Les jeux vidéo ont envahi notre quotidien. Au-delà des poncifs et des analyses hâtives sur leur incroyable succès, leur existence révèle que l’Homme aime jouer mais surtout qu’il retrouve en cela un réflexe primitif, réactivé par le digital et les nouvelles technologies.
XBOX 360, Wii, PS3 et peut-être bientôt PS4… Ce sont les stars de Noël et de véritables empires se sont construits sur ce nouveau bien de consommation courante. Une évolution qui est somme toute très logique. Car comme le rire, le jeu est le propre de l’homme. L’homme est non seulement le seul mammifère à continuer à jouer à l’âge adulte mais notre espèce et notre civilisation se sont construites avec le jeu. Ce phénomène est parfaitement décrit par Johan Huizinga dans Homo Ludens (1938). Dans cet essai, Huizinga envisage l’étude du jeu comme une analyse anthropologique, et décrit en quoi – au-delà de la dimension de connaissance (homo-sapiens) – le jeu est constitutif de notre espèce dès les origines.
Il importe de redéfinir le ludique à l’aune des nouvelles technologies, notamment dans l’univers du jeu vidéo. Car les possibilités offertes sont à présent quasiment infinies et permettent aujourd’hui de s’aventurer plus concrètement dans l’imaginaire. Auparavant, la pratique du joystick, du clavier ou du pad limitait le contact avec l’univers imaginaire développé dans les jeux vidéos. Ces interfaces inter-médiaient, interrompaient le contact avec l’imaginaire et le rendaient par définition plus distant. Ce type de jeu est à présent dépassé par une nouvelle génération d’interfaces, grâce auxquelles le corps est le seul instrument (via la reconnaissance de mouvements). Il suffit de voir des joueurs évoluer avec Kinect de Microsoft XBOX 360 pour comprendre la force de projection imaginaire et la puissance d’évocation de cette nouvelle manière de jouer.
Pour la socio-ethnologue Mélanie Roustan, la pratique du jeu vidéo est «à cheval entre le monde des choses que la main saisit et celui des non-choses que le bout des doigts programme et active»*. On entre ici clairement dans un modèle encore plus hybride. En s’insérant dans une dimension globale avec l’utilisation du corps comme nouvelle interface, Kinect propose une expérience dans laquelle le jeu intègre le corps dans son holistique. Le mouvement est réel. Le lien avec le virtuel est activé par tous les membres. Le jeu et l’imaginaire sont connectés de manière plus naturelle, quasi primitive, instinctive. Cette réappropriation de l’espace et de l’imaginaire par le corps a quelque chose d’animal. En proposant au corps d’être une interface de jeu, Kinect intègre une dimension du corps que l’on avait tendance à oublier. Ces technologies utilisent sa capacité à ne pas uniquement être un véhicule mais un medium. En cela, Kinect tient presque du chamanique en ce qu’elle propose d’utiliser le corps pour se connecter à un imaginaire.
Cette utilisation ludique du corps rappelle la théorie de Gilbert Durand selon laquelle le passage à l’ère post-moderne opère un transfert du régime diurne au régime nocturne. Le régime nocturne induisant une exhibition, une ex-position des sentiments, des angoisses comme des émotions et non plus leur négation. Peut-être que cette utilisation archaïque (dont l’étymologie signifie « du début ») du corps nous permet à nouveau de nous reconnecter avec la substance primitive de notre corps et nous aide à extérioriser sentiments, affects et émotions. En nous débarrassant de tout objet intermédiant avec l’imaginaire, en nous projetant directement, sans artifices à nouveau dans une fête plus animale. La sarabande des corps jouant à Kinect nous propulse peut-être dans la «fête archaïqu» chère à Georges Bataille.
Thomas Jamet – NEWCAST – Directeur Général / Head of Entertainment & brand(ed) content, Vivaki (Publicis Groupe)
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