Tous les dimanche soir nous étions des millions à revenir en enfance, émerveillés par le talent de Christian Blachas pendant tant d’années. Tel un conteur, un sorcier ou un magicien, ce dernier nous racontait dans Culture Pub avec un talent unique et avec passion de belles histoires. Car c’est le primat de la publicité: nous faire retourner en enfance. Les créations publicitaires ou les récits de marques sont en effet structurés sur le modèle des grands récits mythologiques, un réel schéma actanciel, un enchaînement problème / solution / résultat, et peuplés de monotypes, des personnages idéal-typiques fonctionnant sur une logique binaire.
George Lewi l’a montré dans son ouvrage Les marques, mythologies du quotidien il y a déjà quelques années: les marques et la publicité sont partie prenante de la structuration mentale de notre univers de pensée par leur capacité à s’ériger en entités mythologiques. Tout comme les héros mythiques, elles savent incarner les rapports de l’individu au groupe et sont le produit de notre imagination collective. Comme Aphrodite la séductrice qui avait le pouvoir de rendre amoureux tous les dieux et tous les mortels, L’Oréal assure avoir le même pouvoir insensé «parce que toutes les femmes le valent bien».
Comme Zeus qui s’impose comme le maître de l’Olympe et de l’abolition du temps, Breitling a su combattre victorieusement Chronos et apporter à l’homme l’annonce de temps nouveaux, d’une légende à reconquérir. Ils incarnent des forces, des archétypes qui fascinent parce qu’ils sont absolus. Et rien n’a changé, de Mad Men à Culture Pub, en passant par le SuperBowl qui réinvente les vampires avec la dernière extraordinaire pub Audi.
La création publicitaire est un miroir caché des motivations souterraines subconscientes, un véhicule mythologique, une re-création permanente des mythes les plus ancestraux. C’est en cela que l’homme (et a fortiori le créatif) est finalement moins créateur que créé, pensé plus qu’il ne pense puisqu’il régurgite des archétypes puisés dans le fond du subconscient, dans le fond de l’imaginaire collectif le plus archaïque en le mélangeant à la technologie la plus avancée.
C’est ce que Michel Maffesoli explique dans L’Instant Eternel : «Les vidéo-clips, la publicité, l’informatique, les jeux vidéo le montrent à loisir: nous entrons à nouveau dans le temps du mythe. Le ré-enchantement du monde est issu de la conjonction du chevalier de nos contes et du rayon laser. Le sachant ou pas, les mythologèmes que véhiculent ces héros paradoxaux de la postmodernité sont ceux, initiatiques, des épreuves, de la chute, du châtiment et de la réintégration ».
Le paysage media en pleine mutation impose aujourd’hui un certain nombre de nouvelles obligations aux marques dans le périlleux exercice de leur communication. Le digital offre une formidable opportunité pour les marques de s’inscrire dans une logique de récit et de remythification de leur communication. On sait que les consommateurs soumis à un nombre croissant de sollicitations se tournent vers les contenus qui portent pour eux une réelle valeur.
Dans un monde où les marques sont face à une concurrence de plus en plus féroce et où émerger devient de plus en plus compliqué, elles développent une nouvelle manière d’engager un dialogue avec leurs consommateurs, notamment via le digital, l’interactivité, le Brand Content, la gamification… Et nous reparlent enfin comme des enfants…
L’enfance n’est pas de l’ordre de l’humain. Elle est de l’ordre du sacré, un moment où l’on est capable de tous les allers et retours : entre l’animal et l’humain, entre le rêve et la réalité. La génération de la «culture pub» a grandi avec les contes de Mr Blachas, et a été la première à apprivoiser, à expérimenter le monde du digital et la jungle de l’Internet. Les enfants de la Culture Pub ont grandi. Mais ils ne cesseront jamais de rêver.
Thomas Jamet – NEWCAST – Directeur Général / Head of Entertainment & brand(ed) content, Vivaki (Publicis Groupe)
www.twitter.com/tomnever
Thomas Jamet est l’auteur de « Ren@issance Mythologique, l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale » (François Bourin Editeur, en librairie le 15 septembre). Préface de Michel Maffesoli.