« Dans « Les Héros Sont Eternels », un ouvrage paru en 1949, Joseph Campbell, anthropologue et professeur américain explique le rôle essentiel des héros dans la société. L’œuvre de Campbell a énormément inspiré Hollywood, à commencer par George Lucas avec sa trilogie Star Wars, qui est de son propre aveu, directement inspirée des théories de Campbell, mais également Christopher Vogler, un producteur ayant en quelque sorte « traduit » la pensée de Campbell de manière didactique en un texte qui est devenu « Le guide du scénariste, la force d’inspiration des mythes pour l’écriture cinématographique et romanesque », paru en 1992 et qui servit de base de travail à bon nombre de storytellings made in Hollywood.
La » force d’inspiration des mythes pour l’écriture cinématographique et romanesque », est paru en 1992 et servit de base de travail à bon nombre de storytellings made in Hollywood. Vogler y encourage les scénaristes et auteurs à se servir du monde des mythes et des archétypes comme d’une source d’inspiration et de construction de leurs récits afin de faire appel à l’inconscient des plus grandes civilisations. Aujourd’hui la plupart des fictions, de Matrix à Harry Potter en passant par Lost, Games Of Thrones ou même 24 sont construites de cette manière.
Dans les travaux originaux de Campbell apparaissent toujours plusieurs étapes dans le cycle du héros : l’enfance du héros, la phase de conquête avec un héros guerrier, un triomphe (le héros empereur et rédempteur du monde) et enfin le départ du héros, sa mort. Ce cycle cosmogonique immuable reprend un ordre vrai de toute éternité pour tous les mythes et les héros de toutes origines.
Campbell soutient que quasiment tous les héros mythiques, quelles que soient l’époque et la culture dans lesquelles ils vivent, suivent un parcours contenant au moins une partie de ce schéma. Le parcours de vie de Barack Obama correspond étonnamment à cette construction mythologique.
« L’appel à l’aventure » – L’enfance du héros
Sa naissance à Hawaii, son enfance en Indonésie, ses origines kényanes et irlandaises ont beaucoup de points communs avec celles des héros de la mythologie greco-romaine. Les héros y ont souvent de multiples figures, et viennent fréquemment d’un pays lointain. Tous ont également une enfance troublée (chez Obama la figure très complexe et tragique d’un père absent et de sa fin violente) et débutent leur périple à la suite d’un « appel à l’aventure ». Ce qui implique que le héros trouve une vocation, une phase transcendante ; ici son passage en tant qu’organisateur de communautés de quartiers, impliqué dans l’animation des zones difficiles du Chicago des années 80.
« L’épreuve » – Le héros Guerrier
Pour Campbell le héros appelé par l’aventure doit faire face au « gardien du seuil », le grand obstacle dans son voyage lors duquel il faudra vaincre, terrasser un ennemi, un monstre ou pénétrer dans un monde nouveau – généralement représenté par un lieu dangereux ou bien encore une île mystérieuse. Cette série d’épreuves lui permettra d’accomplir enfin l’objet de sa quête. Dans cette phase de conquête, Barack Obama a gravi tous les échelons en devenant sénateur puis pilier incontournable du parti démocrate jusqu’à devenir le premier président Noir des Etats-Unis en 2008.
Pour ce faire, il a comme beaucoup de héros, revêtu les habits du guerrier et du prophète. Ses armes furent son éloquence impressionnante, son envie de conquête et de réussite, et le monstre qu’il a terrassé est sans nul doute la xénophobie américaine, l’épreuve absolue, en devenant un président noir dans un pays pratiquant la ségrégation raciale seulement quelques dizaines d’années auparavant. Et en survivant à la crise économique, réélu après 4 ans de mandat avec un niveau de chômage important.
« L’apothéose » – Le guerrier empereur
Cette troisième phase est sa réélection. Elle représente symboliquement l’émancipation, la libération, une fois les épreuves initiatiques passées. Le héros devient alors le « héros empereur » en régnant sans contraintes (Barack Obama est face à énormément de limites vu la position du Congrès et du Sénat mais sa figure personnelle est plus souveraine, libérée : ne pouvant briguer de troisième mandat, il aura sans doute les coudées bien plus franches pour laisser sa marque dans l’Histoire). Les héros apparaissent dans cette phase de l’histoire comme un rédempteur, voire des guérisseurs.
Cette posture est incarnée par une phrase très lyrique, prononcée mardi soir lors de son allocation de victoire : « the best is yet to come ». Les héros empereurs sont aussi les plus populaires, ayant un lien direct, intime et magique avec le peuple. C’est cette figure qui s’impose et triomphe en 2012 avec un président réélu inspirant des centaines de mèmes (GIFS, dessins, vidéos…) et enflammant les réseaux sociaux avec un tweet historique (« Four more years ») devenu en quelques minutes le tweet le plus retweeté de tous les temps. Son deuxième mandat sera très certainement sous ce signe.
« Le départ du héros » – Le dernier rôle
Il lui restera enfin un dernier rôle, celui de la mort ou du « départ du héros ». Là aussi, Obama devra affronter la figure du héros. Une fin tragique est-elle à imaginer pour Obama comme pour certains Rois et Dieux de la mythologie indo-européenne ? On ne peut évidemment pas le souhaiter. Dans quelques années, s’il s’éloignait, prenait du champ, il pourrait devenir un peu comme le roi Arthur ou Charlemagne : vieillissant, il se lèvera « à l’heure du destin » mais restera à jamais une figure mythique, voire mythologique.
Pour Joseph Campbell, « le héros est chacun de nous, pas pour l’être physique que reflète le miroir mais pour le Roi qu’il renferme ». Barack Obama est sans nul doute un exemple à étudier en ce sens. Un roi du storytelling et de la réinvention permanente de soi. Un modèle postmoderne. Une figure héroïque.
Thomas Jamet – Moxie – Président (Groupe ZenithOptimedia – Publicis Groupe)
www.thomasjamet.com / @tomnever
Thomas Jamet est l’auteur de « Ren@issance Mythologique, l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale » (François Bourin Editeur, en librairie). Préface de Michel Maffesoli.