Le mouvement seapunk a fait couler pas mal d’encre avant l’été. Beaucoup d’analystes, bloggers et médias se sont penchés sur le phénomène. Essayons de définir simplement ce qu’est cette tendance. Dans un article publié cet été sur Slate (un des articles français décrivant le mieux le phénomène et ses satellites) il est rappelé que le terme est né en juin 2011 quand la twittos @lilinternet a inventé le concept avec un simple tweet : «Seapunk, un blouson de cuir dont les clous ont été remplacés par des crustacés». Au moment où il a été retweeté par bon nombres d’influenceurs avec le hashtag #seapunk, le feu était allumé, et plusieurs communautés se sont ruées sur ce concept, le détournant avec des photos, le glorifiant via des tribunes enflammées, créant ainsi un mouvement.
Son incarnation la plus palpable est immédiatement musicale et bon nombre d’artistes autoproclamés seapunks se lancent dans une tentative de définition d’un son. Le New York Times a défini ce courant musical comme “a web joke with music ». Les groupes seapunk ne resteront en effet pas dans les annales, n’apportant rien de concret si ce n’est un son electrorock plus ou moins réussi, sautillant, adolescent, futile et immédiat.
Mais c’est avant tout esthétiquement que le mouvement est reconnaissable entre mille. Dauphins, crabes, fluos, bindis, accessoires démodés, symboles religieux, smileys… Les montages photos seapunk sont devenus célèbres et un genre à part entière. On se croirait dans un jeu vidéo Megadrive ou dans un clip amateur de reprise de Lady Gaga par une bande de teenagers complètement losers et shootés à l’acide. La mode s’y met aussi et de grands couturiers récupèrent la tendance, la consacrant sur les podiums.
Mais passé les élucubrations musicales hasardeuses, trois choses sont à retenir pour aller plus loin que la simple fascination pour les couleurs et le look de ces créatures d’un autre monde. Trois tendances de fond qu’illustre parfaitement le seapunk, et qui laissent à penser que ce n’est que la première de multiples cultures protéiformes nées du digital qui vont émerger dans les années à venir.
Le lieu fait lien
Toutes les sous-cultures se sont toujours développées autour de lieux totémiques, permettant de rassembler la tribu et de communier autour de ce qui fait leur spécificité. Ce qui est central est le lieu de développement de la tendance. Les punks se retrouvaient autour de lieux totémiques à Londres, la Tektonik est née dans la boîte de nuit le Metropolis (comme le souligne l’article de Slate)…
Pour le seapunk ce lieu est le digital et plus particulièrement Tumblr pour son esthétique, sa rapidité d’échange, sa créativité et notamment le passage au range de quasi art du format animé « .gif ». C’est extrêmement intéressant de noter que les lieux digitaux sont devenus concrets. Le virtuel n’existe pas. La culture y est vivante et de ces nouveaux lieux peuvent créer et animer des mouvements culturels.
L’avant-garde des nouveaux mèmes
Selon la théorie du scientifique Richard Dawkins à la fin des 70’s, toute culture ou civilisation est construite autour de mèmes (néologisme inventé à partir du mot « mimesis » / imitation). Les mèmes sont des unités culturelles volatiles s’échangeant à volonté dans la population. Qu’ils soient futiles (couleur à la mode, chanson, film sur Youtube, marque commerciale, film à succès) ou structurants (idéologie, paradigme, convention), les mèmes façonnent nos sociétés et peuvent même développer une vie propre et s’auto-diffuser une fois franchie un cap, un certain nombre de diffusions. Le seapunk est à ce titre une illustration parfaite, qui s’est étendue sur plusieurs mediums : on est pas uniquement dans la vidéo « lolcat ». Le mème s’est ici cristallisé et incarné en mouvement musical, fashion… Il dépasse son médium et la simple imitation.
Le règne de l’amalgame
Le seapunk est plus qu’un mix ou un simple mélange. C’est un brouillage. La différence est importante. Dans le mélange, les deux ingrédients se complètent pour donner une autre couleur. Il y a une formule. Dans le brouillage il n’y a aucune finalité, aucun but, ni objectif. Le seapunk est à ce sens un brouillage, et plus précisément un amalgame. Le sens étymologique d’amalgame signifie « rapprocher » deux éléments qui n’ont aucun rapport sans qu’ils soient liées naturellement, et sans qu’il soit raisonnablement possible de les lier entre elles. Le seapunk n’a rien de raisonnable. Rien de raisonné. Par essence futile. Et inutile.
Le seapunk consacre la fin de la théorie des cycles. On n’est pas dans la suite ou le recommencement permanent, ni dans un mix d’influences. L’époque est en effet à la fin des mélanges et à la consécration de l’amalgame permanent, surprenant, voire esthétiquement suspect.
C’est l’essence de la postmodernité.
Thomas Jamet – Moxie – Président (Groupe ZenithOptimedia – Publicis Groupe)
www.twitter.com/tomnever
Thomas Jamet est l’auteur de « Ren@issance Mythologique, l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale » (François Bourin Editeur). Préface de Michel Maffesoli.