Le secret est quelque chose de plus en plus difficile à garder dans notre société. La publication de documents diplomatiques par le site Wikileaks impose beaucoup de commentaires sur «la dictature de la transparence». Le secret est-il devenu impossible dans un monde digital?
Les révélations faites par Wikileaks ont choqué. Pour autant nous nous sommes tous rués sur ces révélations plus (ou moins) intéressantes. Au-delà d’un phénomène journalistique, il ne s’agit que d’une illustration supplémentaire de la systématisation d’un syndrome de révélation permanente et de la fin de tout secret. La diffusion, l’analyse à chaud et la « viralité » de ces révélations diplomatiques (mais également de tout type d’information ou de contenu) ne devraient pourtant étonner personne. Le nouveau modèle de diffusion de l’information, le nouveau modèle économique de la presse centré sur le temps réel impose une accélération des révélations et de l’information.
Le digital procède intrinsèquement de cette logique de révélation. En permettant l’accélération, le questionnement, la révélation permanente et ce à l’échelle planétaire, les nouvelles technologies rendent le monde plus ouvert, plus visible qu’il ne l’a jamais été. Et en cela par définition moins secret. Elles décloisonnent et rendent plus visibles. Elles « lèvent le voile ». Les nouvelles technologies, le mobile, Internet, Twitter et Facebook, les technologies digitales et la circulation des échanges via les réseaux sociaux nous ont fait progressivement changer de paradigme. On peut même parler d’Apocalypse (rappelons que le terme signifie « mise à nu », « enlèvement du voile » et « révélation »).
Dans un monde où garder un secret devient quasi-impossible (on pense au débat sur les données privées, à la géolocalisation, aux SMS infidèles de Tony Parker), on se rend compte de la fin de l’idée moderne de l’intimité. L’enveloppe sociale qui nous est proposée par les réseaux sociaux dans notre civilisation post-moderne est basée sur l’extériorité, l’extimité, l’extériorisation de l’intime, la médiatisation permanente de l’intériorité. Cet affleurement, ce dévoilement permanent, crée mécaniquement une dilution du secret.
C’est dans un sens la finitude de tout être humain. Le grand philosophe Michel Lévinas explique dans Totalité et infini, essai sur l’extériorité* que la vérité et le dévoilement est la vertu essentielle de l’être. Citant Heidegger, Lévinas explique que toute attitude humaine consiste viscéralement à « mettre en lumière », à « mettre en plein jour ». C’est en quelque sorte « le primat du panoramique » sur le secret.
Il y a donc quelque chose de très naturel, de quasi sauvage et peut-être de très érotique dans cet affleurement, ce dévoilement, cette mise à nu permanente. Tout en est exacerbé : excitation à chaque extériorisation, érotique de la révélation, délectement, plaisir. L’émotion de la découverte, du « encore ». Et paradoxalement, les rares choses qui restent secrètes n’en ont encore qu’un plus grand pouvoir d’attraction, renforçant encore l’excitation.
Le paradis est le jardin du vrai secret. Et le dévoilement est tentation. Cette double symbolique, cette nouvelle tentation est une vraie thématique d’avenir et un vrai défi. Dans notre civilisation érotique, le secret est le dernier jardin d’Eden. Mais pour combien de temps ?
Thomas Jamet – NEWCAST – Directeur Général / Head of Entertainment & brand(ed) content, Vivaki (Publicis Groupe)
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* Emmanuel Lévinas : Totalité et Infini, Essai sur l’extériorité, 1971