L’encyclopédie en ligne vient de fêter son 10ème anniversaire le 15 janvier. Un événement pour le web et pour le monde, car l’encyclopédie en ligne- malgré tous ses défauts – consacre un modèle de distribution de l’information et incarne également une certaine idée de la métaphysique.
Le site américain est en danger. Un message de Jimmy Wales, fondateur du site, apparaît sur chacune des pages Wikipedia, appelant au don et proposant d’aider la Wikimedia Foundation de San Francisco. Un appel au secours qui semble fonctionner puisque plusieurs millions de dollars ont déjà été rassemblés. Il est vrai que Wikipedia est un projet utile, avec ses 17 millions d’articles traduits dans 270 langues. Un projet impressionnant dans son ampleur comme dans sa réalité.
L’objectif affiché du site est d’être une « encyclopédie libre ». Mais Wikipedia est-il vraiment une encyclopédie ? Les projets d’encyclopédies fleurissent depuis l’Antiquité dans le Monde entier. En Occident avec Pline l’Ancien bien évidemment, mais des compilations du savoir existaient aussi en Orient (dans le Monde Arabe avec les Muqaddima ou en Chine avec l’Encyclopédie de Yongle) puis au XVIIIème siècle en Europe avec l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Ce projet portait une vision bien particulière. Rappelons-nous que Diderot décrivait le but d’une encyclopédie comme devant « rassembler les connaissances éparses sur la surface de la terre ; d’en exposer le système général aux hommes avec qui nous vivons, et de le transmettre aux hommes qui viendront après nous; afin que les travaux des siècles passés n’aient pas été inutiles pour les siècles qui succèderont; que nos neveux devenant plus instruits, deviennent en même temps plus vertueux et plus heureux; et que nous ne mourions pas sans avoir bien mérité du genre humain ». La transmission et l’engagement. La double ambition de tels projets est donc de répertorier et transmettre mais aussi (et peut-être surtout) d’ouvrir une réflexion critique.
C’est ce qui portait les idées du siècle des Lumières. Wikipedia, l’Encyclopédie du XXIème siècle porte en elle certains des mêmes gênes : le participatif tout d’abord. Par essence collective elle ressemble au projet de Diderot, proposant de manière collective de répértorier l’ensemble des connaissances. Son côté holistique et total ensuite. Wikipedia n’a pas de limites, comme le projet des Philosophes des Lumières.
La vraie différence de Wikipedia est sa neutralité. Vivante, et évolutive, elle est par essence le contraire de l’engagement. C’est un terrain neutre. Là où les Encyclopédistes des Lumières portaient une volonté de changer le monde, les Wikipedistes n’ont que pour objectif de préserver une farouche neutralité. Mais sa vraie spécificité est son imperfection revendiquée. Malgré de grossières erreurs, ses coquilles et inexactitudes, la policy du site est claire : « Personne ne garantit la validité, ni l’exactitude, ni la pertinence des informations contenues dans Wikipédia ». En ce sens, le projet est rafraîchissant. Wikipédia a été appelé « l’un des derniers espaces sauvages du Web ».
Wikipedia est finalement comme la mythique Bibliothèque d’Alexandrie. Rassemblant toute la connaissance du Monde, elle est restée mythique. Si Wikipedia venait à disparaître faute de financements ou dans un grand bug à la Paul Virilio, elle emporterait en elle une partie de la connaissance du monde. Une excroissance de la connaissance, déléguée, vécue et générée par procuration. Mais aujourd’hui Wikipedia existe bel et bien. Et elle ne peut qu’attirer les critiques. Ce qui n’est pas si étonnant tant elle ressemble à l’arbre de la connaissance du Jardin d’Eden.
Cet arbre qui portait toute connaissance (et notamment celle d’existence du bien et du mal) mais dont l’Homme avait interdiction formelle de s’approcher. Wikipedia est l’inverse du jardin d’Eden. La pomme de la connaissance est accessible et consommable à volonté. Les Adam et Eve que nous sommes pouvons même décider de la couleur des fruits défendus. Le digital rend le péché accessible et légitime. Disponible. A volonté. Une autre preuve de la pensée Nietzschéenne, « Dieu est mort » ?
Thomas Jamet – NEWCAST – Head of Entertainment & brand(ed) content, Vivaki (Publicis Groupe)
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