»En 1913, j’eus l’heureuse idée d’acheter une roue de vélo et de la regarder tourner »
Débute alors une période de controverses fortes autour de l’objet, sa valeur artistique et l’histoire qu’on lui fait raconter.
Tout objet au nom commun pouvait devenir après l’intervention de Marcel Duchamp une oeuvre d’art, un « ready made ».
Une roue de vélo sur un tabouret : œuvre d’art. L’histoire? Les mouvements d’un feu de cheminée.
Un urinoir accroché à un mur dans un centre d’art : œuvre d’art. L’histoire ? Le symbole d’une fontaine autour de laquelle les habitants d’un lieu pourraient se réunir.
Une pelle accrochée au plafond : œuvre d’art. L’histoire ? Âmes prévoyantes par temps enneigées peuvent se mobiliser autour de cet objet comme une armée.
Si l’objet quotidien est décrété œuvre d’art, alors il permet de convoquer un imaginaire, des schémas de représentations qui permettent l’évasion, le rêve, l’interprétation.
Et Marcel de préciser en 1923 : »Une caractéristique importante: la courte phrase qu’à l’occasion j’inscrivais sur le readymade. Cette phrase, au lieu de décrire l’objet comme l’aurait fait un titre, était destinée à emporter l’esprit du spectateur vers d’autres régions plus verbales. […] » .
Jolie prouesse intellectuelle. Une transgression qui a bouleversé les codes du monde de l’art. Puis de la création en général.
Alors, pourquoi s’est-on éloigné de cette période ? Et de façon aussi radicale.
Désormais on convoque les artistes pour que nos objets, nos espaces, les lieux puissent à nouveau se charger d’histoires. Et sortir de la logique de création dans laquelle Duchamp a installé une lignée de créateurs: celle du discours et de la pensée.
Alors aujourd’hui, surtout pas de ready made.
A partir du quotidien, il faut transformer. Faire disparaitre. Sublimer. Recycler.
Pour raconter de nouvelles histoires. Loin, très loin des objets et du quotidien.
Les artistes ont carte blanche. Dans les musées. Dans les centres d’art. Mais également dans les boutiques ou sur les produits de consommation.
On veut des univers. Des expériences. Du sens. Du ‘’content’’ pour reprendre le gros mot à la mode.
Un grand designer français – pour ne pas le citer – affirme que nous entrons dans l’ère de la non consommation. Pas celle qui demande aux consommateurs ou visiteurs de se détourner des objets. Mais bien celle qui ouvre la porte a des objets chargés de sens (et non de symboles). Ceux que nous apprennent les artistes aujourd’hui, c’est à choisir parmi les lieux, les marques, les objets qui ont un sens.
La gourde rechargeable avec l’eau du robinet. Philippe Starck.
Andréa – Vase, système de filtration des gazs toxiques grâce aux plantes.
Elise. Corbeille de tri, des déchets de bureau, qui permettrait de contribuer au recyclage de 6 milliards de déchets par an produits par les entreprises.
Alors, le content aujourd’hui. Pas d’histoire. Pas de blabla. Pas du chiant non plus. Mais du sens. Du vrai. Les créateurs l’ont compris. Ils vont dans ce sens.
Les objets, les lieux, pour plaire, doivent s’inscrire dans le bien. Le bon. Pour l’environnement. Pour le lien social. Pour l’innovation. Pour un futur dont nous avons conscience d’être les dépositaires, les responsables. Alors que dirait Marcel ? Que la roue a tourné ?
Amandine Lepoutre
Rubrique réalisée en partenariat avec La Société Anonyme