Notre société moderne nous a trop souvent fait penser que la Nature était domestiquée. A trop imaginer le monde sous couvert d’un progrès scientifique et d’une idéologie scientifique, à trop penser au digital, aux robots, et aux imprimantes 3D, on en oublie que des circonstances naturelles qui ne sont pas si exceptionnelles peuvent changer le monde. Les éruptions de volcans en font partie.
Hekla inquiète. Ce volcan du Sud de l’Islande serait depuis quelques jours en plein réveil. Les spécialistes sont formels, le monstre n’a jamais été aussi proche d’une éruption de grande ampleur.* Il faut se rappeler ce qu’est Hekla. Ce Titan, appartenant à une chaîne volcanique de quarante kilomètres de long, produit l’un des plus important volumes de lave des mille dernières années. Et vers 950 avant JC, une éruption aurait diminué les températures dans le nord de la planète pendant près de 18 ans. Helka est la représentation absolue de la force de la Nature. Incontrôlable. Destructrice. Absolue. Sans merci.
Tout près de nous, rappelons-nous du volcan Eyjafjöll en avril 2010, qui nous avait donné l’impression d’être dans Flash Gordon, le film de Mike Hodges sorti en 1981 et présentant la Terre attaquée par Ming, un empereur extraterrestre provoquant des catastrophes, des éruptions et des tremblements de terre pour déstabiliser l’activité humaine et s’emparer de la planète. Au-delà de son caractère hautement cinématographique, cette éruption avait pris le monde entier par surprise. Elle avait en effet coûté des milliards de dollars aux compagnies aériennes et à l’économie mondiale et avait démontré en quoi un phénomène naturel peut perturber le bon déroulement d’une civilisation occidentale lourdement équipée et technologiquement avancée.
Les conséquences indirectes d’un événement climatique important peuvent en effet être absolument catastrophiques dans des moments de tensions intenses tels que nous le connaissons aujourd’hui.
Rappelons-nous d’un autre volcan islandais, le Laki, dont l’éruption en 1783 fut un des critères de déclenchement de la Révolution Française. Les années qui ont suivi l’éruption du Laki en 1783 furent marquées par des phénomènes météo extrêmes, dont des sécheresses et des hivers très rigoureux. L’énorme éruption aurait en effet été à l’origine de l’émission plus de centaines de millions de tonnes de gaz nocifs, tué des centaines de milliers de têtes de bétails à cause de la contamination des pâturages, mené la population islandaise à une famine, et fera périr plus de 10 000 personnes**. Partout dans le Nord de l’Europe on vit une accentuation du « petit âge glaciaire ». La légende disait que le pain et la viande gelaient sur la table de la cuisine et les corbeaux en plein vol. La ligne de grain orageux qui traversa la France du sud au nord, en été 1788, détruisit presque toutes les récoltes du pays. On y vit même des grêlons de cinq kilos.
Au-delà des images d’Apocalypse qui peuvent venir à l’esprit (La première trompette : De la grêle, du feu et du sang tombent du ciel), le moment fût absolument dramatique économiquement et socialement, comme le montre la vidéo ci-dessous. Ce phénomène climatique exceptionnel arriva au pire moment, celui où la France et l’Europe étaient déjà au bord de l’implosion sociale et économique. Un moment qui peut en rappeler d’autres.
Mais il est un autre symbole à propos d’Hekla, plus ésotérique. Le volcan est en effet selon la légende considéré comme étant la « Porte de l’Enfer ». Des légendes propagées par les moines en ont fait au Moyen-Âge l’accès au royaume du Diable et de la Mort (comme le cistercien Herbert de Clairvaux le décrivait dans « De Miraculis ») ou encore la prison de Judas. De nos nos jours, certains sont même toujours persuadés que des sorcières se rassembleraient sur l’Hekla à la période de Pâques. Cette période approchant justement, il est savoureux de pouvoir suivre de près l’activité du volcan grâce à une webcam**. Nous n’y verrons certainement pas des sorcières mener un sabbat démoniaque pour faire déferler sur l’Europe et la France un torrent de colère, de damnation et de cendres. Mais cette éruption suscite l’intérêt et sans doute un effroi immémorial, car notre cerveau reptilien n’a pas publié cette acception immémoriale et la crainte d’une nature sauvage toujours considérée comme une divinité terrible pouvant réclamer sacrifices humains et effusion de sang si les rituels ne sont pas respectés.
La Nature nous a souvent surpris, et nous révèle en permanence notre vulnérabilité, notre condition d’êtres fragiles, perdus au milieu de l’Univers. Elle nous rappelle la triple humiliation formulée par Freud. Le psychanalyste a ainsi fait comprendre à l’homme qu’il n’était pas le centre du monde (depuis Copernic), lui a fait saisir qu’il n’était qu’un fruit de l’évolution parmi d’autres (depuis Darwin) et enfin qu’il ne pouvait pas se maîtriser lui-même en raison de l’importance de l’inconscient (depuis ses propres travaux). Ne contrôlant plus rien, nous retrouvant comme les hommes antiques, dans la même position que l’homme dans les tribus primitives originelles, nous lâchons prise.
A n’en pas douter la Nature peut donc nous réserver bien des surprises et catalyser ce sentiment d’impuissance. L’une des dernières éruptions du monstre en 1991 fut une surprise pour les scientifiques car les sismographes n’enregistrèrent les premières secousses que 30 minutes avant l’éruption. Sommes-nous prêts ?
Thomas Jamet – Moxie – Président
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Thomas Jamet est l’auteur de « Ren@issance Mythologique, l’imaginaire et les mythes à l’ère digitale » (François Bourin Editeur). Préface de Michel Maffesoli.