Une étude récente intitulée «Au-dessus de tout soupçon», porte sur les freins au changement. Elle révèle, très classiquement, des commentaires sur le consommateur, la stratégie… ainsi qu’une réflexion intéressante sur la nécessité de s’adapter. Une adaptation qui concerne tous les sujets y compris celui de notre langage.
Et si notre langage parfaitement maîtrisé mais conçu pour un monde bien ordonné, était obsolète par rapport aux situations de désordre et de plus en plus imprévisibles que nous vivons? Avec pour conséquence le dérèglement des plans les plus solides.
Dès lors, le questionnement de la sémantique que nous employons est crucial. Car, comme le souligne les propos de sémioticiens tels Alain Etchegoyen: «dans un monde imprévisible, il nous faut nous habituer à réemployer des mots bannis de notre langage. Il nous faut réinventer une sémantique qui soit dans la mobilité, l’adaptation, un changement permanent».
Les mots que nous avons inventés dans les années 30/40, pour fabriquer le monde dans lequel nous vivons, sont issus d’une volonté de penser que tous les problèmes pouvaient être résolus par le schéma organisationnel et le calcul. En d’autres termes par la logique… La domination du monde était possible. Ainsi les termes, prévision, déduction, planification, optimisation, modélisation, sont issus de cette illusion. Et, mélangés les uns aux autres, ils ont formé la base des théories rassurantes encore employées actuellement.
La sémantique «immobilisante» du monde de l’ordre, du monde «bien rangé».
C’est une obsession naturelle que de voir ou imaginer que tout est bien rangé. Or, l’ordre implique l’immobilisme des choses. Certes, la réflexion marketing et communication, apprécie que tout soit bien à sa place, car les raisonnements sont facilités. Si par exemple, on emploie l’expression «photo du marché», c’est simplement parce que ce terme fige le marché sur un «mapping» où les marques y sont bien rangées, permettant ainsi une meilleure analyse. Mais l’artifice est bien réel. Car, entre temps, la situation dans la réalité a déjà évolué et par conséquent, sa synthèse aussi.
Preuve que les mots de la sémantique «immobilisante» auxquels nous avons recours, nous rendent aveugles par rapport à la réalité en mouvance perpétuelle. Mais, il est tellement plus facile de raisonner en pensant que le monde obéira à nos injonctions sémantiques «immobilisantes», qui permettent de tracer des routes sûres.
Positionnement, héritage, territoire, ADN, ancrage, capital de marque…et puis osons le dire, «stratégie à long terme»… sont les mots de l’immobilisme… et du monde de l’ordre. Résultat? Nous vivons une sémantique lourde, d’ancrage profond, au moment où les marques ont plus besoin de devenir des hors bord que des paquebots. La marque semble vivre dans un espace clos… pour la vie, et les conditions de marché sont suffisamment linéaires, pour garder le même cap à long terme. Or, il est urgent d’admettre une bonne fois pour toute que les marchés sont en désordre et mal rangés.
Le langage de la rue «déconditionné» des normes professionnelles, invente une sémantique adaptée au nouveau monde d’aujourd’hui: on clique, on surfe, on zappe, on glisse… Allo a été remplacé par «téou». Deux langages s’affrontent, celui de la rue, qui a compris le monde mobile et celui de l’entreprise qui est inhibé, immobile mais qui, à priori, rassure.
L‘entreprise doit, à son tour, comme les citoyens, reconstruire sa sémantique, en réintégrant les mots ignorés voire bannis au motif qu’ils ne font pas partie des conventions de langage.
Les choix ne manquent pas: flexibilité, réactivité, mobilité, adaptation, localisation de la pensée et des actions, réflexion rapide (alors qu’il faut «donner du temps au temps»), par hypothèses et expérimentations successives (cf le marketing de l’expérimentation et des hypothèses pratiqué par les entreprises du web), ruse et même habileté comme celle des grands chercheurs devant un problème inconnu. Cependant, entre habileté et intelligence, nous avons choisi la seule et unique intelligence, c’est plus valorisant! Osons parler d’intuition, d’opportunisme, de stratégies à court terme et reconnaître que désormais le succès du long terme repose sur une suite d’étapes à court terme réussies et sources de succès…
C’est une évidence, il faut changer, s’adapter, mais aussi apprendre à parler «fluently» le nouveau langage du marketing et de la communication. Alors oui à l’ère de l’imprévisible: celui du 21ème siècle.
Michel Hebert
No-Logic consulting
Auteur de «Le marketing et la communication face à l’imprévisible».