5 octobre 2011

Temps de lecture : 3 min

La Terre contre l’Homme?

Le dernier ouvrage de Pascal Bruckner crée la polémique. Au-delà des réactions à chaud, il est temps de se poser les bonnes questions quant à l’avenir de l’Homme. Par Thomas Jamet...

Dans Le fanatisme de l’Apocalypse (Grasset), sorti il y a quelques jours, Pascal Bruckner énonce un point de vue clair : le ressort animant les défenseurs de l’environnement ne serait pas la sauvegarde de la planète Terre mais en fait une haine féroce de l’homme, accusé de tous les maux et traité de cancer de la planète. Il pointe aussi du doigt le penchant catastrophiste et alarmiste des écologistes, et vitupère contre tous ceux, qualifiés de pythies et d’oiseaux de mauvais augure, enfermés dans un “idéal de la pénitence”. Ce véritable pamphlet déchaîne assez logiquement les critiques. Traité d’irresponsable ou accusé d’aveuglement, jeté dans le même panier que d’autres ayant déjà polémiqué sur le sujet comme Claude Allègre, Bruckner dérange. Au-delà de la polémique, cet ouvrage pose la question de la place de l’homme et de son avenir.

Pour certains écologistes (la deep ecology), la Terre serait un grand tout, un écosystème, un organisme vivant… et l’homme un élément “toxique”. Formulée par l’écologiste et scientifique anglais James Lovelock, l’hypothèse Gaïa défend ce modèle de la Terre vivante et il n’y a qu’un pas vers la condamnation de l’homme.

Ce dernier est gravement attaqué depuis un certain temps. Certains penseurs fondent une nouvelle philosophie sur leur certitude que l’homme serait dépassé et fini. Une récente intervention du dirigeant de Google, Eric Schmidt, a fait entrer le leader mondial dans un débat fondamental sur le dépassement de l’humanité comme modèle définitif de l’existence. “Ce que nous construisons réellement est une version augmentée de l’humanité, des ordinateurs qui aident les humains à faire les choses qu’ils ne pourraient pas faire mieux”. Selon bon nombre de scientifiques, l’homme serait en voie d’être « transformé» grâce aux nouvelles technologies. C’est notamment la thèse soutenue par les posthumanistes dont l’un des plus célèbres porte-parole est Ray Kurzweil.

Cette théorie du post-humanisme ou du trans-humanisme fait fausse route. Nous sommes loin d’une vision où les robots domineraient le monde. On commence plutôt à voir poindre une théorie de l’interpénétration de l’humain et du robotique ; les nanorobots et les technologies réparatrices insérées dans le corps humain pour le régénérer ne font pas autre chose que renforcer l’humain. Le robot semble ainsi revenir à son destin et à son origine d’esclave (le mot robot vient du tchèque robotnik et signifie « travailleur zélé, esclave »). Quant à l’homme, sa substance a pris le dessus. Nous revenons à l’humain, à la concupiscence, au ressenti, à la chair de poule,  la sueur et le sang semblent consacrer la fin des choses animées.

La chair règne et la mort des robots signifie la victoire du réel : la permanence de l’humain et de son origine, l’humus (la terre), la revanche de la matière vivante et vibrante contre la froideur de la modernité. Il est passionnant de savoir d’ailleurs que la quête du gourou post-humaniste Ray Kurzweil était en fait de retrouver son père, mort relativement jeune. Son ambition de terrasser la mort est en fait une quête désespérée pour ressusciter un être auquel il tenait plus que tout. Il y a fort à croire que Kurzweil préfèrerait serrer son père dans ses bras, vibrant, sentir son cœur battre et son sang affluer plutôt que d’étreindre un robot froid et sans émotions.

Que ce soit via l’hypothèse Gaïa ou via le post-humanisme, l’homme ne sera jamais annihilé ou dépassé définitivement. Nous n’entrons pas dans une « post-humanité » mais au contraire dans une période de renforcement de l’humain, dans une ère de revitalisation de l’humanité par un retour aux sources assisté par ordinateur. Le débat n’est plus de savoir si l’être humain sera augmenté ou non. Nous y viendrons sans doute. Il est probable que des puces intelligentes répareront nos cellules et nous feront vivre plus longtemps mais elles nous feront très certainement aussi ressentir plus, toucher plus, sentir plus, goûter plus, jouir plus, en un mot : vivre plus.

De telles amplifications nous permettront d’explorer encore plus nos corps et notre humanité. Grâce à la technique et au digital, grâce aux réseaux sociaux, nous voici de retour dans la mythologie dionysiaque. L’humain des profondeurs et des origines, joyeux, libidineux, règne à nouveau, dans sa dimension la plus chaude, la plus charnelle, la plus organique. Loin de voir une humiliation ou un dépassement de l’humanité dans la marche engagée avec les machines, voyons-y une opportunité unique de nous poser les bonnes questions.

Une seule chose est certaine : nous sommes à un tournant, et le temps est venu de nous interroger sur notre essence et notre destinée d’homme. Il est vertigineux d’imaginer où nous serons parvenus dans quelques dizaines, voire centaines d’années.

Thomas Jamet – NEWCAST – Directeur Général / Head of Entertainment & brand(ed) content, Vivaki (Publicis Groupe)
www.twitter.com/tomnever      /  thomasjamet.com
Thomas Jamet est l’auteur de « Ren@issance Mythologique, l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale » (François Bourin Editeur, en librairie le 15 septembre). Préface de Michel Maffesoli.

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