, mais surtout la honte d’être devenu plutôt que d’avoir été fabriqué. La honte de devoir son existence – à la différence des produits qui, eux, sont irréprochables parce qu’ils ont été calculés dans les moindres détails – au processus aveugle, non calculé et ancestral de la procréation et de la naissance».
Les années 80 avaient la déprime due au culte de la performance, les années 90 et 2000 ont eu le blues dû à la crise. Les années 2010 seront vraisemblablement marquées par le début d’une autre déprime: celle d’être un Homme. Prenons soin des machines. Demain ce sont elles qui prendront soin de nous.
Thomas Jamet – NEWCAST – Directeur Général / Head of Entertainment & brand(ed) content, Vivaki (Publicis Groupe)
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