La démocratie et le suffrage universel réservent toujours des surprises. Ce suffrage n’a pas fait exception. Les suffrages exprimés ont montré de vraies surprises, au premier chef d’entre elles le score élevé de Marine Le Pen. Les sondages ne l’avaient pas vu venir. Mais est-ce vraiment une surprise ? Les enquêtes d’opinion prennent le pouls d’un échantillon, là où l’essentiel se joue ailleurs : dans l’imaginaire collectif. Or l’époque crie et suinte du mythe. Nous sommes au commencement d’une réinvention qui se refonde sur les imaginaires collectifs. Et des pays qui, comme la France, ont fait le choix de confier au peuple entier la responsabilité de choisir leur exécutif ne peuvent s’étonner des résultats.
Une chose est sûre, le «village global» dont parlait Marshall McLuhan bruisse, grouille, se rassemble de plus en plus autour d’une certaine animalité et d’une émotion palpable. La foule décide. Globalement et localement, car elle n’est plus uniquement sur les marchés mais aussi sur les réseaux sociaux. Dans cette émotivité collective, la “pensée de la place publique” a une grande importance. La foule est de plus en plus présente et en en période d’élection, elle a le pouvoir, ou tout au moins, «fixe» les décisions.
Est-ce un hasard si Pan, cousin indo-européen de Dionysos – dieux des troupeaux et de la nature toute entière – est aussi le dieu de la foule et en particulier de la foule orgiaque et hystérique ? Pan avait la capacité de faire perdre à l’humanité son côté humain pour lui redonner son animalité dans la promiscuité de la foule. Le mot «pan-ique» vient de là. Les foules regroupées (paradoxalement) dans les urnes et d’une manière quasi-magique dans le secret de l’isoloir, mais également collectivement dans les rassemblements des Indignés, lors d’événements sportifs, de concerts rock ou de rassemblements religieux nous le rappellent sans cesse: Pan se rappelle à nous, comme revivifié, remythifié, car la foule n’a jamais été aussi présente, dans les grandes villes, les flashmobs ou Facebook.
C’est ce qu’ont souligné des auteurs comme Gilbert Durand, qui dans Introduction à la Mythodologie propose une lecture résurgente du mythe de la foule. Pour Durand, «Les dieux ont soif» et parfois «se vengent en déchaînant obscurément dans les ténèbres des inconscients la tempête des dieux». Parmi les causes de la montée de phénomènes funestes au XXème siècle comme l’hitlérisme se trouvent bien évidemment des problèmes contemporains mais également le complexe lié à la défaite du IIIème Reich, la fin de la dynastie impériale et la psyché sociale.
Pour Durand, Hitler lors de son ascension au pouvoir dans les années 30 fait appel à des imaginaires collectifs enfouis et ressuscités par la foule présente dans les urnes et avait tout de la réminiscence du vieux dieu Wotan proto-germanique (le dieu anglo-saxon de la mort et de la « fureur » (sic). L’ascension du leader nazi s’apparente ainsi selon Durand à un besoin s’étant auto-généré, par-delà le rationnel et prenant sa source dans l’émotion refoulée d’un certain romantisme wagnérien traduit dans les urnes de la république allemande. Il est « L’ouragan dévastateur des steppes » comme l’appelle Carl Gustav Jung.
Nous ne cherchons rien d’autre en nous fondant dans cette foule que de nous perdre dans un grand ensemble, de communier dans une grande « fête » archaïque, comme l’appelait Georges Bataille. Et de puiser parfois dans l’imaginaire jusqu’au tragique. Le Général de Gaulle, en choisissant de demander aux Français de choisir leur président au suffrage universel direct, faisait un choix audacieux, riche de promesses et de risques. Le prochain président élu (qui sera ainsi légitimé directement, comme l’était d’une certaine manière le Roi de France dont le caractère sacré reliait sa vie et son règne à Dieu et à tous ses sujets / citoyens) est l’héritier de ce choix.
Il devra gérer les angoisses et la colère, gouverner et rassembler et symboliquement « guérir les écrouelles » de ses concitoyens, comme autrefois les Rois avaient le pouvoir de guérir les plaies ouvertes de leurs sujets rien qu’el les touchant. Il devra comprendre et gérer les imaginaires plutôt que gérer à court terme. Quel qu’il soir, plutôt que de chercher à satisfaire les revendications, il devra comprendre les imaginaires et nourrir les âmes au risque de voir se déverser le tragique enfoui dans la foule. C’est la magie et le risque de la démocratie. Car attention lorsque le peuple n’y croit plus : alors s’ouvre la saison des tempêtes. La vraie, celle du dieu Pan… ou du dieu Wutan.
Thomas Jamet – Moxie – Président (Groupe ZenithOptimedia – Publicis Groupe)
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Thomas Jamet est l’auteur de « Ren@issance Mythologique, l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale » (François Bourin Editeur). Préface de Michel Maffesoli.