La polémique auprès des propos outranciers et condamnables de John Galliano ne manque pas de susciter des controverses. Une polémique qui met l’accent sur une profession toute entière et qui impose de se poser des questions sur l’influence de la mode dans nos vies.
Le styliste de la Maison Dior a clairement dépassé la ligne jaune. Ses sorties racistes et ses dérapages ont eu raison de sa carrière et de sa réputation. L’emballement médiatique autour de ces propos scandaleux est l’occasion pour bon nombre d’observateurs et de consommateurs de critiquer l’univers entier de la mode et de souligner ses points communs avec un totalitarisme présumé : la mode est ainsi souvent montrée du doigt pour sa tyrannie de la beauté, l’uniformisation des styles et son culte indécent d’une forme de plastique imposée aux masses en modèle…
Les propos de Galliano sont stupides et l’œuvre d’un homme ayant perdu ses moyens. Mais ce qui est réellement dangereux c’est qu’ils sont prononcés par une personnalité réellement influente. Car le pouvoir d’un Galliano va bien au-delà de ses collections. Il influence durablement en ce que la fonction intrinsèque de la mode est d’influencer. L’influence est un phénomène puissant et finalement assez mal connu (ce n’est pas un hasard si le phénomène a la même racine étymologique que les grandes pandémies actuelles – la grippe se dit « Influenza »).
C’est un processus psychologique, social, politique par lequel une personne réussit à faire adopter un point de vue (une idée, une idéologie…) ou un comportement par un autre. La mode et l’imitation vestimentaire font partie des manifestations évidentes de l’influence. Les recherches sur les mécanismes de ce phénomène ont été révolutionnées à la fin des années 70 par une théorie du scientifique Richard Dawkins. Selon ce dernier toute culture ou civilisation est construite autour de « mèmes » (terme venant de « mimesis » / l’imitation).
Ces mèmes sont des unités culturelles volatiles s’échangeant à volonté dans la population. Qu’ils soient futiles (couleur à la mode, chanson, film sur Youtube, marque commerciale, film à succès), ou structurantes (idéologie, paradigme, convention…), les mèmes façonnent nos sociétés et peuvent même développer une vie propre et s’auto-diffuser une fois franchie un cap de diffuseurs du mème.
Comme une épidémie. Influenza. Les plus grands magazines de mode, des événements comme la fashion week dépassent ce point de « percolation » à chaque numéro, à chaque défilé et créent des mèmes au quotidien, repris par des millions de lectrices, par des milliers de créateurs, d’autres magazines, d’autres media et s’auto-enrichissant d’autres mèmes.
C’est cela qui est dangereux dans les propos de Galliano. Puisqu’il a tout du démiurge, du créateur absolu, de l’artiste suprême, et de l’influenceur par excellence, il se doit de préserver aussi une certaine aura de mystère (comme le fait très bien Karl Lagerfeld). Et surtout ne peut pas passer la ligne jaune. En faisant cela, il désacralise sa fonction, se décrédibilise totalement et tombe de son piédestal, en passant du démiurge au ridicule.
Thomas Jamet – NEWCAST – Head of Entertainment & brand(ed) content, Vivaki (Publicis Groupe)
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