Les psychosociologues connaissent parfaitement ce trouble de la vie sociale: malgré ses milliers d’amis sur Facebook, Winnie L’Ourson se retrouve inexorablement tout seul le soir. Trop seul. Winnie est peut être ce qu’on appelle un «no life». On le sait, le virtuel à l’extrême (que ce soit celui des jeux vidéos ou des réseaux sociaux) est un facteur d’isolement bien réel: Le Monde vient encore de sortir un article sur le sujet. Jusque là, rien de neuf sous le soleil…
DE LA DE- A LA RE-MATERIALISATION
Ce qui est nouveau en revanche, c’est de constater que cette dichotomie virtuel/réel, associée à une dépendance aux outils technos, provoque une fatigue qui a des conséquences importantes dans la posture de certains discours : on se fatigue de l’immatériel, on réclame désormais du concret.
Le livre de Matthew B.Crawford, Eloge du carburateur : essai sur le sens et la valeur du travail, en est une parfaite illustration. Ainsi que la vie de son auteur : après un doctorat de maths et des études de philo, après avoir été l’éminence grise d’un think-tank d’économie à Washington, Matthew a tout plaqué pour devenir…réparateur de motos. Dans son ouvrage – où il assimile les cadres sup aux ouvriers du XXIème siècle, il milite pour la revalorisation du travail manuel. Et il n’est pas le seul à l’appeler de ses vœux si on en croit les succès croissants des rayons «arts décoratifs manuels» des grands magasins et de la tendance «do-it-yourself».
LE METISSAGE TECHNOLOGIQUE
Le désir de matérialité donne naissance à de nombreuses innovations hybrides, à la fois hyper technos et très concrètes, sans qu’elles soient rétrogrades pour autant. Les technos les plus avancées se mêlent alors aux technos les plus rudimentaires.
C’est une tendance illustrée de façon frappante par The Love Box, la première table de mixage vidéo faite en bois et conçue à la main. Créée par les trublions barcelonais de l’agence honest&smile, cet outil artisanal et rudimentaire permet de séparer son écran d’iPhone pour filmer à la fois devant et derrière soi. OK, dit comme ça, ce n’est pas dingue. Pourtant il rencontre un succès surprenant, car il s’apparente davantage à un objet de déco design qu’à un objet techno. La preuve: The Love Box est produite en série limitée (100 exemplaires) et vendue au musée Miba à Barcelone (mais aussi en ligne…). Un parfait témoignage du métissage technologique.
Autre cas illustratif : la Spotify Box. Le jeune designer Jordi Parra, de l’Umea Institute of Design en Suède, a conçu la première radio qui rend la musique digitale palpable et concrète. Branchée sur un ordinateur, la Spotify Box charge des playlists. Débranchée, elle les restitue comme une petite radio. La nouveauté: à chaque playlist correspond un jeton-RFID qu’il suffit de disposer sur le boitier pour changer de registre, comme on met un jeton dans un Jukebox pour charger une chanson. Et pour ne rien gâter, la Spotify Box est un objet design – en bois – que l’on peut balader avec soi à peu près partout.
Les exemples de ce type abondent : la mini-imprimante Instaprint transforme les clichés Instagram oubliés dans un téléphone en photos polaroïd bien réelles, il existe désormais une machine à expresso géante qui détaille chacune des étapes de conception du breuvage, histoire de laisser comprendre son propre mécanisme, etc.
Demain, dématérialisation et virtualisation (l’ «URL») ne seront socialement acceptées qu’accompagnées d’une «IRL» : In Real Life…
Alexis Botaya
Soon Soon Soon
Crédit photo : Benjamin Béchet