INfluencia: comment percevez-vous les besoins des gens en matière culinaire?
Alain Passard: quand je regarde quelqu’un, je sais ce dont il a envie. Un grain de peau, un regard, un teint, et une lumière du visage peuvent me donner beaucoup d’indications sur la composition d’un menu à mijoter pour une personne.
INfluencia: qu’est ce qui vous inspire dans votre métier?
Alain Passard: tout m’inspire dans ce que je fais. Pour moi, le visuel est déterminant. J’aime avoir le regard capté par une texture, un mouvement, un geste, un mot, ou une température, et ensuite me laisser porter par cet instant et m’en servir pour imaginer une conjugaison gustative ou olfactive.
INfluencia: vous avez été le premier à cuisiner à base de légumes et d’herbes provenant de vos potagers. Aujourd’hui la mode est aux « locavores »**. Que pensez-vous de cette tendance?
Alain Passard: mes jardins m’ont changé la vie. Pour moi, le légume est une résurrection culinaire. Cette cuisine légumière est une ivresse, car elle nous offre des possibilités formidables par rapport à la saisonnalité. Avoir son jardin est un privilège.
Je veux faire du légume un grand crû et faire du jardinier le grand métier de demain… Avec nos 3 potagers sur 3 départements différents*, j’aime jouer avec la terre et le climat. Dans ma cuisine, je ne pense tomates et aubergines que 3 mois par an, et tout est ainsi.
INfluencia: peut-on cuisiner avec tout?
Alain Passard: pour moi en cuisine il n’y a pas d’interdit. Il n’y a qu’une seule règle: respecter les saisons, comme la nature l’a écrit
INfluencia: qu’est ce que la créativité pour vous?
Alain Passard : en cuisine créer est un bien grand mot. Avec mes potagers je me suis aperçu que la nature avait tout écrit et qu’en respectant les saisons je ne faisais plus d’erreurs dans la casserole.
INfluencia: Alain Passard est-il une marque? Avez-vous pour ambition de le devenir?
Alain Passard: Alain Passard est un artisan, un homme de main qui aime cuire, et assaisonner. J’aime chercher, être avec mes équipes, saluer mes clients, faire école. L’Arpège est un atelier, et je veux faire de la cuisine un art. D’où cette pratique quotidienne pour contribuer au bonheur de mes clients.
INfluencia : comment communiquez-vous autour de vos activités? Utilisez-vous les réseaux sociaux?
Alain Passard: nous communiquons uniquement à travers la qualité de nos assiettes. Nous avons une page Facebook qui est en train de s’actualiser mais pas de Twitter. Je préfère le pur, l’authentique, même si je dois tout de même être en phase avec mon époque.
INfluencia: comment développez-vous vos relations avec vos clients?
Alain Passard: l’Arpège est un club d’une centaine de membres qui viennent régulièrement, et que nous mettons à contribution pour la qualité de notre service et de nos mets.
INfluencia: vous sortez une BD «en cuisine avec Alain Passard»***, qui est votre deuxième ouvrage. De quoi s’agit-il?
Alain Passard: l’idée était surtout au départ d’inviter et d’accompagner un passionné de cuisine dans la réalisation d’une recette à travers une narration et une imagerie…
J’ai toujours trouvé qu’un livre de cuisine classique avec un très beau portrait photographié, c’était très beau, mais que cela ne donnait pas beaucoup d’informations. Là, on peut suivre avec les gestes, on explique les mots, on montre les cuissons, les mouvements et l’expression du chef qui est également un enseignement dans la réalisation d’un plat
INfluencia: quelles sont vos prochaines actualités?
Alain Passard: un 4ème potager toujours dans l’Eure, un très bel hectare sur un sol très argileux
INfluencia: que pensez-vous de la multiplication de toutes ces émissions de télévision consacrées à votre univers?
Alain Passard: c’est très bien, cela fait parler de la cuisine et c’est l’essentiel. Qu’on en dise du bien, ou du mal, le principal est d’en parler.
INfluencia: et plus généralement, que signifie selon vous cet engouement pour la Cuisine?
Alain Passard: l’engouement pour la cuisine est synonyme de partage. On revient aux racines, on prend le temps de voir, de toucher, de sentir, de déguster des mets variés et d’apprécier un moment ensemble.
Propos recueillis par Isabelle Musnik
* une parcelle de 2 hectares de terrain à environ 230 kilomètres de Paris. Une deuxième dans l’Eure. Et la troisième dans la baie du Mont St Michel
**mouvement prônant la consommation de nourriture produite dans un rayon allant de 100 à 250 kilomètres maximum autour de son domicile
*** déjà paru : Collages & Recettes (Éditions Alternatives), livre de recettes illustrées par ses propres collages . A paraître la semaine prochaine : en cuisine avec Alain Passard, en collaboration avec Christophe Blain (éditions Gallimard)
Rubrique réalisée en partenariat avec l’agence Meura